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Lire : Ganascia, « Le mythe de la singularité »




Les machines vont-elles dominer le monde ? Quand cela arrivera-t-il ? L’humanité sera mise sous tutelle un jour : réalité ou science-fiction ? Si les réponses à ces questions vous semblent évidentes, ce livre est pour vous.

Avec Le Mythe de la singularité, Jean-Gabriel Ganascia nous invite à revoir les fondements d’affirmations de plus en plus installées dans les esprits contemporains.

La notion de singularité décrit, en maths, une « zone grise », où un point, une valeur d’une fonction ou un objet est mal défini. En physique, un trou noir possède en son centre une singularité, dans la mesure où la gravitation à ce point y tend vers l’infini.

La singularité technologique, se veut la définition de l’avènement d’une rupture dans l’évolution. Cette rupture sera faite par une nouvelle forme d’intelligence, qui ne sera plus humaine. La superintelligence qui en résultera « échappera » donc dans sa définition, son rôle et ses répercussions à l’intelligence humaine.

Des mathématiciens comme Irvin John Good ou Stanislaw Ulam ont émis l’idée d’une accélération rapide du progrès de la technologie et par conséquent d’une possible « explosion de l’intelligence » technologique. Ces hypothèses scientifiques ont vite fait la base d’un nouvel imaginaire d’auteurs de science-fiction tel que Isaac Asimov ou Vernor Vinge.

Cet imaginaire favorisera un jeu de glissement des affirmations. Affirmations qui vont partir de l’imaginaire pour se prétendre vérité scientifique, en étant de moins en moins soumises à une méthodologie rigoureuse.

C’est dans cette ligne de glissement que Kurzweil [1], peut affirmer le plus sérieusement du monde que la loi de Moore (loi empirique qui définit l’accroissement exponentiel des performances des machines), ne se limite pas à une conjoncture économico-technique, mais régit bel et bien l’évolution de tout (l’univers, la vie, l’humain, etc.).

En calquant ainsi la loi de Moore sur l’« évolution » dans l’absolu, Kurzweil déduit des cycles d’évolutions de plus en plus court, avec au début de chaque cycle l’avènement du perfectionnement des formes de l’ancien cycle. Voilà que « la machine » sera le prochain sujet de l’évolution comme perfection de l’humanité en dehors d’elle.

De la science à la science fiction

Au fil de la lecture, Ganascia interpelle ses lectrices et ses lecteurs à propos de l’imaginaire des croyances des tenants de la singularité technologique. D’un côté, le rêve enchanté que veulent vendre aux investisseurs les grandes firmes de l’industrie numérique pour lever des fonds.

De l’autre, le rôle central que celles-ci veulent avoir sur les orientations sociales, économiques et politiques. Avec ces éléments l’évidence de la supercherie de l’arrivée proche de la singularité technologique devient clair… Aux yeux de qui voudra bien la voir.

Si ce livre éclaire d’une manière rigoureuse et argumentée le processus d’évolution des pensées autour de la singularité technologique, s’il explore des notions scientifiques en les vulgarisant, et analyse des débats philosophiques cruciaux (où l’on découvre que Blanqui aurait influencé Nietzsche sur la conception cyclique du temps), il se limite à un rôle de constatation peu critique sur les mécanismes politiques qui permettent cet état de fait.

La conclusion invite « à agir, et non à fermer les yeux » mais aucune piste n’est élaborée, laissant lecteurs et lectrices, certes informées, mais sans levier d’actions collectives pour lutter contre ce prophétisme uniformisant.

Marouane Taharouri (UCL Naoned)

  • Jean-Gabriel Ganascia, Le Mythe de la singularité, faut-il craindre l’intelligence artificielle ?, Le Seuil, 2017, 192 pages, 7,80 euros.

[1Figure emblématique du transhumanisme et directeur de l’ingénierie chez Alphabet (Google) depuis 2012.

 
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