Dans le rail : Unifier et coordonner les luttes




Depuis le début de l’année, on assiste incontestablement à un regain des luttes à la SNCF et plus largement dans le secteur ferroviaire. Situation paradoxale à première vue pour la première année d’application de « l’accord sur la prévention des conflits et l’amélioration du dialogue » signé par la direction et toutes les fédérations syndicales sauf SUD-Rail et FO.

L’accord signé en octobre 2004 entre la direction et notamment la fédération CGT des cheminots ne porte pas atteinte, directement, au droit de grève. Mais il est mauvais pour les salarié(e)s pour trois raisons :

C’est une négociation d’accord qui ne porte que sur des sujets défendus par le gouvernement et les patrons ; les fédérations syndicales se sont mises en situation de négocier en sachant qu’il n’y avait pas la moindre marge pour quelque avancée que ce soit pour les travailleur(se)s.

Toute la philosophie de l’accord repose sur le fait qu’une « amélioration du dialogue social » est possible si représentant(e)s des syndicats et de la direction, surtout au niveau local, se comprenaient mieux, échangeaient plus souvent, si les projets patronaux étaient mieux expliqués. Voilà qui est au mieux d’un angélisme apolitique affligeant, au pire d’une hypocrisie totale. Et nous affirmons que pour les principaux acteurs, c’est le pire…

Cet accord, c’est le doigt dans l’engrenage infernal, la reconnaissance de fait que le droit de grève serait un problème. Les syndicalistes de base des syndicats italiens, pays où la législation antigrève est particulièrement rude, ont alerté leurs camarades français à plusieurs reprises : « n’acceptez pas de commencer à discuter là-dessus car ensuite, gouvernement et patronat en voudront toujours plus, et poursuivront dans la logique cautionnée au départ ».

Enfin, ce texte, négocié dans un secteur où le poids syndical est encore fort, risquait de servir d’appui aux patrons pour imposer plus de reculs dans d’autres branches : c’est ce qu’a tenté de faire tout de suite après la branche « transports publics » du Medef (l’Union des transports publics présidée par Michel Cornil… qui est aussi président de la filiale EFFIA, et conseiller du président de la SNCF, Louis Gallois), en soumettant un accord aux fédérations syndicales des transports urbains.

Non signé par les fédérations SUD-Rail et FO, cet accord a aussi été refusé par nombre de syndicats CGT, à qui la fédération a imposé une signature sans débat interne, comme nous le rappelait la « lettre ouverte » d’un camarade d’Ambérieu parue dans le numéro de juillet-août 2005 d’Alternative libertaire.

Les cheminot(e)s luttent localement

La plupart des conflits locaux de ces derniers mois ont porté sur les conditions de travail et les effectifs. L’emploi est en effet une question essentielle à la SNCF où près de 5 000 postes sont supprimés chaque année. Beaucoup de ces grèves ont duré plusieurs jours, plusieurs semaines pour certaines. Volonté politique pour les uns, insuffisances dans la pratique pour d’autres… toujours est-il que les organisations syndicales relaient insuffisamment ces luttes, alors que c’est bien là une des tâches essentielles dans la période : faire voir qu’en luttant on peut gagner, organiser la solidarité, tirer collectivement les enseignements des actions.

Les fédérations multiplient les « 24 heures »

Janvier, mars, juin, il y aura eu, à la SNCF, trois grèves nationales de 24 heures baptisées « les temps forts » au cours du premier semestre. C’est la seule perspective proposée par les fédérations syndicales, qui plus est dans une désunion croissante. Entre le 25 novembre 2004, date de la manifestation nationale des cheminot(e)s à laquelle les huit fédérations syndicales appelaient, et la grève de juin pour laquelle ne restait que CGT/SUD-Rail/FO/CGC, le sectarisme a bien fonctionné.

Un sectarisme qui n’est pas l’apanage des appareils. Certes la fédération CGT l’utilise sans retenue pour combattre toute tentative d’extension des mouvements mais les syndicats SUD-Rail qui se rangent aux côtés des non-grévistes et de la direction au nom du refus des « 24 heures » l’alimentent allégrement ! Or, c’est sur les équipes syndicales de la CGT et de SUD-Rail qu’il faut compter pour organiser un réel mouvement de masse, dans la durée, à la SNCF.

Mais la réflexion sur les limites de ces grèves « carrées » sans lendemain progresse. Au sein de SUD-Rail, un débat est lancé depuis un an maintenant, sur la stratégie d’action. Dans la CGT, pour la première fois depuis très, très longtemps la question d’un appel à la grève reconductible est débattue en Conseil national. Tout ceci est encore insuffisant ; il est de la responsabilité des syndicalistes révolutionnaires de pousser ces débats, de les mener à tous les niveaux de l’organisation syndicale, et surtout de les relier à une pratique syndicale qui permette d’avancer.

