Israël : Entre sionisme et lutte des classes




La « révolte des tentes » en Israël peut-elle être comparée aux processus révolutionnaires qui traversent le monde arabe ? Boulevard Rothschild à Tel-Aviv (rebaptisé place Tahrir), on pouvait lire le panneau : « Nétanyahou, Moubarak t’attend » (au tribunal bien sûr)

Israël n’est pas l’Egypte. Ce n’est pas un pays comme les autres. C’est un morceau d’Occident implanté au Proche-Orient. Cette société est fondée sur la colonisation, l’occupation et l’apartheid. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a 5,5 millions de Juifs israéliens et 5,5 millions de Palestiniens. Le niveau de vie d’un Israélien moyen n’a rien à voir avec celui d’un Palestinien (50% de la population sous le seuil de pauvreté pour les Palestiniens ayant la nationalité israélienne, beaucoup plus en Cisjordanie et une misère généralisée dans les camps de réfugiés et à Gaza).

[*La justice et l’égalité pour qui ?*]

La révolte de la classe moyenne israélienne ne remet pas en cause le sionisme qui est à la fois une théorie de la séparation (les Juifs ne pourraient pas vivre avec les autres) et un colonialisme visant à expulser le peuple autochtone. Un opprimé ne peut pas se libérer s’il reste oppresseur. Même le syndicalisme israélien est perverti : la Histadrouth est un syndicat patron qui défend statutairement le « travail juif » et est intégrée à l’appareil d’un Etat qu’elle a contribué à fonder.

Omar Barghouti, qui est un des porte-parole de l’appel palestinien au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions contre l’Etat d’Israël) a donné une interview dans laquelle il est très sévère sur cette « révolte des tentes » – mouvement contestataire de la classe moyenne – qu’il qualifie de lutte pour le maintien des privilèges coloniaux de la population juive d’Israël. Il rappelle d’ailleurs un précédent qui s’était déroulé dans l’Afrique du Sud de l’apartheid dans les années 80 où la population blanche avait manifesté pour plus de « justice sociale ».

Le sionisme dans lequel toute la population israélienne a été élevée a besoin en permanence de tension et de guerres. Dès qu’on oublie cette tension permanente entretenue, les fractures apparaissent. L’« Etat juif » est terriblement raciste et inégalitaire. Le racisme ne touche pas que les Palestiniens, il frappe aussi les travailleurs immigrés, les Falashas, les Juifs venus du monde arabe.

Comme l’avait dit Ehud Barak, « nous n’avons pas de partenaire pour la paix ». Plus exactement, si le gouvernement israélien en a, il le tuera pour maintenir cette fuite en avant permanente. Quelque part le sionisme et l’ultralibéralisme sont entrés en contradiction. Le libéralisme a détruit de nombreux privilèges que le sionisme avait promis aux Juifs pour mieux les aliéner : une terre, un logement, un travail, une protection sociale.

En 2003, Vicky Knafo, une mère célibataire de trois enfants, avait marché depuis le Néguev jusqu’à Jérusalem pour protester contre les réductions drastiques des allocations familiales et la misère qui en résultait. Son geste avait eu une immense popularité. Ces revendications ont été noyées dans la guerre du Liban et l’opération « Plomb durci » contre Gaza.

En 2008, un jeune candidat communiste, refuznik (objecteur) et antisioniste, Dov Khenin, avait récolté 35 % des voix aux élections municipales de Tel-Aviv. Les jeunes avaient largement voté pour un candidat refuznik et la population « européanisée » avait signifié son aspiration à une vie « normale » sans guerre permanente. Bref, une « paix pour nous ».

[*Fractures dans l’idéologie dominante ?*]

Le mouvement des tentes est à rapprocher de cela : dès que la tension artificielle s’estompe, la société israélienne est rattrapée par ses contradictions et par la lutte des classes. Dans cette société où tous les dirigeants politiques sont poursuivis pour viol ou corruption, où la mafia contrôle plusieurs secteurs, la croissance de 5 % et les technologies de pointe ne masquent plus la réalité : 60 % du budget va à l’armée ou à la colonisation et même la classe moyenne ne peut plus se loger et se soigner décemment. Environ 25 % des Israéliens juifs ont moins de 740 euros par mois et une partie de la société ne supporte plus les inégalités.

Jusque-là les grandes manifestations en Israël avaient été celles contre Sabra et Chatila dans les années 1980, sur l’assassinat de Rabin en 1995 ou pour les colons dans les années 2000. Cette fois-ci, il y a eu moins de ferveur nationaliste.

[*Une clarification indispensable*]

Comme dans des manifestations des « Indigné-e-s » ailleurs dans le monde, on a entendu de tout dans les gigantesques manifestations des grandes villes israéliennes. Certains ne remettaient rien en cause (ce qui explique la popularité du mouvement) et Nétanyahou leur a aussitôt promis des logements à bas prix à Jérusalem Est ou dans les colonies de Cisjordanie. Dans les manifestations d’Haïfa, il y avait très peu de drapeaux israéliens, mais des drapeaux rouges et des slogans plus clairs : « nous ne sommes pas des marchandises, un autre monde est possible », « révolution », « le peuple exige la justice sociale et un avenir ». Le discours prononcé par la militante féministe Shira Ohayon lors de la manifestation monstre de Tel-Aviv du 6 août opposait la prétendue « sécurité » d’Israël à l’insécurité de celles et ceux qui ne peuvent plus vivre dignement.

Ce qui va être décisif dans ce mouvement, c’est la recherche de la convergence avec la population palestinienne d’Israël et les anticolonialistes. À Haïfa, la population palestinienne a participé à un des défilés. À Beersheva dans le Néguev, les Bédouins qui luttent depuis des années contre les confiscations de leurs terres et les destructions de leurs villages sont descendu dans la rue. Pour l’instant, la convergence entre le « mouvement des tentes » et les « Palestiniens de 48 » qui vivent en Israël toute une série de discriminations à la possession de la terre, au logement, au travail, à l’éducation, est balbutiante. Elle est pourtant décisive sur l’avenir de ce mouvement. À Tel-Aviv, une tente de 1948 « multiculturelle et antiapartheid » s’est installée. Elle a été attaquée par les colons fascistes (pardon pour le pléonasme), mais elle est toujours en place.

Il n’y aura pas de solution juste à la guerre du Proche-Orient dans le cadre du sionisme. Il n’y aura pas de rupture « du front intérieur » et donc de rupture avec le colonialisme en Israël sans qu’une certaine souffrance économique et sociale ne pousse à cette rupture.

Il est donc décisif que ce « tous ensemble » né en Israël en juillet 2011 ne se limite pas à la population juive. La lutte des classes doit rejoindre la lutte anticoloniale. Sinon, l’issue est connue d’avance : une nouvelle provocation, une nouvelle guerre dont l’actuelle agression contre Gaza est le signe avant-coureur et une nouvelle « union nationale » pour noyer la révolte sociale.

Pierre Stambul (UJFP, Ami d’AL)

 
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