Culture

Lire : Federico Tarragoni « Émancipation »




Le mot est faible : Émancipation

En une époque où il est commun de dénoncer le confusionnisme, il est intéressant de remarquer que les dévoiements des idéologues néolibéraux sont, eux, plutôt soumis à l’omerta. La collection Le mot est faible chez Anamosa, veut y remédier.

Chaque livre analyse un mot tellement tordu par les discours ambiants, qu’il en est essoré de son sens originellement subversif. Après Peuple par Déborah Cohen, Public par Antoine Vauchez, Révolution par Ludivine Bantigny... Federico Tarragoni nous convie ici à une réflexion autour du mot Émancipation.

Le terme a été dévoyé par la vulgate néolibérale macronienne, qui imagina en faire la pierre angulaire de l’édification d’ un « État émancipateur, universel, efficace, responsabilisant » Un État émancipateur  ! La vaste blague.

L’émancipation, dans le langage néolibéral, finit par signifier le contraire de ce qu’elle est dans la réalité sociale. À la fin du XXe siècle, elle est devenue synonyme d’une sorte de libération égoïste  : la suppression de toute règle individuellement contraignante, qui empêcherait l’épanouissement personnel.

La rupture est d’importance  ; le mot s’est racorni, se limitant à la sphère individuelle et donc subjective. Il a perdu la dimension collective qu’il véhiculait dans les luttes contre les dominations.

L’auteur, a contrario, rappelle l’importance cruciale du collectif. L’émancipation, cette fragilité héroïque, est un véritable saut dans le vide. Elle apparaît chaque fois que les individus résistent à des rapports de domination.

« En s’émancipant, l’individu se relie à de nouveaux collectifs. Pour refuser sa place de dominé et accepter l’incertitude des lendemains, il a besoin d’un collectif protecteur et sécurisant. »

Aujourd’hui, « nous nous trouvons à un carrefour. Plus nous banaliserons les états d’urgence démocratiques, plus nous assimilerons la liberté à la consommation, plus nous trouverons confortable l’état de léthargie civique engendré par la gestion gouvernementale des risques sociaux (sanitaires, financiers, sécuritaires, climatiques...), plus l’émancipation s’effacera. »

Il est urgent de « rendre visibles, audibles et pensables les nombreuses tentatives d’émancipation qui voient le jour dans la vie sociale. »

En guise de conclusion, une phrase, une simple phrase et tout un programme  : « Aucune émancipation individuelle n’est possible sans ces solidarités sociales ».

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Federico Tarragoni, Émancipation, Anamosa, 2021, 104 pages, 9 euros.
 
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