Un travail unitaire à la base est possible dans beaucoup d’endroits ; il faut le développer, le faire connaître partout. C’est cela qui réduira la portée des discours sectaires des uns et des autres.

Avant le référendum sur la constitution européenne du 29 mai, un appel spécifique de cheminot(e)s a été lancé. Événement historique, il rassemblait des responsables nationaux des fédérations CGT, SUD-Rail, UNSA, CFDT. Notamment, trois des quatre derniers secrétaires généraux de la fédération CGT en étaient signataires ; ne manquait à l’appel qu’un certain Bernard Thibault…

La privatisation : il faut la refuser mais surtout agir pour s’y opposer !

La défense du service public, le refus de la privatisation étaient au cœur de cet appel pour le « non » à la constitution européenne. Mais remise en cause du service public et privatisation s’accélèrent, malgré l’expression directe des citoyen(ne)s le 29 mai.

Il s’agit de s’y opposer, concrètement, sur le terrain, par les luttes. À la SNCF, moins de trois semaines après le référendum, le premier train privé de marchandises circulait sur le réseau national. C’est un bond en arrière de près de 70 ans : cela n’existait plus depuis 1937, date de la nationalisation des « compagnies » privées. Sur place, plusieurs centaines de cheminot(e)s ont été dispersé(e)s par les gaz lacrymogènes des gendarmes mobiles qui faisaient place nette au train Connex.

Militant(e)s CGT et SUD-Rail se sont retrouvé(e)s côte à côte face aux forces répressives… et à quelques dirigeants venus prendre des photos, sans doute pour agrémenter quelques dossiers disciplinaires un jour ou l’autre. Mais si pour SUD-Rail il s’agissait bien d’un appel fédéral, concrétisé par la présence de délégations de plusieurs régions et des responsables fédéraux, la CGT s’était limité à une présence régionale, la fédération (comme celle des PTT vis-à-vis de la répression des postiers de Bordeaux/Bègles) jouant la carte de la division à travers de pseudo rassemblements locaux…

Le gouvernement n’a pas tardé à pousser l’avantage : fin juin, il accordait à Connex une licence pour effectuer aussi du trafic de passagers.

Dire « non à la privatisation du rail » ne suffit vraiment plus car elle est en train de s’effectuer, et très rapidement. L’initiative unitaire proposée par SUD-Rail et l’union syndicale Solidaires les 16 et 17 septembre à Dugny dans la Meuse est l’occasion de renverser la vapeur. Au-delà de la pétition de principe, il s’agira d’agir directement contre cette privatisation, de s’opposer concrètement à la démolition du service public, avec une cible facilement identifiable.

Ce cadre unitaire, c’est d’abord le cadre intersyndical et interprofessionnel. Mais ce sont aussi les collectifs de défense des services publics qui existent dans un certain nombre de grandes villes et bien sûr les collectifs pour le Non à la constitution. En ce qui concerne ces derniers, il y a là une opportunité en or pour les réorienter sur le terrain de l’affrontement social et créer un contre-feu efficace à la tentation de polariser le débat sur le terrain institutionnel et électoral.

C. Mouldi, AL Rail

Dans les autres secteurs

La direction SNCF organise depuis un bon moment la privatisation. La multiplication des filiales est une des solutions. Les salarié(e)s n’y ont plus le statut de cheminot(e). Ainsi, les dirigeants de la SNCF ont créé EFFIA à qui, année après année, ils transfèrent des tâches et des emplois jusque-là dédiés à des cheminot(e)s à statut : accueil en gare, assistance aux personnes à mobilité réduite,… Grâce aux luttes des premiers arrivés dans la filiale, les porteurs, ce personnel était jusque-là soumis à la convention collective « manutention ferroviaire et travaux connexes ». Dans leur recherche de toujours plus de profit, les patrons ont dénoncé cette convention collective et décidé d’appliquer celle des « prestataires de service » qui, en gros, ne fait que reprendre le Code du travail. En juillet, les salarié(e)s d’EFFIA Services ont fait plusieurs jours de grève ; le 4 août, ils se sont rassemblés au siège de l’entreprise, l’ont occupé quelques heures. D’autres actions sont prévues en septembre, notamment pour interpeller la direction SNCF, les véritables patrons de cette filiale.

Autre secteur en lutte depuis plusieurs mois : le personnel des comités d’établissement et du comité central d’entreprise de la SNCF. Gérés par des syndicalistes, ces salarié(e)s ont multiplié les rassemblements, grèves, pétitions… pour que cesse le scandale des coefficients salariaux inférieurs au SMIC dans leur convention collective. Après un an de lutte, les responsables de la fédération CGT des cheminots ont « proposé » de revaloriser un tout petit peu les plus bas coefficients… en les laissant sous le SMIC ! Une honte pour le mouvement syndical !

 
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