12e congrès d’AL (Castillon-du-Gard, 2015)

Fondements politiques et stratégiques pour une approche communiste libertaire de l’écologie




« Les problèmes écologiques ont une origine sociale, et ne peuvent être résolus qu’en s’attaquant à cette origine : le mode de production capitaliste, et le productivisme en général. Propriété privée des moyens de production, marchandisation de la vie sociale, choix éducatifs, vision exclusivement scientifique de la médecine, mécanismes d’exploitation et de domination, création artificielle de besoins... »

Sommaire


Développer nos positions écologistes

Reconnaître la crise écologique en cours

Nous devons, dans notre vocabulaire et nos analyses, considérer que nous sommes déjà rentrés dans une crise écologique majeure. Il faut parler du changement climatique au présent, car la température moyenne s’est déjà réchauffée de 0,8°C depuis 1880, et que les records de températures ne cessent de s’enchaîner. De même, la pollution des eaux, la destruction des sols par l’agriculture chimique et l’urbanisation, la déforestation, l’épuisement de multiples ressources (métaux, hydrocarbures, …), la forte réduction de la biodiversité (disparition de nombreuses espèces végétales et animales), etc., ont déjà des conséquences importantes. Nous ne sommes donc pas à l’aube d’une crise écologique, mais bien dans une crise écologique.

Malgré ce panorama peu réjouissant, il semble prématuré de parler d’effondrement comme le font déjà certains en référence à d’autres civilisations qui ont disparues brusquement. Tout d’abord, l’ordre social et politique en place n’est pas encore dépassé par la crise écologique, et une majorité d’individus, au moins dans les pays occidentaux, peut encore vivre sans souffrir des effets de cette crise. De plus, le capitalisme ayant déjà démontré son grand pouvoir d’adaptation, il pourrait très bien survivre aux bouleversements qui se profilent, voir muter en régime autoritaire écofascisant.

Il est néanmoins évident que le mode de vie occidental va devoir profondément changer. Car nos sociétés sont fondées sur des ressources dont la plupart sont en cours de disparition, ou dont le coût (financier et écologique) d’extraction et d’utilisation est tel qu’il vaut mieux s’en passer. Et sans ces ressources, c’est adieu à l’électronique généralisé, la bagnole, les cuisines suréquipées, les voyages au bout du monde pour un week-end, etc.

Que le système capitaliste perdure ou non, de profondes transformations sociales sont à attendre dans le courant de
ce siècle.

Il ne faut pas mettre d’espoir dans les solutions technologiques (le récurrent « ils trouveront bien quelque chose »). Toutes les solutions actuelles proposées (y compris les énergies renouvelables type grand éolien et photovoltaïque) sont intensives en énergie et en ressources rares, et ne représentent pas de solution à long terme.
Nous devons nous attendre à une décroissance, qu’elle soit voulue et joyeuse ou subie et violente : produire moins de biens et des biens débarrassés de l’obsolescence programmée, abandonner de nombreux secteurs économiques, réduire les déplacements et l’utilisation de la voiture, consommer moins d’énergie et de ressources, réduire la quantité de déchets et les réutiliser ou les recycler, relocaliser la production et la consommation, privilégier les ressources locales, etc.

Quelques positions pour Alternative Libertaire

De nombreux auteurs ont concilié des réflexions libertaires et écologiques depuis longtemps. H.D. Thoreau (désobéissance civile, simplicité volontaire), Reclus et Kropotkine (premières articulations consistantes entre anarchisme et écologie), Ellul, Charbonneau, Illich, Gorz, Bookchin... Et plus près de nous, Jean-Pierre Tertrais, militant de la FA et pionnier de la décroissance au sein du mouvement anarchiste. Sans être d’accord avec tout ce qu’ont dit ces auteurs, nous pouvons nous approprier certaines idées pour proposer une approche de l’écologie qui corresponde au reste de nos réflexions politiques, sociales, économiques, culturelles.

Les problèmes écologiques ont une origine sociale, et ne peuvent être résolus qu’en s’attaquant à cette origine : le mode de production capitaliste, et le productivisme en général. Propriété privée des moyens de production, marchandisation de la vie sociale, choix éducatifs, vision exclusivement scientifique de la médecine, mécanismes d’exploitation et de domination, création artificielle de besoins...

