Protectionnisme : Un peu, c’est la misère, beaucoup, c’est la guerre




Certains mettent, aujourd’hui, en avant la solution du protectionnisme pour relancer l’économie. Mais le capitalisme forme un tout difficilement séparable, et tenter d’élever des barrières douanières pour sortir de la crise ne mènerait à coup sûr qu’au pire cauchemar réactionnaire et à la guerre.

Le chômage est à son plus haut taux en Europe depuis un bail. Des millions de travailleuses et de travailleurs européens au chômage perçoivent le peu d’indemnités que l’austérité n’a pas encore grignoté, pendant que des millions d’autres n’ont même plus ce droit-là. Face à cette situation, et car il s’agit pour le patronat européen d’en profiter sans vergogne, on voit proliférer les discours sur la remise au travail. En général, ces discours prennent deux aspects. En premier lieu, la réduction des coûts du travail, le prix que paient les patrons pour louer notre capacité à travailler. C’est la rigueur, ou l’austérité, selon le terme qu’utilisent les sortants : si l’ancienne majorité parlait de rigueur, la nouvelle sera austère, ou inversement.

Car en Europe, les majorités changent beaucoup ces derniers temps, lorsqu’elles n’en sont pas arrivées à l’union nationale une fois les deux camps définitivement grillés [1]

En deuxième lieu vient le thème du protectionnisme européen – voire national pour les plus tourmentés – et l’inflation des prix qui l’accompagne, et qui sous couvert de protéger l’économie, ne revient au final qu’à participer, comme l’austérité, à nous ramener au même prix que les prolétaires chinois ou indiens.

Au début, la hausse des prix

Dans ces cas-là on parle de « populisme » car les tenants de cette ritournelle se flattent d’être plus sympas avec les pauvres, puisqu’ils ne veulent que taxer les produits de consommation, pas baisser les salaires. Résumons le discours des tenants du protectionnisme. Pour que les industries européennes vendent plus, il faut que les gens achètent des produits européens plus chers que leurs équivalents extra-
européens. Mais ils ne voudront pas (quel manque de civisme !). Alors il faut taxer les produits pas chers venus d’ailleurs, comme ça, ils coûteront bonbon.

Du coup, obligé, il le faut bien, on se remettra à acheter des chaussures italiennes, des soutifs français etc. Le tout relancera les industries, il y aura du boulot en veux-tu – et même si tu n’en veux pas – en voilà. Et hop, on a réglé la question, tant pis pour les Chinois. Ça, c’est dans l’idéal (le leur). Ensuite, il y a l’application, qui s’avère bien plus compliquée...

Tout est dans la mesure : à petite dose, ça ne fera que faire monter les prix. Toujours ça pour les caisses des États, ce qui leur permettra de rembourser un peu plus longtemps leurs dettes immenses. Appliqué avec vigueur, c’est-à-dire, au vu de l’état de l’industrie européenne, jusqu’à une quasi-autarcie, c’est la catastrophe à court terme, la guerre ensuite.

La dernière étape, c’est la guerre

D’abord, sa version la plus énervée : le protectionnisme intégral. Mourir pour Thomson et Nokia ? Certes, il n’est nullement dans l’intérêt des capitalistes d’Europe de soutenir de telles positions, mais allons pour une fois jusqu’au bout de la logique, jusqu’à l’absurde. Suffisamment de gouvernements européens, dont l’axe franco-allemand, basculent en faveur d’un protectionnisme énervé.

Par exemple, pour faire dans la politique-fiction, imaginons l’arrivée au pouvoir de coalitions de gauches amatrices de révolution citoyenne : les frontières douanières montent et les produits non-européens deviennent inabordables [2].

Les mesures de rétorsions surviennent rapidement, rendant les produits européens invendables dans le monde, hormis dans le secteur postcolonial qui reste dans la sphère européenne. Cela nécessite aussi la nationalisation d’une bonne partie des entreprises extra-européennes présentes en Europe et la fin des capitaux européens à l’étranger, saisis eux aussi par mesure de rétorsion. L’ensemble de ces mesures amènent alors à un krach bancaire mondial, car le pognon ne circule plus entre les banques, qui sont donc dans l’impossibilité de se refinancer, et donc de faire face aux échéances quotidiennes. Soit la Banque centrale européenne (BCE) laisse filer, soit elle tente ce qu’elle peut pour l’arrêter, mais dans les deux cas on peut dire adieu à l’Euro.

D’autant que les fonds de la BCE qui garantissent cette monnaie sont libellés essentiellement en dollars, ce qui à ce moment-là de notre petite anticipation est utile à rappeler s’il fallait démontrer que le capitalisme d’aujourd’hui forme un tout difficilement séparable. La dernière étape de ce joli scénario, c’est la guerre. L’industrie de l’armement étant à la fois l’une des seules échappatoires pour relancer une économie à genoux et le meilleur moyen de conquérir de nouveaux marchés pour écouler les produits européens refusés dans le monde entier, la guerre mondiale éclate...

Arrêtons-là la fiction. Elle ne servait qu’à démontrer qu’une politique douanière suffisamment agressive pour permettre la ré-industrialisation réelle de l’Europe, en ces temps de mondialisation des échanges, serait un cauchemar réactionnaire. Peu importe qui porte le projet...

C’est le capitalisme ou nous !

Revenons à la réalité des politiques dites protectionnistes en ces temps d’austérité. Faire monter de quelques points les taxes à l’importation, introduire une TVA dite « sociale », est en revanche parfaitement à l’ordre du jour.

Comme on s’en doute, ces mesures ne rendront pas les produits français ou européens moins chers. Elles ne feront qu’augmenter l’inflation, la cherté de la vie : ce ne sont pas les capitalistes
chinois qui paieront la montée des prix des télés en France, et ça il faudra un peu plus que de la rhétorique à deux euros pour nous le faire croire. Les accents protectionnistes ne visent qu’une chose : nous faire croire que nous avons des intérêts communs avec les patrons du sous-continent où nous avons l’insigne honneur d’être exploités par eux. Le pipeau qui accompagne les coups. Le système capitaliste traverse en ce moment une crise, peut-être la pire de son histoire : il ne s’en sortira qu’en nous écrasant.

Pour que l’on coûte moins cher à entretenir, et que l’on génère donc plus de plus-value. C’est l’objectif réel des politiques d’austérigueur, et le discours protectionniste n’en est qu’un aspect camouflé, quand il n’est pas poussé jusqu’aux sommets de délire nationaliste dont nous avons détaillé les conséquences... Pour conclure, rappelons que les perspectives sont ouvertes. À nous de les saisir, et de construire un monde débarrassé des frontières, sans salariat, ni État. C’est le capitalisme ou nous.

Rien n’est joué.

Nico (AL Marseille)

[1C’est déjà le cas en Irlande, en Italie, en Grèce et même en Allemagne, ou la principale opposition (SPD) sort d’une coalition avec la droite et lui apporte régulièrement son soutien.

[2L’Europe continentale, évidemment : les intérêts britanniques ne peuvent pas se permettre avec une telle politique, et la Grande Bretagne n’est même pas dans la zone Euro.

 
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