Dossier spécial

Défense des retraites : Mais quelle mouche a donc piqué la CFDT ?




Pour bon nombre de syndicalistes de lutte, c’était acquis : comme d’habitude, la CFDT allait trahir et faire exploser l’intersyndicale. Or, à la surprise générale, ce pronostic a été déjoué. Tant mieux, mais comment l’expliquer ? Hypothèses.

Une des explications de l’attitude inattendue de la CFDT en 2023 est que cette confédération traverse une « panne stratégique » : sa politique d’accompagnement social du capitalisme n’a certes jamais rien rapporté au prolétariat… mais elle rapportait à la bureaucratie CFDT, instituée interlocutrice privilégiée du patronat et de l’État… Sauf qu’aujourd’hui, cette politique semble ne plus satisfaire sa base adhérente.

En 2017, la confédération a soutenu la loi Travail XXL, qui, en créant le CSE, a affaibli les instances représentatives du personnel. Résultat : les syndicats (dont ceux affiliés à la CFDT) ont plus de mal à trouver des syndiquées prêtes à s’engager ou à repartir sur un mandat.

La CFDT a aussi subi des revers aux élections professionnelles, comme en décembre 2022 dans la fonction publique hospitalière, où FO l’a distancée. Enfin, ses effectifs ne progressent plus, voire se tassent, malgré le travail de ses « développeurs syndicaux ».

Alors certes, la CGT et Solidaires ont aussi été à la peine en termes d’effectifs et de suffrages… La différence, c’est que la CFDT – c’est dans son ADN – est focalisée sur « la négociation », en évitant au maximum le rapport de ­force préalable et nécessaire ; elle est donc déstabilisée lorsque les conflits sociaux prennent de l’ampleur. Au contraire, la stratégie de la CGT et de Solidaires est basée avant tout sur les luttes ; elle leur offre donc a priori plus de possibilités de se renforcer.

Paris, 7 février 2023. Les secrétaires généraux Philippe Martinez (CGT) Valerie Lesage (URIF CGT) et Laurent Berger (CFDT). Manifestation contre la réforme des retraites.
Copyright : Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas

La CFDT avait parié sur le projet politique macroniste en 2017, pour s’assurer une place de choix. Mais en 2019, alors qu’elle approuvait le projet de casse des retraites, le pouvoir l’a tenue pour quantité négligeable. En 2023, rebelote, le gouvernement a refusé de négocier, privant la CFDT de sa raison d’être.

En 2021 et 2022, certains indices suggéraient déjà que quelque chose se passait au sein de la CFDT. D’abord elle a rejeté l’injonction du gouvernement à valider une économie de 4 milliards d’euros sur les droits des chômeurs.

Puis est venu le congrès confédéral de juin 2022. Contre le document d’orientation, un amendement récusant tout nouveau recul de l’âge de départ en retraite, défendu par l’Interco de la Somme, a été adopté à 67 % des mandats. À l’époque, ce vote est passé inaperçu, car tout le monde pensait que la direction confédérale passerait outre, avec la brutalité habituelle. Or Laurent Berger l’a respecté. Et dans les intersyndicales locales il n’a pas été rare d’entendre des responsables CFDT affirmer que Berger était « tenu » par ce mandat auquel la base était attachée.

Qu’en conclure ? Certainement pas que la CFDT opère un virage stratégique vers la lutte de ­classe. Cela supposerait l’entrée en son sein de nouvelles générations militantes imprégnées par une forte culture de lutte. Mais il est possible que l’épisode de 2023 crée un précédent, avec des répercussions internes durables. Il y a intérêt, les événements l’ont prouvé, à mieux comprendre ce qui se passe vraiment à la CFDT.

Michel (UCL Vosges)


Dossier spécial : Défense des retraites, repensons le combat


 
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