47e congrès : La CGT explore les voies du recentrage




Comme on a pu le voir à l’occasion des dernières élections prud’homales, la CGT conserve une position centrale dans le syndicalisme français et dans la lutte des classes malgré l’érosion de la classe ouvrière d’industrie qui constitue son milieu naturel.

La CGT tient son 47e congrès à Montpellier du 22 au 28 mars 2003. La réforme des cotisations, le « nouveau statut du travail salarié » ou la défense des retraites focalisent les débats.

Si la CGT maintient sa posture combative, sa direction confédérale, par petites touches, s’installe de plus en plus dans la duplicité. On pourrait ainsi résumer ce qui se joue depuis l’accession de Bernard Thibault à la direction de la confédération CGT. Son équipe doit tenir compte d’une culture du conflit ancrée dans la base militante, mais ses orientations stratégiques donnent de moins en moins de perspectives aux salarié(e)s. Le 47e congrès est l’occasion d’une critique constructive de ses orientations (« nouveau statut du travail salarié », retraites), même si les batailles se mèneront sans doute davantage sur des points de fonctionnement interne (réforme des cotisations) ayant des conséquences politiques.

Que penser du « nouveau statut du travail salarié » ?

Le « nouveau statut du travail salarié » est devenu un thème central dans la CGT, avant même de devenir, comme le proposent les textes du 47e congrès, « l’épine dorsale » de l’action du syndicat dans le champ des salaires, de la formation, de l’emploi, de la santé, de la retraite. L’objectif, à long terme, est que « tout salarié bénéficie, quelles que soient les circonstances, d’un ensemble de droits individuels, garantis au plan interprofessionnel, opposables à tout employeur et transférables d’une entreprise à une autre : droit à l’intégration dans un emploi, droit à la formation continue, droit à une carrière professionnelle, droit au maintien d’un contrat de travail en cas de suppression d’emploi, continuité des droits pour le calcul de la retraite, droit à l’expression syndicale ». Cet ensemble cohérent de droits nouveaux donnerait naissance à une « sécurité sociale professionnelle », application concrète du droit au travail inscrit dans la Constitution de 1946, mais effectif uniquement dans le statut de fonctionnaire. Par ailleurs le financement de cette sécurité sociale professionnelle ne dépendrait pas de la fiscalité et des finances publiques, mais bel et bien de la cotisation sociale, prélevée directement sur la richesse créée.

Puisque la logique est saine, et que l’objectif est constructif, on ne peut pas être « en soi » opposé à un tel axe revendicatif. Nous divergeons en ce sens de l’analyse faite par Michel Sahuc du collectif anarcho-syndicaliste La Sociale dans la Lettre des Militant-e-s syndicalistes libertaires de novembre 2002, ou du courant Continuer la CGT. Si l’on peut émettre des réserves sur cette « nouveauté », c’est moins du fait de son contenu, que des risques qu’elle fait peser si une mauvaise utilisation en est faite.

Cette nouvelle revendication, en effet, prend acte d’une défaite du mouvement ouvrier face aux licenciements. Elle intègre en quelque sorte l’idée que « le CDI à vie, c’est fini » et que la « nomadisation » des salariés va aller croissant. Le « nouveau statut du travail salarié » est donc la réponse apportée par la CGT aux licenciements, au chômage et à la précarité. Le problème est qu’on dispose alors du volet offensif (en termes de projet), d’une réponse aux licenciements, mais sans volet défensif (interdiction des licenciements ? droit de veto des travailleurs ?). Or, dans l’urgence, c’est en premier lieu sur le volet défensif que les travailleuses et les travailleurs se mobilisent, pas sur le projet qui y est articulé.

Ainsi, on imagine mal la grande mobilisation contre les licenciements autour de Lu/Danone au printemps 2001 avec pour revendication d’urgence une « sécurité sociale professionnelle ». Dans un tel contexte, et s’il ne s’appuie pas sur des revendications immédiates, un tel « axe revendicatif » risque de désarmer les travailleuses et les travailleurs.

Tâtonnements autour de la défense des retraites

Une même logique revendicative menace sur le dossier des retraites. La CGT prend acte d’un déséquilibre du système actuel d’assurance vieillesse. Le constat est facile à faire : entrant plus tard sur le marché du travail, avec de plus en plus de périodes de chômage, il sera bientôt quasi impossible pour une ou un salarié de liquider une retraite à taux plein, que ce soit à 40 annuités ou à 37 et demi ! La CGT exige donc que le calcul des droits à la retraite intègre également les périodes de chômage et démarre à 18 ans.

