Entretien

Stéphane Vardon (CGT) : « Les contrôleurs SNCF font l’unité à la base »




Lors du week-end de l’ascension s’est déroulé une grève atypique chez les contrôleurs de la SNCF, puisque issue d’une pétition recueillant plus 7000 signatures, soit les deux tiers des effectifs, et réalisant ainsi l’unité à la base.
Pour analyser ce mouvement des pétitionnaires, assez différent toutefois des coordinations de 1986, nous avons interrogé l’un de ses animateurs : Stéphane Vardon, contrôleur à Paris Montparnasse depuis 1999 et délégué du personnel CGT.

Alternative libertaire : Quelle est la genèse du mouvement des pétitionnaires ?

Stéphane Vardon : Il faut tout d’abord rappeler qu’en janvier 2005, suite au viol d’une collègue contrôleuse sur la région de Toulouse, les contrôleur(se)s ont spontanément débrayé dans de nombreuses régions. Ce qui a provoqué un électrochoc dans la filière métier mais aussi les premiers différends avec la fédération CGT-Cheminots, première organisation syndicale, sur la façon de mener ce débrayage. Sur mon établissement de Paris-Montparnasse, nous avons organisé en mai 2005 une première rencontre des délégué(e)s CGT pour travailler sur les revendications catégorielles et commencer ainsi des discussions avec notre fédération dans le but d’aboutir à la plus grande unité syndicale.

En octobre 2005, nous avons eu l’idée de lancer une pétition sans étiquette syndicale en ciblant des revendications sur le déroulement de carrière, la prime de travail et la bonification retraite. Initiée par des militants CGT, nous avons ainsi été rejoint(e)s sur cette initiative par des syndiqué(e)s FO, SUD-Rail, ainsi que par des non-syndiqué(e)s. Puis la pétition a rapidement pris une ampleur nationale, facilitée par nos déplacements professionnels et le réseau des foyers. Je tiens à préciser que, dès le départ, nous voulions, en réalisant l’unité à la base, impliquer l’ensemble des fédérations syndicales. Mais justement nous a été reproché par des responsables fédéraux CGT d’avoir initié cette pétition en dehors des structures.

Peux-tu nous rappeler les principales dates du mouvement ?

Stéphane Vardon : En janvier 2006, la fédération CGT tente de reprendre la main en demandant une audience auprès de la direction déléguée Trains, qui accorde quelques miettes largement insuffisantes. Depuis le début, nous organisions chaque mois une réunion centrale des pétitionnaires en gare Montparnasse, ou les fédérations étaient systématiquement invitées. Ce sont d’abord SUD-Rail et FO qui ont envoyé des représentant(e)s mandaté(e)s, puis avec l’approche des élections professionnelles de mars 2006, la CGT, la CFDT et la CFTC.

Dès le mois de mars, SUD-Rail se déclarait prête à déposer un préavis de grève. Finalement, il a été décidé de reporter le préavis après les élections professionnelles du 23 mars 2006. C’est donc l’assemblée générale (AG) du 2 mai qui a voulu que la grève débute le 23 mai, lors de l’ascension. Seul SUD-Rail a accepté de déposer un préavis reconductible qu’il souhaitait unitaire, en mettant l’outil syndical à disposition des pétitionnaires et sans aucune tentative de récupération du mouvement alors que trois autres fédérations (FO, CFDT et CFTC) se sont désistées au dernier moment et n’ont pas suivi le mouvement.

Comment s’est déroulée la grève ?

Stéphane Vardon : La grève a donc débuté le 23 mai et s’est poursuivie dans les régions les plus combatives jusqu’au 28 mai. La direction SNCF a comptabilisé plus de 20% de grévistes à l’échelle nationale. La volonté de construire un mouvement rassembleur a été payante sur plusieurs régions. Ainsi, on a eu plus de 80% de grévistes sur le réseau Atlantique (régions de Rennes, Nantes, Paris-Montparnasse...) et on est même montés à plus de 90% sur la région de Marseille. A l’inverse, sur le réseau Est, à part la région de Reims, le mouvement a été très faiblement suivi. Cela reflétait vraiment l’implantation des pétitionnaires.

Il est regrettable d’avoir vu des responsables CGT locaux s’opposer à la grève, alors que c’est justement là où des équipes CGT étaient fortes que la grève a été majoritaire. Sans doute la peur de se voir déborder par la grève couverte seulement par SUD-Rail a-t-elle joué dans ces blocages.

Quel est le fonctionnement du mouvement des pétitionnaires ?

Stéphane Vardon : Tout d’abord, les AG centrales se déroulaient systématiquement sur Paris-Montarnasse, à l’initiative de la pétition. Je tiens ici à préciser que les dégagements s’effectuaient sur nos propres moyens, essentiellement sur des repos. Afin de se connaître, nous faisions tourner une feuille pour récolter les coordonnées téléphoniques. Puis, nous avons créé un blog sur Internet pour faire circuler les infos.

