Amour anarchie : Le mariage pour personne




A l’heure où les anti «  mariage pour tous  » pensent que la société va s’effondrer parce qu’une loi l’autorisant vient d’être votée, on peut au contraire regretter le manque de radicalité des mouvements sociaux progressistes actuels. En effet, aussi bien chez les féministes que les anarchistes, il s’agissait plutôt autrefois d’abolir le mariage.

L’anarchiste Joseph Déjacque, partisan de l’émancipation des femmes, prônait l’abolition du contrat. La forme contractuelle lui paraissait contraire à la fois à ses idéaux communistes et féministes. Il écrit par exemple dans une utopie qu’il a intitulé L’Humanisphère  : « Hommes et femmes font l’amour quand il leur plaît, comme il leur plaît, et avec qui leur plaît. Liberté pleine et entière de part et d’autre. Nulle convention ou contrat légal ne les lie. L’attrait est leur seule chaîne, le plaisir leur seule règle ». En effet, si Déjacque est opposé au contrat, que ce soit le contrat sociale, celui de l’économie marchande ou encore de mariage, c’est qu’il se situe implicitement dans la lignée de la critique qu’effectue Rousseau, dans Le discours sur l’inégalité. Selon cet ouvrage, le contrat fut inventé afin que certains puissent garantir leur privilèges politiques et économiques. C’est une ruse que l’on fait accepter aux dominées et qui les conduit à reconnaître l’Etat et la propriété privée. Le contrat de mariage au XIXe s. consacre l’inégalité juridique entre le mari et la femme.

On peut certes penser qu’aujourd’hui, il n’en va plus de même. Le code civil a été profondément réformé pour reconnaître l’égalité juridique des époux. Mais c’est là se limiter à une lecture libérale des phénomènes sociaux. En effet, l’inégalité économique et sociale entre hommes et femmes, dans notre société, est telle qu’elle pousse encore souvent les femmes au mariage.

Un échange économico-sexuel

En effet, ce que les féministes matérialistes ont mis en valeur en valeur, c’est que le mariage constituait, au même titre que la prostitution, un échange économico-sexuel. Ainsi au moment du divorce, la femme pourra espérer toucher une indemnité de dédommagement, appelée prestation compensatoire, pour l’éducation des enfants et les travaux domestiques, tandis qu’elle touche en moyenne 27 % de salaire en moins que son époux. Si elle est en concubinage, elle n’aura droit à rien.
Cette comparaison entre la prostitution et le mariage est également présente chez les auteurs anarchistes. Dans la lignée de Déjacque, ce qui est souligné, c’est que le mariage ne permet pas une liberté dans les relations sexuelles, mais conduit à un droit de propriété sur le conjoint. C’est ce que souligne par exemple un article du journal anarchiste, L’En dehors, en date de 1931, intitulé «  Les éléments de prostitution dans le mariage  »  : « Quelle est, après tout, la différence entre le mariage et la prostitution ? La prostitution est l’utilisation publique d’un certain corps alors que le mariage est le monopole privé d’un certain corps.[...]  Le mariage est de la prostitution prolongée, la prostitution est un mariage temporaire ».

Avec le mariage, se trouve garanti la norme du couple monogame. Or, il peut apparaître discutable que des privilèges juridiques soient accordées aux personnes mariées. Ainsi, pour une véritable lutte contre la discrimination et pour l’égalité, plutôt que le «  mariage pour tous  », il serait préférable de revendiquer le «  mariage pour personne  ».

Irène (AL, Orléans)

 
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