Dossier spécial

Défense des retraites : Pour accumuler des forces, la CGT doit changer par la base




Ce mouvement a testé les forces et les pratiques de la CGT, et révélé la faiblesse de son implantation au-delà des bastions habituels, entravant la généralisation de la grève. La confé­dération sort renforcée du conflit, du moins numériquement. Mais sans réforme de ses structures, elle ne pourra retenir longtemps la vague de nouvelles et nouveaux syndiqués.

Au terme de ces cinq mois de lutte, la CGT profite logiquement de l’affirmation que le syndicalisme doit en premier lieu rimer avec rapport de force. La confédération n’a pas caché sa satisfaction d’être flanquée d’une intersyndicale rassemblée dans une logique de lutte collective, d’ordinaire passablement étrangère à la CFDT, à la CFTC et à la CGC. Mais si le pôle syndical cogestionnaire, autour de la CFDT, a vu son image s’améliorer grâce au conflit, c’est la CGT qui a été la plus présente pour, concrètement, mettre du monde en grève.

En effet, ce sont les secteurs où la CGT est très bien implantée, de l’énergie aux dockers en passant par les éboueurs de Paris ou la pétrochimie, qui ont été les plus mobilisés. Les multiples actions dans l’énergie confirment la nécessité de s’organiser, de se coordonner, et l’importance de l’implantation syndicale pour mener la lutte dans un secteur.

On peut citer en exemple le blocage des incinérateurs en région parisienne qui a réuni deux branches, l’énergie et les éboueurs (territoriaux) sans oublier l’interpro à travers le soutien des unions locales concernées sur les piquets de grève. De par sa centralité, l’aura de la CGT s’est renforcée au sein de notre classe, y compris dans la jeunesse qui croise peu le syndicalisme habituellement, cela s’est traduit par près de 40 000 nouvelles adhésions au cours du premier semestre 2023.

Paris. Cortège des sapeuses et sapeurs pompiers CGT, le 19 janvier.
Daniel Maunoury

Un échec : faire bouger dans l’industrie

Toutefois ce regain d’adhésions met en lumière les lacunes de la CGT, en premier lieu sa difficulté à organiser les salariées en dehors des grandes entreprises et de la fonction publique. Or, conquérir les déserts syndicaux est impératif pour gagner : si la plupart des bastions CGT ont participé à la lutte contre la réforme des retraites, l’ampleur de la contestation démontre cruellement à quel point la « grève par procuration » de quelques secteurs emblématiques ne peut l’emporter face à un adversaire prêt à tout pour écraser son opposition.

Pour gagner il faut élargir l’emprise syndicale sur d’autres secteurs économiques, ce qui implique plusieurs chantiers pour la CGT.

Commençons par évoquer l’industrie, où la CGT est bien implantée et où, pourtant, seuls quelques bastions isolés ont réussi à partir en grève reconductible. Les AG y furent rarissimes et les salariées mobilisées ont surtout fait grève individuellement, davantage pour exprimer leur colère à date fixe, lors des grandes dates posées par l’intersyndicale, que pour amorcer, avec leurs collègues, un blocage de l’économie.

Ce défaut de dynamique collective, c’est un manque de culture de la grève qu’il faut absolument regagner, par exemple à travers les batailles sur les salaires appelées à se multiplier. Chaque conflit local constitue un entraînement pour les luttes plus larges. Il faut faire connaître ces expériences locales pour renforcer la conscience de classe de grévistes qui peinent parfois à voir le lien entre leur employeur et les politiques gouvernementales.

Pour des syndicats locaux de branche

Mais un autre chantier s’impose : celui de l’évolution de nos structures pour les adapter à la réalité du prolétariat contemporain. L’actuelle vague de syndicalisation ne pourra pas être absorbée par les syndicats d’entreprise, structures obsolètes alors que la sous-traitance est généralisée et les collectifs de travail atomisés.

La bonne réponse, c’est de faire évoluer nos structures et de constituer des syndicats locaux de branche. Que dans une localité ou un département, au lieu d’avoir plusieurs syndicats squelettiques dans diverses entreprises, on ait un syndicat unique des salariées d’une même branche. Ce serait le meilleur lieu d’accueil pour les nombreuses personnes qui rejoignent actuellement la CGT, afin qu’elles prennent leur place dans l’organisation et deviennent militantes.

Il faut également mesurer pleinement l’enjeu de la syndicalisation des secteurs féminisés, ceux-ci sont tout aussi stratégiques que les bastions ouvriers majoritairement masculins. Ils n’ont pas la même aura dans le mouvement social en raison du manque d’implantation syndicale, mais la victoire à Verbaudet nous montre que ça n’est pas une fatalité.

Paris. Cortège des sapeuses et sapeurs pompiers CGT, le 19 janvier.
Daniel Maunoury

Affirmer et renforcer les unions locales

Le 53e congrès confédéral aurait pu être l’occasion d’avancer sur ces questions essentielles pour renforcer la CGT et l’adapter aux nécessités de la période : syndicalisme de branche, secteurs féminisés, renforcement de la formation syndicale, articulation entre urgence environnementale et sociale…

Hélas, ce congrès a été miné par les conflits internes liés à la succession de Philippe Martinez. Les avancées possibles sur l’uni­fication du syndicalisme de lutte et sur l’écologie sociale ont été sacrifiées, tandis que le débat sur la pertinence de nos structures syndicales n’a tout simplement pas eu lieu. Heureusement, le conflit n’a pas déchiré la CGT en pleine lutte [1]. Ce congrès fut également l’occasion pour les fédérations d’affirmer leur prépondérance au sein de la CGT, au détriment des unions départementales.

Ce sont pourtant les structures territoriales interprofessionnelles qui ont animé ce conflit, à travers les actions et les manifestations. Car au-delà des sondages, la popularité de cette lutte s’est traduite par un ancrage qui, dans tout le pays, a réveillé de nombreuses unions locales. La CGT est l’organisation qui dispose du maillage territorial le plus important, il faut donc profiter de ce renouveau lorsqu’il existe.

Ce sera une tâche fructueuse pour les révolutionnaires, une occasion cruciale de renforcer la conscience de classe sur le terrain, et un investissement syndical prioritaire pour les camarades qui pensent ne pas pouvoir militer dans leur secteur professionnel.

Aimeric (UCL Grenoble)


Dossier spécial : Défense des retraites, repensons le combat


[1« CGT : Un congrès inédit, et après ? », Alternative libertaire, mai 2023.

 
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