Pour les prises de décision, après débat, les grévistes votaient à main levée et dans certaines régions, comme la mienne, à bulletin secret.

Comment analyses-tu le rôle et les limites du blog ?

Stéphane Vardon : Le blog avait pour but de centraliser les infos, de diffuser les communiqués et, pendant la grève, de faire le point quotidiennement. C’était conçu aussi comme un forum, et nous avons toujours voulu respecter la libre expression, sans censure. Il y a bien sûr eu des messages agressifs, mais très souvent anonymes, ce qui décrédibilisait d’emblée le contenu. J’ai pourtant eu une fois recours au bluff en évoquant la possibilité de retrouver grâce à un pistage informatique les auteurs de mails anonymes diffamatoires, ce qui a permis de calmer le jeu.

Un autre risque était la diffusion de fausses informations, notamment sur les mobilisations pendant la grève, ce qui pose le problème du contrôle et du recoupage des informations.

Comment a évolué le rapport du mouvement des pétitionnaires avec les fédérations syndicales ?

Stéphane Vardon : Nous avons toujours souligné la légitimité des fédérations et notre volonté de construire l’unité syndicale. Mais il est évident qu’à part SUD-Rail, qui a toujours eu une attitude de soutien sans ambiguïté et qui a joué le jeu en mettant à disposition son outil syndical, les autres fédérations ont fait la fine bouche. L’interfédérale de mai a été révélatrice. Ainsi FO s’est donc retiré du préavis que SUD-Rail proposait unitaire, et auquel pourtant elle se joignait initialement. Idem pour la CFDT et la CFTC. La fédération CGT s’est toujours montrée agressive et a fait de multiples pressions, notamment sur ses délégué(e)s de base. Un responsable CGT a ainsi menacé « d’avoir la peau des pétitionnaires ».

Quelles sont les perspectives du mouvement des pétitionnaires ?

Stéphane Vardon : Après la grève, nous avons eu une réunion de bilan le 6 juin à l’issue de laquelle nous avons diffusé un septième communiqué. Nous considérons qu’il y a eu un premier coup de semonce et qu’il faut passer à une seconde phase de la mobilisation en étendant l’unité réalisée à la base à l’ensemble des fédérations, seule garantie pour la réussite du mouvement.

Je voulais aussi insister sur le fait que nous avons toujours été très clairs sur notre volonté de ne pas nous replier dans une démarche uniquement corporatiste et de nous placer, avec des revendications à la fois catégorielles et générales, dans l’esprit du maintien de l’unité de la SNCF. Il n’y a donc jamais eu la tentation, dont on nous a accusés, de créer un syndicat corporatiste. Le prochain rendez-vous a été fixé à la rentrée et, en attendant, plusieurs AG ont voté le gel d’un nouvel outil et nous avons également invité les agents à privilégier le rôle commercial par rapport au rôle répressif.

Propos recueillis par AL Rail


<titre|titre= Au sujet du métier de contrôleur>

Stéphane Vardon conclue l’interview en parlant du rôle commercial du contrôleur..., un rôle qui semble moins évident que celui de répression à travers la distribution de P.V. aux « fraudeurs ». Mais il est vrai que les contrôleuses et les contrôleurs SNCF ont en fait un triple rôle : répressif, commercial (renseignements, aide, etc.), et aussi de sécurité (assistance à l’agent de conduite en cas de problème).

Plusieurs fois, des mouvements revendicatifs ont eu lieu au cours desquels les contrôleurs refusaient l’aspect répressif du métier et exerçaient leurs autres missions. C’est ce qu’on a appelé la « grève de la pince » (pas d’utilisation de la « pince » qui sert à contrôler les billets). À chaque fois, la direction SNCF a sanctionné les cheminots, avec l’appui des tribunaux. Mais ces actions ont laissé une trace dans la mémoire collective des cheminotes et des cheminots, plaçant la question de mouvements communs cheminots/usagers au cœur de débats récurrents.

La lutte menée pour la gratuité des transports n’est pas non plus ignorée, même si elle demeure taboue pour la plupart des organisations syndicales ; cependant, la fédération SUD-Rail a mené un débat sur ce sujet lors d’un Conseil fédéral, et sa structure nationale « contrôleurs » a diffusé à ses militantes et militants la plaquette réalisé par le Réseau pour l’abolition des transports payants.

Libertaires, nous ne pouvons qu’inciter à poursuivre la réflexion sur ces sujets. Libertaires et considérant que la lutte des classes est le moteur des évolutions, nous devons aussi tirer les enseignements des mouvements collectifs, des grèves. L’action menée par contrôleurs SNCF est intéressante à plus d’un titre : on voit comment se construit un mouvement, l’articulation entre revendications et montée du rapport de forces, les réactions des diverses forces syndicales, celles qui privilégient l’appareil, celles qui considèrent qu’un mouvement de masse est en soit porteur d’avancées et de prises de conscience, la diversité des prises de positions des équipes syndicales de base, la nécessité de construire dans la durée, etc.

AL Rail

 
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