Dossier spécial

Défense des retraites : la prochaine fois, on réussira (la grève reconductible) !




Les 64 ans, les salariées y étaient hostiles à 90 %, et l’ont montré par des manifestations monstres, dans tout le pays, d’une amplitude et d’une longévité exceptionnelle : cinq mois de lutte ! Oui mais voilà : les grèves, elles, n’ont pas pris. Pourquoi, et comment y remédier ?

Le 5 avril, depuis Pékin, Emmanuel Macron ironisait : « Quel est le taux de gréviste depuis quinze jours ? Il est à un niveau historiquement très faible. De l’éducation nationale à l’énergie, aux transports… Qu’on n’aille pas m’expliquer que le pays est à l’arrêt. Ce n’est pas vrai ! »

En effet, le pays n’a pas été mis à l’arrêt… Nous avions pourtant de sérieux atouts. L’intersyndicale est restée unie, et cette unité a été un facteur psychologique déterminant pour convaincre les travailleuses et travailleurs hésitants de s’engager, au-delà des habituels noyaux militants. Cela a permis de mobiliser même dans les déserts syndicaux.

Sur la lancée des manifs monstres de janvier et février, Solidaires et la CGT – l’aile gauche de l’intersyndicale – ont, à partir du 7 mars, appelé à la grève reconductible. Avec un succès mitigé. Celle-ci s’est limitée à trois secteurs : le ferroviaire, à l’appel de toutes les fédérations, l’énergie et la pétrochimie. Ailleurs, dans des bastions syndicaux comme la santé, l’éducation, les territoriaux ou la RATP (pourtant fer de lance en 2019), les grèves n’ont pas pris, pas duré.

Certes, il y a toujours, dans certaines localités ou secteurs, des explications conjoncturelles (« on a déjà fait grève le mois dernier ; l’an dernier ; maintenant, c’est aux autres de se bouger », etc). Aux militantes et militants des secteurs concernés d’expliquer leurs difficultés eux-mêmes ; nous les invitons à écrire le bilan de cet échec. Mais pour le cas général, on peut faire quelques suggestions.

Situation propice, forces manquantes

Pour réussir des grèves reconductibles, pour atteindre la grève générale, on table sur la combinaison de deux facteurs. Primo, il faut une crise sociale qui va pousser les gens à se mettre en mouvement, et même en danger, pour défendre leurs droits. Cela, nous l’avions avec l’attaque contre les retraites. Secundo, il faut une force militante qui va orienter les multiples frustrations individuelles vers l’action gréviste, pour créer un rapport de force. Cela, nous ne l’avons pas eu, du fait de l’affaiblissement du mouvement syndical.

Car partir en grève reconductible, c’est plus simple quand on a l’habitude de le faire. Dans le secteur ferroviaire par exemple, les fédérations syndicales n’ont pas de mal à lancer un mouvement prolongé car les cheminots ont l’habitude, depuis plusieurs décennies, de mener des grèves longues et de les tenir.

Depuis la grève pour les retraites de 2019-2020, des caisses de solidarité collectent régulièrement de l’argent pour soutenir les grévistes. Même si cela n’efface pas totalement la perte de salaire, ça atténue le sacrifice financier et encourage à partir et repartir en grève.

Un syndicalisme de masse, actif au quotidien avec les salariées, permet de construire des collectifs de travail solidaires et prêts à lutter ensemble. La syndicalisation de masse est un levier pour mobiliser. Quand les travailleuses et travailleurs ont confiance dans les syndicats qui appellent à la lutte, ils et elles sont plus nom­breux à répondre à l’appel.

La motivation, c’est indispensable. Les travailleuses et travailleurs ne sont pas tous combatifs, y compris parmi les syndiquées. Mais en cas d’appel à la grève reconductible, des équipes motivées, effectuant des tournées syndicales, peuvent entraîner même les hésitantes et hésitants dans l’action.

Il est crucial que l’actuelle vague d’adhésions ne soit pas un feu de paille, que les nouvelles et nouveaux adhérentes deveinnent des militantes en construisant de l’action collective dans leur entreprise.
Daniel Maunoury

C’est la motivation à défendre ou à gagner ses droits qui explique que des sans-papiers qui risquent l’expulsion osent se mettre en grève pour leur régularisation. C’est elle qui explique que des salariées de boîtes privées même sans grosse tradition syndicale sont capables de faire grève plusieurs jours pour leurs salaires.

Pas de raccourci à la grève généralisée

Comme à chaque grand mouvement social, des militantes et militants ont organisé des actions collectives spectaculaires pour gagner face au gouvernement et au patronat. Après l’échec de la grève reconductible, on a vu se multiplier ce type d’actions : blocages des accès routiers, d’entreprises stratégiques (autobus ou traitement des ordures), AG d’individus se disant «  interpro  », feux de poubelles, manifestations symboliques (devant le Conseil constitutionnel…), casserolades, fêtes et pique-niques revendicatifs...

Alors certes, ces actions donnent une visibilité à la lutte, entretiennent une ambiance combative, créent du lien, expriment collectivement la colère... Bref, elles sont bonnes pour le moral. Il ne faut ni les négliger ni y renoncer, mais sans se leurrer : généralement, elles ne mobilisent que les plus militantes du mouvement social et n’élargissent nullement la mobilisation. Et surtout : elles ne bloquent pas durablement la production ni le pays. Ce sont des piqûres de moustiques pour le capitalisme. Il n’y a malheureusement pas de raccourci à la grève généralisée.

Conquérir les déserts syndicaux

Une majorité de travailleuses et de travailleurs sont aujourd’hui dans des déserts syndicaux, notamment dans les PME, et le syndicalisme ne touche pas suffisamment les précaires, intérimaires, les secteurs féminisés... Faire reculer ces déserts syndicaux, resserrer le maillage territorial, ce doit être une priorité pour gagner face au patronat et au gouvernement.

Il faut donc profiter du mouvement social de 2023 pour implanter de nouvelles sections syndicales. Dans de nombreuses entreprises, des salariées ont osé se mettre en grève pour la première fois à l’appel de l’intersyndicale. Un certain nombre ont ensuite demandé à adhérer à la CGT ou à Solidaires, parfois en venant toquer à la permanence de l’union locale, souvent en cliquant simplement « Adhérer » sur un site web.

Il est crucial que ces adhésions ne soient pas un feu de paille. Il faut aider ces nouvelles et nouveaux adhérentes à devenir des militantes, en construisant de l’action collective dans leur entreprise. Tournées syndicales, discussions avec les salariées dans les manifs, dans les entreprises voire à leur porte, tout est faisable : l’opinion des salariées est favorable, c’est le moment de proposer l’adhésion.

Si nous n’accumulons pas de nouvelles forces militantes dans nos syndicats, nous ne pourrons pas mobiliser davantage à l’avenir. Ce serait alors le chat qui se mord la queue. Nous n’arriverions pas à généraliser la grève et nous tournerions encore en rond sans gagner.

Boivin (UCL Rennes)


Dossier spécial : Défense des retraites, repensons le combat


 
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