Comme Marx l’a montré, la reproduction du capital ne peut être qu’une reproduction élargie ; ce qui signifie qu’en régime capitaliste, la production et la consommation sociales sont condamnées à se reproduire à une échelle sans cesse croissante (cf. le fétichisme ordinaire de « la croissance »), conjuguant ainsi productivisme ravageur et consumérisme débridé, le premier réduisant la nature à un réservoir réputé sans fin de matières premières et d’énergie, le second la traitant comme un dépotoir réputé sans fond, sans considération aucune de ses limites physiques dans les deux cas.

De plus, du fait de la propriété privée des moyens sociaux de production et des moyens personnels de consommation, la production et la consommation sociales se réduisent en une myriade d’activités séparées les unes des autres, non coordonnées a priori entre elles et uniquement régulées a posteriori par le marché, dont la résultante globale est aveugle et involontaire, en définitive imprévisible et incontrôlable dans ses effets écologiques aussi bien que proprement socioéconomiques ; ce qui prive la société de toute maîtrise de son interaction avec la nature. L’approche libertaire de l’écologie est globale et analyse tous ces mécanismes sociaux qui créent les conditions de la domination et de la destruction de la nature et de ses habitants par une minorité d’êtres humains.

Cette analyse globale permet d’éviter de nombreux pièges (environnementalisme, développement durable, etc.), et notamment de différencier les responsabilités. Les travailleurs et travailleuses, les peuples indigènes et (néo)colonisés n’ont pas autant de responsabilité dans la crise écologique que les capitalistes et leurs ami-e-s politicien-ne-s qui contrôlent les moyens de production et les choix de société. La crise écologique est bien due aux activités humaines, mais n’est pas le fait de l’humanité entière.

De nombreux chercheurs et militants considèrent que, depuis la révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle, nous sommes entrés dans une nouvelle époque géologique, l’anthropocène, caractérisée par l’influence prédominante de l’espèce humaine sur le système terrestre. Cependant, là aussi, considérer l’espèce humaine dans son ensemble empêche de discerner les véritables responsabilités.

Pour un nouveau rapport entre les individus et avec la nature et les animaux

Pour vivre en harmonie avec la nature et les animaux et nos semblables, un changement de système de valeurs est nécessaire. Reclus et Kropotkine insistaient beaucoup sur ce point, dans un contexte de montée en force du darwinisme social. Il faut passer d’une logique de concurrence et d’exploitation (des hommes, de la nature, des animaux) à une logique de complémentarité et de coopération, dans laquelle l’homme ne se pense plus comme séparé de la nature, mais bien comme partie intégrante de celle-ci.

De nombreux penseurs, anthropologues, linguistes se réfèrent aux peuples premiers pour souligner la possibilité d’un tel changement de logique (sans pour autant tomber dans les délires écolos mystiques qui inventent une nouvelle spiritualité religieuse). Car de nombreuses communautés et peuples existent ou ont existé, avec des valeurs égalitaires, horizontales, coopératives et intégrées à la nature, dans des schémas de pensée qui n’ont rien à voir avec les nôtres (relation au temps et à la nature notamment). Tout en pouvant s’inspirer de leur exemple sous ces rapports, la société communiste libertaire que nous cherchons à faire naître par nos luttes n’aurait cependant pas vocation à imiter ces sociétés dont de nombreux autres traits (patriarcat, clanisme et tribalisme, pensée magico-religieuse, etc.) demandent à être abolis.

La production et les échanges doivent se faire dans une logique d’utilité sociale, et non plus de profit. Il est primordial de mener une réflexion collective sur les besoins, en prenant en compte la contrainte écologique. C’est la socialisation a priori : on définit collectivement, au préalable, ce qu’on veut produire. On ne produit que ce qui est bon pour toutes et tous, on élimine les productions génératrices d’inégalités (notamment les biens de luxe), de pollution excessive, etc.

Au contraire, le capitalisme se caractérise par la socialisation a posteriori de la production : les capitalistes décident seuls des biens et services qui seront produits et ceux-ci ne se socialisent (ne deviennent des valeurs d’usage sociales) qu’en devenant des marchandises, en s’échangeant sur le marché. La production sert alors essentiellement à enrichir les capitalistes.

