Livre : Frédéric Lavignette, « L’Affaire Liabeuf »




En 2008, Frédéric Lavignette avait publié un gros livre (628 pages) très richement illustré, La Bande à Bonnot : à travers la presse de l’époque. A partir d’un florilège d’extraits de plus de trente journaux de 1911-1913, il restituait la triste épopée de ceux qu’on appelait alors les « bandits en auto ». Le traitement journalistique du fait divers révélait un visage de la France de l’époque, de l’extrême gauche à l’extrême droite, même si l’auteur prenait curieusement le parti d’ignorer les divers titres de la presse anarchiste (à l’exception d’un unique hebdomadaire, de tendance individualiste, L’Anarchie). Il récidive avec ce très bel ouvrage sur l’affaire Liabeuf, autre fait divers qui en 1910 fit couler de l’encre et du sang, et fit vibrer à l’unisson – l’espace d’une nuit d’exécution – apaches et révolutionnaires parisiens.

Harcelé par la police des mœurs, emprisonné pour proxénétisme parce qu’il était amoureux d’une prostituée, le jeune cordonnier Jean-Jacques Liabeuf avait résolu de se se venger des roussins qui le persécutaient.

Un soir, bardé de brassards de cuir hérissés de clous, armé d’un tranchet et d’un pistolet, Liabeuf s’élança sur le pavé. Bilan : un flic mort et cinq autres blessés. Une fois le forcené arrêté, son procès fut l’occasion d’une vaste polémique sur la peine de mort, et d’enquêtes sociales sur la réglementation de la prostitution, sur laquelle prospérait la sinistre brigade des mœurs. « Je ne suis pas un souteneur ! » cria Liabeuf jusque sous le couperet tandis que, sur le boulevard Arago, la police défendait la guillotine contre la foule enragée des « liabouvistes ».

Pour bâtir sa narration, Frédéric Lavignette a une méthode bien à lui. Il lit abondamment, sélectionne et colle bout à bout des fragments d’articles de l’époque. Avec un sens consommé de l’editing, il ponctue le texte obtenu d’intertitres, d’éclairages marginaux, de photos légendées, et encadre le tout d’un solide préambule, d’un index kilométrique et de copieuses notes de fin. Le résultat est étonnant, érudit à la limite du roboratif, mais bourré de détails utiles.

Celles et ceux qui se passionneront pour cette histoire liront également – hommage au passage – la percutante petite enquête d’Yves Pagès, injustement omise par Lavignette dans sa bibliographie, L’Homme hérissé. Liabeuf, tueur de flics (rééd. Baleine, 2009).

Guillaume Davranche (AL 93)

  • Frédéric Lavignette, L’Affaire Liabeuf. Histoires d’une vengeance, éd. Fage, 2011, 300 pages, 29,50 euros.
 
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