Argumentaire n°1 (2002)

Retraites : Notre avenir n’est pas à vendre




L’UMP comme le PS, le MEDEF et la CFDT, tous les gestionnaires du libéralisme veulent casser le système de retraites actuel en introduisant un système dit de « capitalisation », lié à la Bourse. Pourquoi faut-il combattre la retraite par capitalisation ?

CINQ RAISONS DE SE BATTRE POUR LA DÉFENSE DES RETRAITES (MÊME QUAND ON EST JEUNE !

  1. Elle dresse les travailleur(se)s les un(e)s contre les autres. Aux USA et en Grande-Bretagne, le capital financier est parvenu à faire en sorte que d’ancien(ne)s salarié(e)s dépendent, pour le niveau de leur retraite, de la férocité avec laquelle sont exploité(e)s leurs camarades en activité.
  2. Elle n’offre aucune sécurité par rapport au système par répartition. Les retraité(e)s qui miseraient sur des fonds de pension risqueraient de toucher moins, voire rien. En effet les sommes amassées seraient placées sur les marchés financiers, à la merci d’un krach ou d’une crise comme le capitalisme en génère régulièrement.
  3. Elle ne peut pas compléter le système par répartition, mais le cannibaliser. Par son existence même, parce qu’il repose sur une logique de baisse des charges sociales, le système par capitalisation grignoterait et détruirait progressivement le système par répartition.
  4. Elle casse le principe de solidarité intergénérationnelle. Chacun(e) épargnerait pour sa propre retraite. Les riches s’en sortiraient peut-être, et les pauvres pas du tout.
  5. Elle est un facteur supplémentaire d’instabilité économique. Les énormes volumes monétaires des fonds de pension sont placés dans les régions du monde où le rendement est le meilleur. Ils permettent la captation par le Nord d’une partie des richesses créées dans le Tiers-Monde, et peuvent en être retirés dès que la situation se dégrade, accélérant la crise. On en a vu le résultat avec la crise mexicaine ou celle de l’Asie du Sud-Est en 1998.

Avec la retraite par capitalisation, les gens croiront épargner égoïstement pour eux. En fait ils prendront tous les risques, et épargneront pour les banquiers et le patronat.


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LES FONDS DE PENSION, C’EST QUOI ?

Ce sont des fonds complémentaires de retraite, pour lesquels chaque salarié pourrait cotiser sa vie durant. Les sommes récoltés sont jouées en bourse par l’entreprise dans laquelle vous travaillez ou par une société privée (type compagnie d’assurance ou banque). Et lorsque vous arrivez à l’âge de la retraite, les fonds doivent vous verser une pension...

L’objectif officiel de l’Etat et du patronat, c’est d’obliger les salariés à compléter, par capitalisation, une retraite dont le montant sera de plus en plus réduit à l’avenir. Le montant de la retraite ne dépendra alors plus des dernières fiches de paie. Il ne sera pas non plus indexé sur les salaires ou sur les prix. Il dépendra du succès avec lequel on aura fait « fructifier » cette épargne. En effet leur gestion serait confiée à des organismes privés, chargés de les placer en bourse pour en obtenir le meilleur rendement... ce qui reviendra à jouer sa retraite en bourse.

A qui est-ce que ça profite réellement ?

Les salariés n’ont à peu près rien à y gagner qu’une précarisation accrue de leur retraite. Denis Kessler, n°2 du Medef, n°1 du lobby des compagnies d’assurance et véritable idéologue du patronat, ne cesse depuis des années de réclamer la création de fonds de pension en France. Les assureurs se frottent les mains car ils se verraient à coup sûr confier le placement de cet argent en bourse, et toucheraient des dividendes sur les profits qu’ils dégageraient. Les patrons se frottent les mains, car pour confier l’argent de leurs salariés à ces assureurs, ils pourraient exiger en retour que ces fonds soient placés dans leur entreprise.

Que se passe-t-il lorsqu’ils sont mis en place ?

Tout d’abord, ils précarisent les retraités, qui sont à la merci d’une crise financière comme le capitalisme en crée épisodiquement. Ensuite, ils renforcent la domination des capitalistes sur les travailleurs. Aux USA, où il n’y a quasiment pas de régime de retraite, les fonds de pension privatisés représentent 20000 milliards de dollars ; en Grande-Bretagne, 7000 milliards de dollars. Ces masses financières énormes servent à la spéculation en bourse, en vue de bénéfices rapides. On connaît la suite : au nom de la productivité, leur intérêt est de pousser à pressurer les salariés, pour engranger plus vite davantage de profit - on se souvient des licenciements « boursiers » chez Michelin en 1999. On en arrive à des situations où c’est avec l’argent des grands-parents que l’on exploite plus férocement les enfants.