Passer d’une socialisation a posteriori à une socialisation a priori de la production permet donc d’engager une dynamique antiproductiviste et décroissante, en s’interrogeant avant de produire sur les besoins et les conséquences des productions.

Le progrès technique n’est pas mauvais en soi, tout dépend de la logique sociale (des rapports sociaux) qu’il matérialise et à laquelle il sert de support. Aujourd’hui, le progrès technique alimente le productivisme (et vice versa) et l’organisation hiérarchique de la société. Gorz a beaucoup creusé ce sujet, pour montrer les interactions entre « outils » et pouvoir, c’est-à-dire comment les choix techniques déterminent les structures sociales et légitiment certaines formes de pouvoir et, réciproquement, comment ces choix résultent de ces structures et formes. L’exemple le plus évident est le nucléaire, qui de par ses caractéristiques nécessite une structure politique centralisée, militarisée et technocratique.

Mais le progrès technique pourrait aussi être orienté vers la satisfaction des besoins sociaux de toutes et tous, vers la réduction du temps de travail et l’allégement de la pénibilité des tâches. Il ne s’agit pas de revenir au tout artisanal fait main, mais de réfléchir collectivement aux types d’outils, de machines, d’industries que nous voulons et pouvons créer et maintenir avec les ressources dont on dispose.

On peut dégager quelques pistes pour l’établissement d’une technique « conviviale » (Illich), que l’on nomme de plus en plus aujourd’hui « low tech » (technologie basse ou douce) en opposition au « high tech » :
 une propriété collective des techniques (fin des brevets) pour un contrôle local et une appropriation facile par les utilisateurs ;
 le renforcement de l’autonomie locale, avec l’utilisation de ressources et la fabrication de produits adaptées aux conditions naturelles et sociales ;
 une réflexion globale sur le cycle de vie d’un produit avant sa fabrication : conception économe en ressources et énergie, produit durable et facilement réparable, assez simple pour ensuite être recyclé ;
 favoriser les usages collectifs des produits (électroménager, outils, appareil électronique, transport, habitat...) ;
 des décisions collectives et démocratiques pour la recherche et développement, avec une orientation allant vers la préservation des ressources et la régénération des écosystèmes.

Sortir du salariat et développer une nouvelle relation aux activités de production.

Le travail est bien souvent une contrainte pour les salarié-e-s (aucun contrôle des horaires, de l’organisation du travail, du but de la production, etc.), malheureusement nécessaire pour pouvoir vivre. En luttant pour l’abolition du salariat à travers la propriété sociale des moyens de production, la subordination de la production à la satisfaction des besoins sociaux dans le cadre de son organisation coopérative et l’autogestion des unités de production par les travailleur-se-s, il s’agit de redonner à toutes et tous la possibilité d’accéder à une ou des activités épanouissantes, socialement utiles, et contrôlées par celles et ceux qui les exercent.

Le temps de travail socialement nécessaire pourrait être drastiquement réduit (entre 15 et 20h hebdomadaires selon J. Baschet dans Adieux au Capitalisme, 7h selon l’association Bizi dans sa brochure travailler une heure par jour) en adaptant les techniques et les productions à une logique décroissante et communiste libertaire. Le temps dégagé permettrait à toutes et tous de s’engager dans des activités politiques, sociales, culturelles, et de se consacrer à l’autoproduction (nourriture, vêtement, mobilier, habitat, etc., selon les goûts et compétences).


Analyse d’autres mouvements écologistes

Il existe de nombreux courants et mouvements au sein de l’écologie politique. Il est impossible ici de tous les analyser. L’accent est donc mis sur deux mouvements qui partagent certaines idées et méthodes avec Alternative Libertaire, l’écosocialisme et la décroissance, pour préciser ce qui nous différencie d’eux, et sur l’extrême droite, qui essaye de plus en plus de se placer sur le terrain de l’écologie.

