Mali : Un régime pourri de l’intérieur




À Bamako, le 22 mars 2012, un coup militaire a renversé le président malien Amadou Toumani Touré et son gouvernement. Décryptage.

Fin mars, le président Amadou Toumani Touré (dit « ATT ») était renversé par un coup d’État militaire. Motifs annoncés : l’incapacité de l’État à faire face aux attaques armées du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et d’autres groupuscules depuis janvier 2012 au Nord, et la corruption qui gangrène l’État et l’armée.

Si tous les Maliens ne soutiennent pas le putsch, ils s’accordent sur un constat : le régime déchu était pourri de l’intérieur, laissant à son propre sort la population malienne. Ils lui reprochent aussi son « laxisme » vis-à-vis des rebelles, avec pour conséquence la guerre.

ATT a été élu en 2002 grâce à son aura : il a été ce militaire qui renversa le dictateur Moussa Traoré en mars 1991 puis rendit le pouvoir aux civils. Mais après dix ans à la tête du Mali, le bilan est accablant. Au nom du rassemblement, il a anéanti le pluralisme politique et l’opposition, aussi le silence s’est-il fait sur le clientélisme, la corruption, la politique libérale et les trafics. En effet, l’instabilité au Nord est en partie due à la complaisance, voire la complicité, de politiques et hauts gradés concernant les trafics divers et la présence des groupes salafistes – Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi) – au Nord, qui sont liés.

[*Influence de la guerre en Libye*]

La situation calamiteuse au Nord s’explique aussi par l’incohérence des réponses du Mali aux revendications de longue date d’autonomie des Touareg, principaux habitants du Nord Mali qui y cohabitent entre autres avec des Songhaï et des Arabes. La dernière attaque de rebelles touaregs avait entraîné en 2006 la signature avec l’État malien des accords d’Alger, vivement critiqués, qui réduisaient drastiquement la présence de l’armée régulière au Nord, laissant une grande liberté au trafic. Une grande part de responsabilité revient aussi aux initiateurs de la guerre de l’Otan contre le dictateur libyen Kadhafi en 2011 : la France, suivie par les États-Unis et l’Union européenne. Alors qu’ils sont arc-boutés sur la sécurité et la « lutte contre le terrorisme » au Sahara,ils ont refusé de voir qu’elle impliquait de façon évidente le retour dans leurs pays respectifs de nombreux combattants nigériens ou maliens touaregs armés. De façon étonnante, le Mali les a accueillis en grande pompe au lieu de les désarmer.

[*Retour à l’ordre ?*]

La junte au pouvoir a très vite été prise en étau entre l’offensive des rebelles au Nord et les pressions de la « communauté internationale », représentée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la France et les États-Unis, premier partenaire militaire du Mali, pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Très vite, les trois régions maliennes du Nord se sont retrouvées aux mains des groupes rebelles, le MNLA et le groupuscule islamiste Ansar Dine qui regroupe des transfuges du laïc MNLA et d’Aqmi. Le MNLA a déclaré l’indépendance de l’Azawad le 5 avril. À ce jour, la perspective va-t-en guerre du Mali, de la Cedeao et de la France prête à apporter un « soutien logistique », contre le MNLA semble laisser place à la négociation, et l’on entend moins parler des islamistes d’Ansar Dine. Mais la solution politique est loin, et la situation humanitaire des 260 000 déplacés liés à cette crise est de plus en plus critique.

Les pressions internationales ont abouti à un accord politique fragile et à la nomination d’un Président et d’un Premier ministre. Des négociations compliquées sur sa mise en œuvre entre les clans pro ou anti–putsch continuent sous l’égide de médiateurs-dictateurs de la Cedeao, les présidents Compaoré du Burkina Faso puis Ould Abdelaziz de Mauritanie.

[*Rôle de la France*]

La situation au Mali appelle à des questions sur les liens passés entre les autorités maliennes et Aqmi, Ansar Dine, voire le MNLA, mais surtout sur le rôle de la France : quel est le bilan de la guerre en Libye ? Le gouvernement français a-t-il soutenu, au-delà d’un silence complice, le MNLA, rencontré en décembre 2011 à Paris ? Pourquoi a-t-il poussé à la négociation entre le Mali et eux dès janvier 2012 ? Serait-ce pour renforcer son accès aux ressources au Nord Mali et sa présence dans la zone, quelque peu mise à mal par la concurrence des Etats-Unis ?

Juliette (militante à Survie)

 
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