Écologie

Amazonie : au péril du virus et de la soif de l’or




La situation sanitaire a exacerbé les problèmes déjà existant parmi les populations autochtones, provoquant pénuries et isolement. Loin de les résoudre, les actions des autorités vont dans le sens inverse : l’autorisation d’un nouveau méga-projet minier.

Inquiets pour leurs revenus, les capitalistes se sont rués sur leur « valeur refuge » à l’occasion de la pandémie. Résultat, le cours de l’or explose. En Amazonie, les conséquences ont été immédiates : alors que la police part contrôler le confinement, les orpailleurs augmentent leur activité, et donc la pollution et la destruction de la forêt comme du fleuve.

Le « refuge » économique des capitalistes détruit les refuges des humains et des êtres vivants de l’Amazonie. L’alerte est rapidement donnée par les populations Wayana sur le Haut Maroni, que le WWF a pu illustrer avec des photos aériennes. Devant l’absence de réaction des autorités, le Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges prononce le 29 mars la fermeture du Haut Maroni à la circulation, par ses propres moyens.

Les populations autochtones s’organisent

Mais l’orpaillage illégal n’est pas le seul danger. En plein confinement, la préfecture, visiblement sans autre priorité, réunit la commission minière départementale. Lors de cette commission, la Compagnie minière Espérance (CME) et la transnationale Newmount, un des leaders mondiaux de l’or, présentent et reçoivent une réponse positive à son projet de mégamine d’or entre les communes d’Apatou et Grand-Santi. Et ce, alors même que la CME est encore en attente d’un jugement du tribunal correctionnel pour pollution des eaux (procès qui, lui, a été repoussé pour cause de confinement).

Rappelons que l’or est utilisé à 86 % pour les bijoux, la création de monnaie ou les stocks d’États. Les 14 % restants se répartissent entre l’électronique et la médecine . Une fois encore, ce ne sont pas les capitalistes qui payent leurs crises, mais la forêt et ceux qui l’habitent, et ceux qui meurent dans les mines.

Il est estimé qu’environ 13 000 personnes autochtones vivent en Guyane aujourd’hui. La crise sanitaire elle-même les touche durement. Les villages amérindiens peuvent présenter plus de risque à plusieurs points de vue  : infrastructures de santé réduites au minimum voire absentes, et donc accès aux zones de soin en pirogue ou avion, ce qui est évidemment très cher.

Les habitants sont parfois considérés comme « à risque » par les épidémiologistes, de par la présence plus importante de diabète et d’hypertension. La situation a pu pousser les populations autochtones à s’éloigner des centres urbains pour retrouver la forêt, en Colombie par exemple. En Guyane, les organisations autochtones se sont auto-organisées pour fournir les zones isolées en essence et en cartouches de fusils, afin de faciliter la chasse.

En effet, la crise a provoqué d’importantes pénuries alimentaires sur les fleuves. Si les autorités ont réalisé des opérations d’approvisionnement par hélicoptère, l’agriculture, la chasse et la pêche sont les seuls vrais outils de résilience des zones isolées. Les magasins vides ont une fois de plus démontré la dépendance de la Guyane à la France européenne, et au pétrole qui soutient les lignes commerciales transatlantiques.

Les risques sanitaires ont atteint leur paroxysme au Brésil, lorsque des missionnaires évangélistes ont essayé de rejoindre les territoires autochtones malgré les risques. Et pour cause ! La Fondation national de l’Indien (Funai), chargée de cartographier et de protéger les terres occupées par les peuples autochtones, est dirigée depuis début février par… Monsieur Lopes Dias, ancien missionnaire de New Tribes Mission, multinationale de l’évangélisme : 3 200 missionnaires de par le monde, déjà accusée au Brésil de pédophilie et d’esclavagisme.

Dérèglement climatique et héritage colonial

Le Grand Conseil coutumier, dans son communiqué sur la crise, fait d’ailleurs explicitement le lien avec la colonisation passée et ses conséquences génocidaires  : « [La crise] nous met face à l’héritage d’une blessure coloniale et le traumatisme collectif laissé par les épidémies, qui ont jadis décimé nos ancêtres […]. Malgré cela, nous restons déterminés […] à remplir notre mission dans la lutte contre le changement climatique, qui est un facteur non négligeable dans l’apparition et la transmission des virus. » De nombreuses études ont en effet montré des liens majeurs entre émergence de maladie, déforestation pour l’agriculture intensive et changements climatiques.

Le climat a aussi impacté la situation. Mawalum Amandine Galima, porte-parole de la Jeunesse autochtone de Guyane, l’explique sur Radio-Canada : la sécheresse du mois de mars (un tiers de pluie en moins que la normale) a fait baisser la hauteur d’eau des fleuves, et donc rendu difficile la circulation des marchan­dises et des personnes. Les températures ont été particulièrement élevées, avec +1,6°C par rapport à la normale des températures maximales.

Le mois de mars 2020 a été le mois le plus chaud enregistré depuis le début des mesures en Guyane, en 1955. Par la suite, les plus grosses pluies depuis trente ans se sont abattues, provoquant des inondations dans les villages, noyant les maisons et les cultures.

Les zones urbaines guyanaises ont subi différemment les effets de la crise. L’Association Maroni Lab l’explique sur son site : à Saint-Laurent-du-Maroni, 15 à 20 000 personnes vivent en « quartier spontané », l’appellation officielle des bidonvilles en Guyane.

Comment se confiner lorsqu’on doit descendre à la rivière, à la fontaine commune pour faire sa vaisselle et se laver ? Comment « rester chez soi » quand il n’y a pas de délimitation entre sa parcelle et celle du voisin ? Comment se nourrir lorsque toute l’économie informelle s’arrête, et les « jobs » avec ?

La crise sanitaire a accentué des problèmes sociaux pré-existant en Guyane, inhérents à la situation dans laquelle la « métropole » place ses territoires « d’outre-mer », et montre une fois de plus que les mouvements de la bourse à l’autre bout du monde se traduisent ici par la vie ou la mort.

Jocelyn (UCL Guyane)

 
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