Ecosocialisme

L’écosocialisme est, au départ, une tentative de réactualisation de la pensée de Marx à la lumière de la contrainte écologique. Cette dernière engendre une nouvelle contradiction au sein du capitalisme, entre forces de production et conditions de production (ressources et écosystèmes). Il s’agit également d’une démarche de réexploration de certains aspects de la pensée de Marx, nuançant l’image communément répandue d’un défenseur inconditionnel du productivisme et de la domination de l’Homme sur la nature.

Au carrefour de l’écologie politique et du socialisme, l’écosocialisme est donc un courant de pensée qui a le mérite de rompre avec la tendance prométhéenne des vieux courants de la gauche progressiste. Cependant, depuis que le concept s’est diffusé au sein de la gauche, du NPA au PG et même plus largement encore, se sont rassemblées sous la bannière d’écosocialisme des approches multiples et même antagonistes.

Certaines approches témoignent d’une forme de développement durable largement inconséquent (PG). D’autres estiment qu’une sortie du capitalisme serait suffisante et entraînerait mécaniquement une sortie du productivisme (Ensemble, NPA). Enfin, certains développent une analyse assez juste incluant anticapitalisme, antiproductivisme et auto-limitation (courants les plus avancés du NPA et d’Ensemble). Cependant, la limite de ces courants se situe également au niveau de leur conception du « socialisme » d’un point de vue à la fois économique et politique.

Le débat entre écosocialistes et écologistes libertaires dépassant largement la question de l’écologie, nous nous bornerons ici à l’axe de l’autogestion, qui nous importe davantage concernant la question plus spécifique de l’écologie. Pour le PG, le PCF, et le Parti de la Gauche Européenne, L’État Républicain est présenté comme un cadre émancipateur ainsi qu’un absolu indépassable. L’autogestion, lorsqu’elle est envisagée (NPA, Ensemble), ne constitue pas la base d’un mode de transition du mouvement social passant par la construction d’une contre-société autonome visant à remplacer l’État.

Si la logique de relocalisation semble suggérer un fédéralisme autogestionnaire, les nécessités de coordination à plus grande échelle aboutissent au centralisme étatique. Cela pose au moins deux problèmes. Dans la perspective lointaine d’une part, il découle de ce centralisme une logique de planification. D’autre part, la logique de planification, qui se veut « plus démocratique », s’inscrit souvent dans une logique experte, impliquant le maintien implicite de hiérarchies techniques, bureaucratiques, politiques, et en conséquence socio-économiques.

Cette logique n’est pas étonnante du fait que l’écosocialisme semble constituer le nouveau visage des héritiers de la sociale démocratie et du trotskysme. L’écosocialisme fait partie des mots d’ordre au service d’une recomposition de la gauche électorale rouge et verte, de nouveaux fronts populaires et de nouveaux socialismes d’État. Il n’y a guère que quelques minorités de militants de ces organisations qui font preuve d’une volonté de pousser jusqu’au bout les questions d’écologie et de décroissance dans leurs organisations respectives. Ils échouent cependant à faire en sorte que leurs partis tranchent a priori entre les approches réformistes et révolutionnaires.

Décroissance et objection de croissance

Comme l’écologie, la décroissance n’est pas un corpus idéologique intégral, mais apparaît comme une nébuleuse unifiée autour de la critique d’une dimension spécifique des sociétés contemporaines. Elle part d’abord d’un constat objectif, certainement le plus poussé et le plus conséquent, au niveau de l’insoutenabilité et des ravages provoqués par le modèle de production techno-industriel, de ses liens avec la dynamique de croissance matérielle illimitée (intensive et extensive). A travers cette critique, elle développe une seconde critique, de nature socioculturelle, remettant radicalement en question un modèle de civilisation.

Les deux organisations principales se réclamant de la décroissance, que sont le « Parti Pour la Décroissance » et le « Mouvement des Objecteurs de croissance », font le lien entre critique de la société industrielle et croissance économique, se positionnant alors d’un point de vue antilibéral voire anticapitaliste. Pour eux, la décroissance n’est pas synonyme de récession économique, mais implique plutôt la sortie du modèle social régi par l’économique, et la resocialisation des rapports de production. D’autre part, ces deux organisations semblent sortir de la suffisance de la « simplicité volontaire » en mettant en avant une dimension collective et un projet de société.

