Point de vue : Coupe du Monde : Vive les Bleus !




Enfin, le moment tant attendu est arrivé : la Coupe du monde de Football, l’événement le plus médiatisé de la planète. Les dieux du Stade et les prêtres du culte sportif ont envahi notre quotidien tandis que les hordes de supporters et supportrices lâchées dans les rues décorées pour l’occasion par les vomis de nationalismes exacerbés, polluent notre environnement de leurs olas envahissantes. La crétinisation des consciences est en marche derrière les hurlements de troupeaux de fanatiques soumis à une propagande capitaliste jamais dénoncée parce que très insidieuse. L’opium sportif, pour reprendre l’expression de Jean-Marie Brohm (in Les Shootés du stade) peut se diffuser derrière les corps parfaits d’athlètes déifiés par une quasi-unanimité politique, journalistique et intellectuelle. La lutte de classe s’arrête aux portes des stades !

Le sport est fondamentalement bon !

Les rares critiques qui nous sont rapportées par la pensée unique et uniforme des émissions et magazines où sévissent les valets de la « sportivisation » des consciences, voient le sport comme un fait social récupéré par les excès d’un capitalisme prédateur (par exemple dans Politis au début du mois de juin un article de Gilbert Andrieu, « Les JO : un mythe moderne »). Pour ces critiques, le football est avant tout porteur de valeurs saines qu’il faut sortir des marigots capitalistes qui les auraient salies. C’est aussi le discours d’un grand nombre d’organisations altermondialistes mais aussi de « partis révolutionnaires » qui ne vivent les crises du sport qu’avec quelques rectifications à la marge. La campagne menée autour de la Coupe du monde contre la prostitution en étant l’exemple.

Sport et école même combat !

Ainsi, la conscience que le sport participe de manière non idéologique à la formation de l’individu au capitalisme est rarement mise en évidence dans la plupart des organisations qui se réclament de l’anticapitalisme. Le sport n’est pas un simple rouage, parmi d’autres, de la machine à broyer capitaliste : par sa popularité, il en est le moteur, comme l’éducation. D’ailleurs, ce n’est sûrement pas un hasard si cette critique radicale du sport est surtout portée par le milieu de l’éducation, par un universitaire comme Jean-Marie Brohm, par quelques trop rares revues comme L’Emancipation, par des camarades courageux dans leurs syndicats (surtout SUD et CNT), mais aussi par des lieux de résistance sur le Web (le sifflet enroué).

Autrement dit, sport et éducation relèvent de la même fonction qui est de réduire les tensions provoquées par le capitalisme en intégrant les hommes et les femmes aux rapports de production dominant et aux cadres institutionnels qui les portent. Sport et éducation organisent les formes de production de demain en déconstruisant les hommes et les femmes (de manière différente : le sport misant plus sur l’abrutissement des consciences, l’école par la mise sous tutelle de l’enseignement aux directives du patronat) afin de les préparer à mieux recevoir l’idéologie dominante. Entre celui qui pisse le plus loin et celui qui obtient la meilleure note, les deux institutions inscrivent les hommes et les femmes dans la plus antidémocratique des sociétés (à l’image de ce que sont les écoles ou le Comité international olympique et la FIFA) où méritocratie, culte de l’élite et compétition sont les « valeurs humaines ». Dans les deux institutions, la soumission à l’autorité, la hiérarchisation des groupes, l’apologie de la performance et de la réussite - d’où sont d’ailleurs exclues les femmes - sont de formidables apprentissages à ce monde que nous construit la bourgeoisie dominante. Autour et dans les écoles et les stades on prépare les générations futures à une militarisation de la société (Cf. J.-M. Brohm et M. Caillat, Les Dessous de l’Olympisme) justifiée par l’apartheid social : le monde de demain n’est pas celui où les pauvres seront cantonnés derrière des barbelés (ils sont trop nombreux !) mais où les riches s’enfermeront dans des espaces hyper-sécurisés par la police et l’armée, surveillés par vidéo, contrôlés par biométrie, où chaque piscine permettra à chacun de vivre intensément son bonheur. Comment vivent nos idoles ? La militarisation de la société se prépare tout aussi bien dans les écoles que dans les stades !

Enfin, les deux institutions sont aussi des machines de conquêtes : avec, d’une part, l’idée de plus en plus répandue dans les systèmes scolaires nationaux que l’école doit se plier aux exigences du marché et, d’autre part, avec la mondialisation du sport (JO, Coupe du Monde) qui véhicule les valeurs occidentales, nous avons là, mieux que la politique de la canonnière, les armes pour recoloniser une planète aux profits des intérêts de classe d’une riche bourgeoisie.

Ne nous berçons pas d’illusions qui flatteraient notre ego de petits bourgeois humanistes. L’école et le sport ne participent en rien aux valeurs humanistes, pas plus qu’ils n’ouvriraient une alternative à la soumission par l’émancipation. C’est un peu comme si les historien(ne)s rejetaient pour les régimes totalitaires leurs objectifs de fabriquer un homme nouveau par l’embrigadement, l’endoctrinement et la propagande. Nous concevons volontiers que les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 aient servi de vitrine à l’idéologie nazie, que la préparation des athlètes s’orientait dans ce désir d’homme nouveau voulu par le nazisme... Alors pourquoi refusons-nous de voir la même chose avec le capitalisme ? L’école et le sport sont là pour nous dresser et non nous libérer !

Et si la critique radicale du sport nous montrait ce qu’est la gauche révolutionnaire ?

Face à cette réalité on comprend très bien que la gauche social-démocrate botte en touche (pour mémoire la campagne JO Paris 2012) : par démagogie sûrement, mais encore plus parce qu’elle a parfaitement assimilé les diktats de l’entreprise. En revanche, on devrait s’attendre à un discours plus musclé sur le sport de cette gauche qui se veut plus radicale, voire révolutionnaire ! Que nenni... on ne touche pas au sport, sauf pour en dénoncer les dérives extérieures (comme la prostitution, à combattre certes, mais aussi en montrant les liens entre « eros center » pour mâles excités de la braguette gonflée à la bière et, exacerbation de la virilité dans la pratique du foot par des joueurs gonflés on ne sait plus à quoi !). Ce sont les mêmes incohérences que l’on retrouve, souvent chez les mêmes révolutionnaires, quand critiquant les institutions et la démocratie représentative, ils s’empressent de la cautionner par leur participation électorale. On ne peut être révolutionnaire, anticapitaliste et applaudir aux exploits de l’équipe de France.

Cette mise à l’écart d’une critique radicale du sport pour de nombreux camarades qui se réclament de l’anticapitalisme et de la rupture montre bien les limites des pratiques révolutionnaires face aux institutions dominantes. Notre anti-électoralisme, nous permet, probablement à nous autres libertaires de nous libérer du poids de l’intégration à la démocratie représentative et facilite d’autant plus la prise de conscience des liens entre capitalisme et institutions politiques. La participation des mouvements se réclamant de l’anticapitalisme aux rituels électoraux donne à la représentativité sa justification et ouvre une voie royale au triomphe de l’économie de marché. Notre présence dans les manifestations sportives, sous quelque forme qu’elle soit relève de la même démarche : nous justifions la « légitimité » d’un système que nous devons avant tout délégitimer.

Eric (AL Le Puy)

 
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