Et raille Force ouvrière, arc-boutée sur le mot d’ordre des 37,5 annuités, mais discrète sur le montant des retraites à l’arrivée.

Très bien, mais il se glisse quelque chose de très inquiétant dans les textes de congrès : la notion de défense des 37,5 annuités a du coup disparu ! Encore une fois, c’est comme si la CGT se privait du « volet défensif » ou, du moins, d’une revendication qui est un repère essentiel pour les militantes et les militants. Bon nombre d’entre eux/elles s’inquiètent de cet escamotage jugé démobilisant et, en tout cas, déstabilisant.

Et l’on touche là au n¦ud du problème de cette « méthode revendicative », que ce soit pour les retraites ou pour le nouveau statut du travail salarié : pour refonder l’assurance chômage et l’assurance vieillesse à l’avantage des travailleurs, il faut un rapport de force considérable, similaire à celui qu’avait le mouvement ouvrier à la Libération, quand fut mis en place l’ensemble du système de sécurité sociale. Dans les situations d’urgence actuelles, les salariés ont besoin de revendications fédératrices et mobilisatrices, et pas uniquement de « projets », à moins que le « syndicalisme de proposition » ne se mue définitivement en « syndicalisme d’expertise », décalé des dynamiques de mobilisation.

Si les propositions de long terme se précisent, tandis que les positions immédiates se font plus floues, c’est la porte ouverte aux manœuvres bureaucratiques et aux capitulations de circonstance. Cela ne se fera pas sans mal. Il existe des esprits vigilants à la base, qui voient d’un mauvais oeil ces « tâtonnements » en termes d’orientation.

Réforme des cotisations

C’est là qu’intervient le thème qui fait le plus débat à l’approche du 47e congrès : la réforme des cotisations. Appliquant le principe du fédéralisme, la CGT « confédère » différentes organisations : fédérations d’industries (métallurgie, construction, éducationŠ), unions départementales (Aisne, Yonne, Gers) et structures syndicales diverses non fédérées (intérimaires, journalistes, comités de chômeurs, retraités...). Chaque union départementale (UD) et fédération est maîtresse des cotisations versées par les syndicats qui lui sont affiliés.

En cas de conflit interne, elle reste donc maîtresse de ses ressources. Une réforme fondamentale était prévue, mais devant le tollé, son impact a été considérablement amoindri.

Initialement, la réforme prévoyait que les syndicats devraient verser les cotisations directement à un organisme financier central qui, ensuite, aurait réparti l’argent entre la confédération, les fédérations et les UD.

Autrement dit, les syndicats de base conservaient la maîtrise de leur trésorerie, mais les niveaux intermédiaires, qui pèsent un poids politique dans la CGT, devenaient dépendants d’une répartition de fait sous contrôle confédéral. En cas de conflit, la direction pouvait donc « assécher » les UD ou les fédés contestataires. Devant les protestations, le projet a été remodelé. La proposition faite est que l’organisme financier fasse le calcul et vérifie le bon reversement des cotisations, mais le « compte central » par où elles devaient transiter est abandonné. La réforme continue néanmoins de susciter des oppositions notamment parce que la délégation de la répartition des cotisations à un organisme séparé risque d’entraîner un recul de la vie syndicale de proximité.

Et maintenant ?

Les tâtonnements, les hésitations sur la démarche revendicative ne sont pas pour rassurer. Cependant elles ne sont menaçantes que parce qu’il n’existe pas vraiment d’expression critique au sein de la CGT, qui obligerait la direction confédérale à se positionner plus clairement sur bien des points, et dénoncerait les magouilles bureaucratiques qui ont cet automne divisé et saboté la mobilisation des cheminots ou des électriciens-gaziers.

La CGT ne fonctionne pas encore comme la CFDT, à la hussarde et dans le mépris le plus total des militantes et des militants de base. La façon dont la direction de la fédération Mines-Energie a dû s’incliner devant les protestations de la base sur le dossier des retraites à EDF-GDF, montre que l’opposition n’est pas vaine. C’est d’une absence de ligne directrice, davantage que d’une ligne réformiste acharnée, que souffre la CGT. Dans ce contexte, les syndicalistes libertaires ont non seulement la possibilité, mais surtout le devoir, de se faire entendre.

Cet article a été réalisé par des militantes et des militants communistes libertaires de la CGT (métallurgie, banques, éducation, presse, spectacle, construction)

 
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