Le MOC est une organisation qui fait preuve d’une dynamique d’assimilation théorique intéressante, s’appuyant sur des thèses de la gauche radicale, autogestionnaire, néo-zapatiste et libertaire. Cependant, ces deux organisations semblent opposer les alternatives concrètes aux luttes sociales, et privilégier une stratégie de désertion des usines, ainsi que l’abandon de la lutte de classe qui peut s’y mener. Les luttes syndicales sur le plan salarial sont dénigrées en tant que formes d’encouragement du productivisme.

Ces mouvements ne rejettent pas pour autant les aspirations égalitaires et la lutte de classe3, mais ils en développent une conception pouvant aboutir à une certaine forme de citoyennisme. Enfin, la stratégie officielle des objecteurs de croissance concernant les élections n’est pas sans entraîner certaines contradictions.

Si le MOC semble avancer dans une direction cohérente avec les positions d’AL en ce qui concerne la question sociale et celle de l’autogestion, il semble que les tentatives d’appropriation de thématiques de la gauche autogestionnaire et libertaire témoignent de l’insuffisance de la seule décroissance en tant que projet politique. L’avenir de la décroissance en politique semble donc se trouver d’une part dans une certaine hégémonie, et, d’autre part, dans un éclatement et une recomposition, autour ou au sein, des mouvements sociaux ou organisations politiques capables de l’intégrer dans leurs projets.

La majeure partie des constats est en effet partagée par des mouvements aux conceptions politiques, et donc aux solutions, très diverses : des libertaires, certains autonomes, des écologistes profonds, survivalistes, primitivistes, certains post-marxistes, des sociaux-démocrates ouantilibéraux, des courants d’extrême droite, des alternativistes apolitiques (ces derniers pouvant s’orienter au prime abord vers la sociale-démocratie, la droite, voire l’extrême droite). L’enjeu de la décroissance consiste donc dans la constitution d’un pôle communiste libertaire. La décroissance partage en effet avec l’anarchisme le fait que sa version individualiste est plus médiatisée que sa version communiste et lutte de classe, car cette première n’est pas révolutionnaire et est donc moins dangereuse pour l’ordre établi.

Extrême Droite

Concernant la question écologique et la décroissance, l’extrême droite est une nébuleuse. Il y existe bien des partisans de l’écologie radicale (par exemple, le « Mouvement d’action sociale ») et un courant décroissant, notamment porté par Alain De Benoist et des courants religieux intégristes. Mais la décroissance ne fait pas l’unanimité au sein de l’extrême droite. Elle est aussi pétrie de négationnistes et autres climatosceptiques, dont en premier lieu Jean-Marie Le Pen, et de partisans du développement durable. Le projet du FN de 2012 et le contenu des collectifs « Nouvelle Écologie », par exemple, s’inscrivent dans cette seconde logique, qui ne remet pas en cause le capitalisme et le productivisme.

La stratégie de Marine Le Pen étant de capter l’électorat le plus important possible, le FN tend logiquement à se caler davantage sur les positions écologiques modérées d’EELV que celles, plus radicales, du PPLD et du MOC. Il ne peut faire l’impasse sur la question écologique, tant ce thème est devenu incontournable. En définitive, il est nécessaire de se rappeler que l’objectif principal de l’extrême droite demeure la conquête du pouvoir, la mise en place d’un Etat fort, d’un ordre réactionnaire (moral et « naturel »), le développement du nationalisme, de l’identité culturelle et ethnique. Pour cela, elle applique une stratégie pseudo-gramscienne d’hégémonie culturelle qui lui permet de gagner à ses idées fondamentales des personnes aux opinions très diverses par ailleurs.

AL doit contribuer à développer une conscience politique antifasciste dans les luttes et les réseaux militants écologistes, car celle-ci est assez faible au point que certains groupes rouges bruns ou identitaires noyautent plusieurs luttes comme celle axée contre les gaz de schiste ou des groupes locaux d’Alternatiba. Par ailleurs la vigilance et la mobilisation antifasciste sont d’autant plus nécessaire que les milieux d’extrême droite servent de supplétifs au gouvernement dans son sale boulot de répression ; cela est notamment le cas à Sivens (Tarn) et à Roybons (Isère).


