Le Dico anti­capitaliste : Qu’est-ce que l’« autonomie du mouvement social » ?




Chaque mois, un mot ou une expression passée au crible, par Théo Rival.


Août 1998, le quotidien Libération publie un « Appel pour l’autonomie du mouvement social ». Signé par des syndicalistes de Sud (Aérien, Éducation, PTT, Rail), de la CGT et de la tendance École émancipée de la FSU, il l’est aussi par des militantes et militants des « nouveaux mouvements sociaux » des années 1990 – Agir ensemble contre le chômage (AC !), Droit au logement, Droits devant !!...

L’appel répond alors à une légère embrouille conjoncturelle  : dans le but d’agrémenter leurs listes aux élections européennes de 1999 d’un « plus » syndicalo-associatif, la Ligue communiste révolutionnaire et le PCF tentent à l’époque de débaucher des figures marquantes des luttes sociales. L’Appel pour l’autonomie prend le contre-pied de cette démarche d’instrumentalisation du mouvement social à des fins tristement politiciennes.

Que dit-il  ? D’abord que les mouvements sociaux font de la politique et sont à même de dessiner, par eux-mêmes, un autre futur. Que leurs luttes, si elles peuvent être défensives, n’y sont pas bornées. Enfin, que la hiérarchisation entre partis et mouvements sociaux, au bénéfice des premiers, mène à une impasse pour toute politique d’émancipation digne de ce nom.

Des affirmations qui malmènent le « rôle dirigeant du parti » cher aux léninistes. Retrouvant l’esprit de la Charte d’Amiens, qui en 1906 affirmait que le syndicalisme était indépendant des organisations politiques et n’avait pas besoin d’elles pour se débarrasser du capitalisme, le principe d’autonomie du mouvement social, loin d’être un concept fumeux pour révolutionnaires en chambre, trace une démarcation stratégique pour des luttes bien réelles.

Un positionnement assumé  : « Sur des revendications précises, dans des actions sur des objectifs ciblés, ces mouvements de lutte s’affrontent aux pouvoirs publics ainsi qu’aux décideurs économiques et ébranlent le consensus politique institutionnel […]. Ce qui nous motive et qui nous réunit dans la diversité de nos interventions, c’est le désir de participer à un projet de transformation sociale ». Bien plus qu’à un habillage électoral – souvent bien étroit et largement débordé par la richesse des luttes. Partir de celles-ci pour changer la société c’est être plus proche d’une logique de contre-pouvoir que de la conquête de l’appareil d’État.

En octobre 1999, un second appel – auquel se rallie Pierre Bourdieu – élargit encore le spectre des signataires. Suite et fin  ? Pas si sûr… Très récemment des syndicalistes CGT, FSU, mais aussi Sud-Solidaires, ont publiquement constitué un appendice parasyndical du Front de gauche, le « Front des luttes ». Comme quoi, réaffirmer la nécessaire autonomie du mouvement social est loin d’avoir perdu de sa pertinence.

 
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