Vu de Tunisie : La Syrie instrumentalisée




La situation syrienne intéresse à divers points de vue les acteurs de la révolution tunisienne. Explications d’un camarade tunisien.

Le renversement de la dictature tunisienne a été l’étincelle de départ de ce que l’on a nommé par la suite le « printemps arabe ». Printemps entendu comme la sortie d’une histoire commune faite d’humiliations et de défaites. La décolonisation acquise au prix d’un lourd tribut de larmes et de sang a laissé place à des régimes dont la longévité sourde aux aspirations des peuples a, partout, mené vers l’impasse. La corruption est érigée en mode de gouvernement et l’injustice et la marginalisation sont le lot de pans entiers de la population. Dans les pays arabes, la révolte couvait partout.

[*Certitudes et ambiguïtés*]

Les Tunisiens et Tunisiennes, sortis du joug d’une dictature de cinquante ans, observaient non sans fierté l’effondrement de régimes kleptocratiques en Egypte et au Yemen… Mais l’enthousiasme suscité par le soulèvement d’une partie de la population en Lybie a vite tourné court. La militarisation du mouvement a marqué une dissonance par rapport à la résistance pacifique des jeunesses tunisiennes, égyptiennes et yéménites. L’intervention militaire de l’Otan et l’apparition sur la scène libyenne d’acteurs peu connus pour leur engagement pour la liberté (Qatar, Sarkozy, BHL, …) ont nourri toutes sortes de scénarios conspirationnistes. Le chaos régnant sur une bonne partie du territoire libyen et l’émergence d’un islamisme strident en Tunisie et en Égypte ne cesse de travailler les opinions.

Les rues de Damas et des villes de province ont vu, dès avril 2011, défiler des milliers de « citoyens » réclamant rien de plus que de pouvoir accéder à un minimum de libertés en passant par l’abrogation de la loi d’urgence qui règne depuis 1963. La réponse du régime fut une répression indifférenciée, frappant tous azimuts.

Vue de Tunisie, le mouvement populaire en Syrie a suscité à la fois espoir et inquiétude. L’espoir de voir chuter une autre dictature comme dans une réaction en chaîne. Mais nul ne doutait de la férocité de la réaction du parti Baath. Les slogans de résistance face à Israël scandées depuis quarante ans par le régime ne trompent plus personne.

[*Division des opinions*]

En Tunisie, on parle de Syrie pour évoquer la barbarie de la famille Assad et pour dénoncer un complot fomenté par l’axe États-Unis-Israël-monarchies du Golfe. Mais l’appréciation du mouvement dépend du point de vue où l’on se trouve dans le spectre politique. Les islamistes perçoivent dans les crimes baathistes le prix à payer pour voir s’ériger sur la terre du Cham le sixième khalifat. La gauche quant à elle, suit avec circonspection le déroulement des événements. On y voit unanimement un mouvement populaire spontané qui a vite été instrumentalisé par des puissances étrangères. Et notamment via une entente sacrée entre Israël et les monarchies pétrolières conclue dans le but de venir à bout de la résistance palestinienne et d’affaiblir durablement l’Iran.

En tous les cas, l’issue de la révolte et la sortie de la crise divise les opinions. Un Baath réformé et maintenu provisoirement au pouvoir serait pour certains garant d’une transition démocratique, que le règne de la Charia ne saurait garantir. Mais en dehors des cénacles politiques, les tunisiens affichent un soutien sans faille à une révolution « cousine » de la leur, prise dans les conflits d’intérêts régionaux.

Béchir Mezni (militant tunisien)

 
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