Stratégie pour Alternative libertaire

Si les positionnements des différents courants de l’écologie, ainsi que nos revendications pour un monde soutenable ont été détaillés ici, c’est pour permettre d’envisager une stratégie de long terme dans les reconfigurations de l’écologie politique, tout en avançant des pistes qui soient à la hauteur de l’urgence.

Au niveau des organisations politiques : structuration d’un front ou d’un réseau conséquent d’écologie radicale

Il apparaît que les propositions écologistes, si elles font déjà partie des programmes électoraux des principales formations politiques, vont susciter de plus en plus de débats ou d’opportunités de séduire l’électorat (cf. le FN qui cherche à faire bouger les lignes sur la base de revendications pseudo-écolos). Puisqu’une partie de l’extrême gauche prône une écologie sans rupture, puisque nous voulons contribuer à ce que la sensibilité écologiste diffuse dans la société (re)devienne une sensibilité de classe, et puisqu’il existe d’innombrables initiatives « citoyennes » et alternatives (AMAP, coopératives, groupes pour la transition, etc.) dont certaines n’ont pas de boussole politique, nous pensons qu’il y a un enjeu à renforcer le pôle – ou la nébuleuse - d’écologie politique radicale qui existe et se cherche actuellement, et à le faire connaître et s’exprimer.

Nous avons déjà appréhendé ce travail avec Climat Social, et cette volonté de confronter les courants radicaux (écosocialiste, décroissant, autonome), en vue d’agir ensemble dans la diversité, a été très bien accueillie par divers milieux. Certains collectifs en effet sont à la recherche de débouchés politiques qui ne soient pas une comédie électoraliste, mais un vrai mouvement de contestation des pouvoirs pro-capitalistes et autoritaires, sur la base de l’écologie. Or il existe bien des partenaires politiques organisés qui affirment cette cohérence entre les luttes, ce lien entre bien social et projet – ou société – écologiste.

Nous travaillerons donc avec les autres courants en défendant les bases suivantes : rupture avec le capitalisme, son productivisme, sa régulation marchande et les modes de vie qu’ils impliquent, lutte contre l’autoritarisme étatique et pour le développement d’une démocratie autogestionnaire.

L’idée ressemble à ce qui motive la stratégie des fronts anticapitalistes, dans un contexte de fragmentation des mouvements et des luttes. Le principal point commun est la volonté de construire, avec d’autres composantes, un mouvement à même de faire exister les revendications de l’écologie radicale sans les instrumentaliser ou les trahir, comme le font l’extrême gauche institutionnelle ou l’extrême droite.

Du côté des libertaires, un effort doit être fait pour se rapprocher des groupes se réclamant de l’écologie radicale et ayant travaillé sur ces questions, au niveau fédéral ou dans leurs groupes locaux : No Pasaran, décroissants de la FA, CGA, OCL. Ce rapprochement doit également se faire avec des organisations libertaires à l’international, car la transversalité des luttes, et la possibilité de convergences internationales restent une dimension essentielle de la mouvance écologiste, et ce malgré l’éclatement de l’altermondialisme.

Pour cela, il est important de renforcer l’articulation du SI écologie avec d’une part les CALs qui se mobilisent sur les questions écologistes, et d’autre part avec la commission internationale.

Depuis cet éclatement de l’altermondialisme, le paysage des luttes nous a habitué-e-s à l’existence de mouvements autonomes à forte composante écologiste : groupes No Tav, collectifs antinucléaire, zadistes de tous horizons. Il ne s’agit pas ici de démêler la diversité et la complexité de ces mouvements, mais juste de souligner leurs aspects les plus intéressants : dénonciation de l’autoritarisme du pouvoir (quand ce n’est pas de manière sacrificielle), tentative d’organisation d’un contre-modèle politique sur le long terme (certains groupes se sont donnés les moyens d’une véritable autonomie médiatique et économique), et enfin modes d’action efficaces notamment par l’occupation.

