Cantines : Les assiettes des enfants assaisonnées au productivisme




À Montreuil, une lutte locale pour une restauration scolaire de meilleure qualité devient expérimentation politique et espace de politisation. La vigilance est de mise face au risque de l’institutionnalisation et du détournement du projet.

Il y a un an, l’UCL FCPE (l’Union des conseils locaux de l’association de parents d’élèves FCPE) de Montreuil (93) faisait le pari d’utiliser comme levier la coïncidence entre élections municipales et fin du contrat entre la ville et la Sogeres, propriété de la Sodexo, numéro 1 mondial de la restauration collective et valeur sure du CAC40. Montreuil est alors l’une des rares villes de plus de 100 000 habitants qui confie les assiettes des enfants au bon soin d’un groupe privé. L’initiative permet d’agréger une poignée d’élues parents dans des conseils locaux puis, rapidement, des parents ni forcément élus ni membres de la FCPE, mais sensibles à la question alimentaire. En sort un collectif volontairement informel, large et ouvert  : Cantine nouvelle (CN).

Celui-ci produit des revendications pour une cantine scolaire de qualité. La question de la sécurité alimentaire est devenue un sujet à la mode dans les médias  : c’est aussi une question sociale tant le repas à la cantine est, pour nombre d’enfants pauvres de Seine-Saint-Denis, l’unique vrai repas du jour. CN revendique une augmentation radicale de la part de bio, mais aussi un véritable circuit court (suppression des intermédiaires entre les agriculteurs et la cuisine), des produits de saison, et la diminution de la part de repas carnés (ainsi qu’une alternative végétarienne). Moins de sel, de sucre et pas d’huile de palme  ; ou encore la fin des contenants plastiques. Il s’agit aussi de limiter le gaspillage en recyclant ou redistribuant. Mais les revendications dépassent le seul contenu de l’assiette  : la pause méridienne est revendiquée comme temps éducatif, la nécessité d’un nombre adapté d’animateurs et d’animatrices bien formés et payés dignement est pointée. Des pistes s’ouvrent quant à la réalisation, à travers des contacts avec des associations d’insertion et des groupes de paysannes et paysans en production bio dans l’Île-de-France.

Retournemenets municipaux

Cantine Nouvelle investit les espaces où la ville prétend au «  dialogue avec les citoyens  » pour interpeller des élues se réclamant de la gauche et de l’écologie. La grande diversité des parents de ce collectif, qui aurait pu sembler un handicap, devient un avantage  : si la représentation de la ville émet une réserve sur la faisabilité technique, d’autres parents − agronomes, militants de la confédération paysanne, chimistes, juristes − répondent techniquement. Si un ou une élue affirme que le bio est une revendication bourgeoise, un parent pauvre réagit. Quand, au témoignage d’un parent en difficulté, la ville répond aide exceptionnelle, un parent militant politique répond principe d’égalité. Une prise de parole tout en arrondi est suivie d’une autre intervention radicale. Cette diversité semble porter ses fruits  : les élues acceptent finalement la création d’un groupe de travail comprenant des équipes techniques de la ville et des représentantes et représentants de CN.

C’est un moment formateur, permettant de se familiariser avec des aspects techniques  : l’incertitude sur la définition légale de circuit court, les détails de labels, etc. Arrivées au bout de cette étape de bonne volonté de la ville, il s’agit maintenant de l’interpeler publiquement. La réunion ouverte qu’organise alors CN est un succès numérique (plusieurs centaines de participantes et participants) et dynamique. Mais, si des figures locales des partis de gauche sont présentes, elles n’interviennent pas, comme si elles peinaient à comprendre la dimension politique du sujet. Et hormis un soutien au détour d’un tract de la France insoumise, ces partis gardent leur distance. C’est finalement le maire qui se saisit de la question. Il reçoit une délégation et lui propose une co-élaboration afin de réaliser une remunicipalisation qui se voudrait exemplaire.

Le moment est crucial. CN se retrouve devant un chantier d’une toute autre échelle  : la création ex nihilo d’une cantine sur plusieurs années, avec un budget de plusieurs dizaines de millions d’euros. Surtout, cela met CN dans une position beaucoup plus difficile, avec un risque réel de devenir des faire-valoir électoraux, de devoir assumer un résultat très éloigné de ses revendications, ou tout simplement d’être incapable de tenir sur la durée. Mais, si elle refuse la co-élaboration, comment CN pourra-elle ensuite se faire entendre et avoir accès aux informations  ?

Au risque de l’institutionnalisation

Après plusieurs semaines de débats internes, le collectif prend le pari d’accepter cette proposition tout en s’engageant à s’en retirer si les pratiques diffèrent du projet, en revendiquant de conserver sa liberté de parole et en s’investissant aussi sur des éléments non-concernés par les négociations (pause méridienne, recyclage, etc). À la suite d’un long chemin technique et légal, à l’automne, c’est la douche froide  : deux entreprises seulement ont répondu à l’appel d’offre… Et, même si leurs identités sont encore secrètes, ce sont manifestement deux grands groupes.

Quel qu’en soit le résultat, toutefois, cette élaboration collective aura été un outil politique passionnant. De nombreux parents, venus parce que la nourriture de leur enfant les préoccupait, en sont venus à intégrer des éléments environnementalistes importants  : nécessité du circuit court, agriculture bio et à petite échelle, remise en cause du productivisme. Le constat est fait de la nocivité structurelle des grandes entreprises, voire des finalités commerciales en général − ce qui pointe la responsabilité capitaliste. Il y a prise de conscience de la nécessité d’une auto-organisation, mais aussi de la limitation et du contrôle des mandats. C’est aussi l’occasion d’évoquer l’existence d’autres moyens de production.

Politisation du quotidien

Le chemin est encore très long cependant. Début décembre, la ville rendra publique le prestataire retenu pour l’année 2020. En janvier, elle publiera un cahier des charges cadrant le projet d’étude de la future cantine montreuilloise. Ce sont des étapes importantes pour CN. Car s’il n’y a pas de progrès significatif du contenu des assiettes, si des avancées concrètes ne sont pas obtenues, la vertu pédagogique de ce type de lutte restera en suspens.

Mathieu Colloghan (Cantine nouvelle)

 
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