QUEL VA ÊTRE LE PRÉTEXTE IDÉOLOGIQUE ?

Un échantillon de quelques fumisteries

 la capitalisation peut compléter la répartition sans s’y substituer

FAUX. Les patrons qui créeront des fonds de pensions feront tout pour ne pas payer en parallèle les cotisations sociales qui alimentent la répartition. Très vite la partie « complémentaire » grignoterait donc le reste de la retraite, parce que l’objectif des fonds de pension est de détourner la manne financière des retraites pour alimenter le système boursier.

 on peut associer les syndicats à la gestion de ces fonds

VRAI. Et alors ? Le marché est le marché, l’argent n’a pas d’odeur. Aux USA où dans certaines entreprises les syndicats cogèrent les fonds de pension, ils n’ont fait que s’en rendre complices, sans rien y changer !

 on peut faire des placements « éthiques » et « responsables »

FAUX. Il n’existe aucun moyen de contrôle sur l’ensemble des secteurs de la production ou des fournisseurs d’une multinationale. Il est impossible d’affirmer catégoriquement que telle ou telle n’exploite pas des enfants ou ne saccage pas la nature. Il est impossible de dire qu’une entreprise, la plus solide soit-elle, ne chutera jamais en bourse (voir Vivendi, France Télécom...).

 grâce à l’actionnariat, les salariés contrôleront plus leur entreprise

FAUX. Messier lui-même souhaitait porter la part de l’actionnariat salarié au sein de Vivendi de 4% à 10%. Etait-ce pour donner plus de pouvoir aux salariés ? Non, c’était simplement pour recapitaliser la multinationale avec leur argent. Les entreprises fonctionnent comme de petites monarchies. Les salarié(e)s ne s’y font entendre qu’en s’organisant, pas en en détenant 5% !


GASPILLAGE, INSÉCURITÉ, DÉTOURNEMENTS

La triste histoire des fonds de pension

Les premiers systèmes de retraite mis en place au début du 19e siècle étaient des systèmes par capitalisation. Avec la crise monétaire du début des années vingt, de nombreux épargnants furent ruinés. Idem avec la « grande dépression » des années 1930. A partir de la fin des années 1930 et surtout après 1945, à un moment où le mouvement ouvrier était en position de force, le système par répartition s’est imposé. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que la capitalisation fait son retour, avec les fonds de pension.

Plusieurs grandes affaires illustrent bien la redoutable « efficacité » du système par capitalisation.

 1991 : Maxwell part avec la caisse. Robert Maxwell, magnat de la presse britannique avait cru pouvoir renflouer son empire défaillant en pillant les fonds de pension de ses employés (près de 750 millions d’euros), avec la complicité de ses banquiers et de son cabinet d’audit. Ce fût malgré cela la faillite, puis la ruine de ses salariés et des petits actionnaires. Au total, 32 000 salariés ont été spoliés.
 2001 : Enron s’effondre sur ses salariés. Pendant quinze ans le groupe Enron s’est développé grâce à la déréglementation du marché de l’énergie, à la corruption de sa bureaucratie et de la classe politique et surtout grâce à des comptes largement bidonnés avec la complicité d’Arthur Andersen, le cabinet d’audit le plus prestigieux du monde. Un beau jour, cette compagnie, qui était devenu la septième des Etats-Unis, s’écroule. En un an, sa valeur boursière a été divisée par 350. Or 60% des fonds de pension destinés à financer la retraite des employés d’Enron étaient investis en actions Enron... Pour les 40000 salariés, c’est donc, en plus de la perte de leur emploi, l’annihilation de leur « épargne salariale » (plus d’un milliard de dollars) et de leur couverture retraite. A cette catastrophe, il faut ajouter la volatilisation des fonds de pension pour des milliers d’autres salariés qui avaient cru au cours mirobolant de l’action Enron en bourse. La trentaine de dirigeants de l’entreprise, eux, sachant le crash proche, ont au dernier moment vendu toutes leurs actions, empochant avant de tirer leur révérence un peu plus de 1,1 milliard de dollars...
 juin 2002 : les salariés-actionnaires de Vivendi perdent tout. En juin 2001, Vivendi lançait un vaste programme d’épargne salariale. Il s’agissait de consolider le capital du groupe en poussant les salariés à y investir leur argent, et d’essayer de développer une culture d’entreprise en leur faisant croire que Vivendi leur appartenait un peu (les salariés représentant 4% de l’actionnariat). Un an plus tard, patatras. « Les gens vont perdre à la fois leur emploi et leurs économies », comme le confiait au Monde (en date du 4 juillet) un cadre de Vivendi proche de Messier.
 juillet 2002 : les retraités suisses escroqués par l’Etat et le patronat. Sous la pression des compagnies devenues insolvables avec la crise boursière, le gouvernement suisse les a autorisées à verser aux retraités moins que ce qu’elles leur devaient, sabrant dans les pensions pour permettre au patronat de mieux respirer. Bien évidemment, quand les marchés financiers étaient florissants, et que les fonds étaient rentables, les compagnies ont gagné beaucoup d’argent, qu’elles n’ont bien sûr pas redistribué aux retraités, mais aux actionnaires...
 juillet 2002 : la faillite titanesque de Worldcom. La faillite du géant américain des télécommunications Worldcom, encore plus gigantesque qu’Enron, encore plus bureaucratique et corrompu, ont entraîné une chute de 99% de la valeur de l’action. Worldcom avait 60000 salariés. Combien, dans l’affaire, ont perdu leurs économies ? Au-delà, ce sont des centaines de milliers de travailleurs américains qui se retrouvent précarisés par l’affaissement de la Bourse.