La participation des organisations politiques en tant que telles à ces mouvements reste un point de clivage, et un débat pas vraiment ouvert entre ces autonomes et les libertaires organisés. Mais certains milieux montrent une attitude autocritique encourageante quant à la religion de la non organisation. Cela nous amène à considérer, toujours localement, certains groupes autonomes comme des forces avec lesquelles travailler, car ils prennent des initiatives là où ne nous sommes pas. Le cas échéant nous le ferons sans pour autant nous départir de nos exigences politiques, de modes d’action et d’organisation pertinents. Par contre nous savons d’ores et déjà que ce ne sera pas un travail immédiatement compatible avec la construction des fronts politiques que l’on a décrits plus haut.

Notre expression politique et notre mobilisation contre le Traité transatlantique entre Union européenne et Amérique du Nord (TAFTA) ne sont pas à la hauteur de ce qu’elles devraient être.
De même, un mouvement comme Blockupy qui a pour ambition de fédérer la contestation portée contre les politiques d’austérité en Europe n’articule que très faiblement son combat avec cette question pourtant essentielle. Alors que nous sommes dans la phase finale des négociations et que les Etats parties prenants de ce projet sont bien déterminés à adopter les différents traités de libre échange concernés, AL qui s’est prononcé publiquement contre ces textes doit faire du combat contre ces accords une priorité.

Le monde du travail et ses organisations

Le système productif (et surproductif) d’aujourd’hui ne permet pas la nécessaire rupture écologiste. C’est le monde du travail qu’il faudrait repenser dans cette perspective, et c’est justement là que c’est le plus difficile puisque nous n’avons pas le rapport de force, ni la maîtrise des moyens de production.

Un travail important à réaliser – et c’est là quelque chose que nous pouvons porter avec les écosocialistes critiques beaucoup plus qu’avec les décroissants - serait de porter le discours écologiste sur les lieux de travail et dans les syndicats. Avec une stratégie à deux niveaux : populariser les préoccupations écologistes via les organisations de masses, et insister sur les propositions radicales là où des organisations ont déjà pris ce parti : la confédération paysanne et certaines fédérations de Solidaires.

Il est primordial de s’attaquer dès maintenant aux articulations entre problèmes écologiques et question de l’emploi (car la droite accuse déjà les luttes anti Grands Projets de nuire à l’emploi, et que c’est une des principales sources de la « mollesse » de l’extrême gauche), et qu’il faut le faire tant dans le champ politique que syndical. Pour cela il faut mettre sur pied une stratégie d’intervention, en lien avec le SI Entreprises.

Par exemple l’idée a été émise de créer un équivalent de « Visa » pour l’écologie, mais cette possibilité n’a pas encore été creusée. Un travail doit donc être engagé entre le SI écologie et la branche entreprise, tout d’abord pour prendre connaissance de l’état actuel de la sensibilisation et de l’avancement des réflexions écologiques parmi les camarades syndicalistes. Une formation pourrait ensuite être proposée sur le rapport entre écologie et emploi, à destination de la branche entreprise et de l’ensemble des militants intervenant au niveau du monde du travail. A travers ce processus, nous serons en mesure de définir collectivement des axes d’intervention stratégiques plus affinés en matière d’écologie en fonction des différents secteurs d’activité.

Pour conclure, nous pouvons résumer les axes d’intervention stratégique proposés pour AL :

  1. agir de manière unitaire avec les mouvements proches de nos bases de classes, anticapitalistes, autogestionnaires, au sein des mobilisations écologistes ;
  2. renforcer nos liens et notre coordination pratique avec les organisations libertaires développant des positions écologistes lucides ;
  3. intervenir en commun avec les groupes autonomes dont les modes d’actions sont compatibles avec les nôtres ;
  4. contribuer au développement et au renforcement de l’activité syndicale relative aux problématiques écologiques.

La mise en œuvre de cette stratégie est importante, autant pour le mouvement en lui-même que pour notre organisation. De nombreux CALs s’investissent dans des mobilisations écologiques radicales ; d’autres, par leur implantation syndicale, sont à même de mettre à l’ordre du jour ces questions dans leurs syndicats respectifs. Ces deux démarches conjuguées pourraient nous apporter de nouvelles adhésions, ce qui permettrait à AL de renforcer son attrait et sa capacité à peser au sein des luttes écologiques.

 
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