Agen : La jeunesse du quartier de Montanou dans le collimateur




Montanou, c’est « le » quartier « chaud » d’Agen. C’est en tout cas le quartier qui concentre contre lui tous les fantasmes sécuritaires de la bourgeoisie agenaise. Les militan(e)ts d’Alternative libertaire qui ont l’habitude d’y venir ont une opinion différente sur la question.

Le 21 juillet s’est tenu au tribunal d’Agen le procès de deux jeunes de Montanou, accusés de violences contre plusieurs policiers, à l’occasion d’une interpellation mouvementée opérée par la BAC (brigade anticriminalité). Ce simple fait divers pose de nombreuses questions, celle de l’attitude des forces de police et de la justice à l’encontre des jeunes Français issus de l’immigration et plus généralement de l’attitude de la société française tout entière face à ces jeunes et de la place qui leur y est faite.

Tout commence très banalement : en juin, un jeune en mobylette la nuit, son casque accroché sur son véhicule, sans lumière et sur une voie en contre-sens. Repéré par la BAC, celle-ci cherche à l’intercepter. Mais tout dérape très vite. Depuis sa sortie de prison le 5 février, ce jeune se plaint de subir un harcèlement de la part de certains policiers : il avait été condamné à trois ans de prison pour « avoir tiré à la carabine depuis le domicile familial sur une voiture de police et avoir ainsi cassé le gyrophare du véhicule ». Le problème, c’est que le père du jeune dispose d’une expertise balistique affirmant l’impossibilité d’atteindre avec cette carabine à grenaille et depuis le domicile familial le véhicule policier, là où il se trouvait (à plus de 60 m). En tout cas, un des avocats ayant défendu les deux jeunes a posé la question de la révision de ce précédent procès, face à cette « incertitude ».

Partageant la méfiance habituelle des jeunes issus de l’immigration à l’encontre des forces de l’ordre, avivée par sa situation particulière, le jeune repéré par la BAC n’a qu’une envie : se débiner. Il est finalement rattrapé par la patrouille de police, à l’entrée de Montanou. Son casque à ce moment tombe par terre. Le frère aîné du jeune, se promenant à cet endroit, voit son frère, pris à partie par la BAC. Il se précipite. À partir de ce moment les différentes versions des faits ne sont bien entendu pas les mêmes. Qui tenait le casque et qui a frappé avec ? Le frère aîné réussit à s’échapper. Il sera interpellé le lendemain, au domicile familial, dans des conditions abracadabrantes et là aussi de façon mouvementée.

Au final cet incident aurait pu être traité pour ce qu’il est : un refus d’obtempérer, des mots lancés de part et d’autre sous le coup de l’énervement, un coup de pied dans la cheville reçu par un policier dans la bousculade, des coups de casque reçus par les jeunes…

Dérives sécuritaires et discrimination

Mais, face au tribunal, il n’y a pas égalité. La parole policière ne peut pas être remise en cause. Même quand deux témoins viennent affirmer, sous serment, qu’ils ontvu, à l’issue de cette interpellation, le jeune maintenu à terre, menotté, et autour de lui cinq à six policiers le frapper. Et encore plus graves à nos yeux ont été les paroles du ministère public lors du procès : la stigmatisation du quartier de Montanou, qualifié de zone de non-droit, l’appel à y restaurer l’autorité de l’État. Car il faut bien affirmer l’existence d’une « zone de non-droit » pour justifier les dérives sécuritaires et aussi l’attitude de la police que les jeunes jugent discriminatoire à leur égard. Mais, dans la réalité, une telle qualification pour Montanou relève de la diffamation. Bien sûr, il serait absurde de nier l’existence d’actes de délinquance dans une cité où la majorité des jeunes sont jetés au chômage. Mais Montanou n’est pas le Chicago des années 1930. Les flics peuvent se permettre de venir, à trois, interpeller un jeune chez lui, le lendemain d’une autre arrestation aux portes de la cité, comme cela s’est passé dans cette affaire. Les soirées d’été dans la cité, les enfants jouent dehors, les jeunes filles sortent sans encombre de chez elles pour se promener… Des travailleur(se)s sociaux sont présent(e)s, intégré(e)s, actif(ve)s dans la cité. Il y a sans doute comme partout des crétins, mais manifestement ils ne font pas la loi. Mais alors pourquoi ces fantasmes ? Une autre déclaration du ministère public lors du procès nous permet de mieux comprendre les enjeux : le représentant de l’État n’a pas hésité à interpeller un des deux jeunes en lui disant : « Si tu continues à agir de la sorte, il ne faudra pas t’étonner, un jour, de prendre une balle. » Contre ces deux jeunes en particulier et contre les jeunes des cités en général, l’hostilité de la police et de la justice agenaises est affirmée.

Lourdes condamnations

Le verdict du procès est lui aussi édifiant. Contre le premier des deux jeunes (celui qui conduisait la mobylette), les accusations de violences se sont dégonflées, puisqu’il a été condamné pour refus d’obtempérer et pour « tentative de violences aggravées » (aggravées, parce que la tentative aurait été faite avec « arme », le casque de mobylette) : vingt mois de prison ferme, puisqu’il est « récidiviste ». Son frère, sans casier, est condamné à six mois ferme, pour le coup de pied dans la bousculade du soir, pour « menace de mort » et pour violence ayant entraîné quatre semaines d’interruption temporaire de travail, un policier ayant subi au cours de l’interpellation un déchirement musculaire. Et ce malgré le fait que toute personne informée sait pertinemment qu’une déchirure musculaire résulte d’un effort de la personne concernée et non d’un coup reçu… La lourdeur des condamnations semble être dictée par d’autres considérations que les faits énoncés lors du procès et relever des mêmes motivations que celles qui ont dicté les paroles du ministère public. Comment un tel contexte pourrait avoir d’autre effet qu’augmenter le ressentiment envers les forces de l’ordre des jeunes des cités, et alimenter potentiellement toutes les dérives auxquelles peut être exposée une partie de cette jeunesse ?

Isolement

Venons-en enfin à un autre aspect de ce procès. Un comité de soutien aux deux jeunes s’est constitué dans la cité de Montanou. Les associations antiracistes du département ont été contactées et invitées à venir lors du procès. Et le jour dit, si les jeunes de Montanou étaient présents, les associations antiracistes brillaient par leur absence. La faiblesse de ces associations au niveau départemental et la période estivale n’expliquent pas tout. L’isolement des jeunes des cités est aussi, trop souvent, une réalité à ce niveau.

Toutefois, l’existence même de ce comité de soutien est un réel signe d’espoir. Le maintenir aujourd’hui est une double nécessité. D’une part pour continuer à se battre sur cette affaire (le procès en appel, l’éventualité d’une révision de l’autre procès, le soutien aux deux jeunes en prison…). Mais aussi pour aller vers la transformation de ce comité en un outil collectif des jeunes pour se battre contre toutes les discriminations qu’ils/elles subissent au sein de la société française. Les militant(e)s d’Alternative libertaire, présent(e)s lors du procès, ont pu établir un lien avec le comité de soutien. Nous souhaitons lui proposer de s’allier avec d’autres collectifs militant au niveau départemental et servir de pont, par exemple, pour des actions communes avec le collectif antiprécarité. À la fois pour leur redonner un espoir au sein de la société et pour construire ensemble, notre avenir commun.

Jacques Dubart (AL Lot-et-Garonne)

 
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