37,5, 40, 42,5 OU 45 ANNUITÉS : QUEL SENS ONT CES CHIFFRES ?

Le nombre d’années de cotisation n’a rien d’un stérile débat de chiffres : il dit prosaïquement la possibilité ou l’impossibilité pour un travailleur d’avoir son droit à la retraite. Depuis Balladur en 1993, les travailleurs du privé doivent atteindre 40 annuités de cotisation pour prétendre toucher 100% de leur retraite.

Imaginons donc une jeune employée moyenne qui, après avoir décroché un BTS, rentre sur le marché du travail à 20 ans (l’âge moyen, en France, de l’entrée dans la vie active est de 22 ans). Si elle veut avoir droit à sa retraite complète, il faudra qu’elle travaille de 20 à 60 ans sans interruption, sans période de chômage... ce qui est quasi impossible.

Selon un rapport de 1998 au Sénat, la durée moyenne de vie active s’est réduite de 40,9 ans en 1981 à 37,4 ans en 1996. Donc demander, comme le prévoient le PS et la droite, 42,5 annuités ou, comme le Medef, 45 annuités, cela revient à dire que plus personne n’aura droit à 100% de sa retraite à 60 ans.

Pour l’instant les régimes de retraite complémentaires (Arrco et Agirc) assurent la différence, mais exploseraient sous l’effet d’un allongement de la durée de cotisation.

Alors pour atteindre cet objectif toujours plus lointain, il y aurait le fameux « troisième étage »... la capitalisation.

Place aux riches ! Pour les pauvres, le Medef et la CFDT ont songé à une alternative. Pour atteindre le nombre d’annuités nécessaire, on pourrait instaurer la « retraite à la carte », et « faire sauter le verrou de la retraite à 60 ans ». Autrement dit, certains salariés auraient la "liberté" de travailler jusqu’à 70 ans s’ils veulent toucher une retraite complète. C’est ce qui se passe en Grande-Bretagne, où les fonds de pension, par ailleurs incapables d’assurer une retraite décente aux retraités, ont considérablement affaibli la retraite publique. Le gouvernement travailliste, au lieu d’augmenter les cotisations patronales, parle donc de reculer l’âge de départ en retraite à 67, voire 70 ans.

Travailler plus, gagner moins, enrichir les compagnies d’assurance : non, décidément, 37,5 ou 42,5, ça n’a rien d’un débat de chiffres !


LA PYRAMIDE DES ÂGES SAPE LA CAPITALISATION

Brisons un mythe : la baisse du nombre d’actifs par rapport aux inactifs (retraités notamment) menace tout autant le système par capitalisation que le système par répartition.

Dans l’imagerie, le schéma est simple, comme dans ce spot de pub pour une banque, diffusé en 2001 : « Non papa, je ne paierai pas ta retraite, car ma génération est numériquement trop faible pour entretenir la tienne. Donc cotise à un fonds de pension qui est une sorte de grosse tirelire, et prépare tes vieux jours toi-même. »

Bien sûr, dans la réalité, la « capitalisation » des salariés ne se fait pas sous la forme d’un trésor enterré au fond du jardin, et leur assurant une forme de sécurité. Ce serait ignorer la volonté des capitalistes à mettre la main sur le magot.

Les cotisations que vous confierez à un fonds de pension ou à votre entreprise seront dépensés, soit en investissements productifs, soit en achats d’actions en bourse. Votre entreprise aura, en quelque sorte, des dettes envers vous. Or, selon une étude publiée en mai par la banque Morgan Stanley (Le Monde Economie du 19 juin 2002), de nombreuses multinationales plieraient rapidement sous le poids des dettes contractées envers leurs retraités. Et de citer l’exemple de Bethleem Steel, une entreprise qui avait cinq salariés cotisants pour un retraité dans les années 1980, et se retrouve avec le ratio inverse vingt ans plus tard : un terrible choc budgétaire pour l’entreprise, au moment de régler les pensions. Ajoutez à cela l’instabilité profonde du marché capitaliste et de la bourse, et l’opacité généralisée des comptes des grandes entreprises, et vous comprendrez que la capitalisation représente un réel danger pour les naïfs qui y auraient souscrit.

A moins qu’une fois de plus le capitalisme aille chercher le pompier habituel : l’Etat. Incapables de prendre leurs responsabilités, coupables d’un gaspillage et d’un drame social de grande ampleur, les grandes entreprises exigeraient de l’Etat qu’il règle leurs dettes « au nom de l’intérêt général ». Un scénario cynique, mais à la limite plus rassurant que ce qui s’est passé en Suisse en juillet 2002.


UNE ALTERNATIVE : LA REDISTRIBUTION DES RICHESSES

La société produit toujours plus de richesses, mais qui sont de plus en plus mal réparties.

Depuis 30 ans, le produit intérieur brut (PIB, indice de la richesse produite sur le territoire français) a doublé, pour atteindre en 2001 1 468 milliards d’euros selon l’Insee. Pourtant, la part des salaires et des prestations sociales (assurances vieillesse, chômage, maladie...) dans le PIB a continuellement baissé sur la même période. En effet, en 1980, 70% de la richesse produite revenait aux travailleurs sous forme de salaires et de prestations sociales.
Aujourd’hui, ce ne sont plus que 60%. Le reste va au capital (patrons, actionnaires...).

Les 10% manquants représentent 146 milliards d’euros : une somme fabuleuse qui, à elle seule, pourrait assurer un revenu décent à tou(te)s les retraité(e)s, les chômeur(se)s, les jeunes en formation...

Il n’y a pas de « problème des retraites », il y a un problème d’appropriation par les capitalistes des richesses produites.
Il est donc hors de question de faire encore payer les travailleurs.
Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, la richesse produite est largement suffisante pour subvenir aux besoins de tous et de toutes.

La redistribution des richesses, ça s’impose ! Sous forme de salaires, d’embauches, de prestations sociales. Il n’y a rien à lâcher, il y a tout à reprendre !

Nous n’avons rien à attendre de la gauche institutionnelle (PS, PCF, Verts...). Comme en mai 68, comme en décembre 95, il faudra une grande mobilisation collective.
Il faut empêcher l’introduction des fonds de pension tout en dépassant le système actuel, trop inégalitaire.

Le système de retraites repose sur deux idées fondamentales :

  1. la solidarité intergénérationnelle : ce sont les actifs d’aujourd’hui qui se cotisent pour faire vivre les inactifs (retraités, chômeurs...) ;
  2. l’assurance-vieillesse : pour prétendre à une pension, il faut remplir certaines conditions, dont celle d’avoir cotisé plusieurs dizaines de trimestres.

Si le point 1) est parfaitement légitime, et rationnel du point de vue de la création de richesses, le point 2) est beaucoup plus discutable : quand par exemple de nombreux jeunes ne peuvent trouver du travail, la société leur interdit à terme de disposer d’une retraite décente. Ainsi, à l’arrivée certains ont des retraites très confortables, alors que d’autres sont condamnés à vivre leurs vieux jours en-dessous du seuil de pauvreté. Un revenu décent devrait être un droit inconditionnel.

Les capitalistes cherchent à annihiler le point 1) et à se servir du point 2) pour détourner à leur profit l’assurance-vieillesse.

Il est logique que l’ensemble des travailleur(se)s se battent dans une logique radicalement inverse, au-delà du seul combat pour un retour aux 37,5 annuités de cotisation pour toutes et tous :
 droit à la retraite à 55 ans pour toutes et tous, avec la totalité des droits quelle que soit la durée de cotisation... et avec l’embauche correspondant aux emplois libérés ;
 abolition de toute forme de capitalisation (fonds de pension, épargne salariale, stock-options...) qui gangrène le système actuel ;
 égalisation et revalorisation des retraites ;
 financement des retraites en augmentant les cotisations sociales du patronat : il faut être « réaliste » et « faire des sacrifices » !
 refus de la cogestion comme de l’étatisation ds organismes sociaux (Sécu, assurance-chômage, etc.) et réappropriation par les assurés sociaux de leur gestion. Les administrateurs devant être élus, rendre compte de leur mandat et être révocables par ceux qui les ont élus.


Pour en savoir plus :

  • Les Retraites au péril du libéralisme, coordonné par Pierre Khalfa et Pierre-Yves Chanu, Syllepse.
  • Fonds de pension piège à cons ?, Frédéric Lordon, Liber/Raisons d’agir.
  • Medef, un projet de société, Thierry Renard et Voltairine de Cleyre, Syllepse, 2001.
 
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