Lire : Marty, « Perrier c’est nous »




Ces dernières années, nous avons souvent rendu compte des luttes des salarié(e)s de Source Perrier à Vergèze, la sortie d’un ouvrage sur l’histoire de cette entreprise est l’occasion de revenir sur ce qui fait la singularité de ce bastion ouvrier.

Cet ouvrage est une histoire de l’usine Perrier des années 1900 à nos jours et du mouvement ouvrier qui accompagne l’évolution de celle-ci, de luttes syndicales en « plans sociaux » avec l’OPA de Nestlé.

L’auteur fait une étude approfondie du milieu rural principalement viticole, de la pénétration des idées socialistes dès la fin du XIXe siècle : guesdistes, mais surtout allemanistes et anarchistes. Ces influences vont se traduire par la diffusion d’un syndicalisme révolutionnaire massif chez les ouvriers agricoles confrontés aux effets de la crise viticole.

Cette crise se produit à la même époque que l’industrialisation de la source Perrier dont l’usine est construite sur l’emplacement des Bouillens, lieu thermal public dont la population locale s’était toujours opposée à la confiscation privée en 1857 ! Les premiers conflits pour de meilleures conditions salariales ou de travail et l’obtention du droit syndical ont lieu avant la Première Guerre mondiale. Le patronat essaye de promouvoir un paternalisme maison, conflit et compromis vont alterner suivant le rapport de force, la situation politique et économique.

Increvable syndicalisme révolutionnaire

Répression antisyndicale, victoires, reculs ont marqué l’histoire de la CGT de Perrier, principal contre-pouvoir aux diktats patronaux, mais celle-ci est synonyme de syndicat de classe quelle que soit l’origine de ses acteurs et actrices, celles et ceux qui ont grâce à la Source pu trouver un emploi ou celles et ceux qui sont rentré(e)s dans l’industrie par dépit venant du monde agricole en crise. Si le syndicat CGT Source Perrier est marqué d’une volonté unitaire, il a affirmé au fil du temps son indépendance y compris par rapport au PC et à l’UD CGT sous la coupe de celui-ci.

De même, depuis les années 60, il fait en sorte que la base s’investisse dans le syndicat, que le comité d’entreprise (CE) où la CGT est majoritaire pratique la transparence et qu’il n’y ait pas de cumul de mandats entre délégués du personnel et élus au CE. La Voix de la Source, bulletin de la CGT de la Source Perrier d’avril 1971 proclame : « Le syndicat est un tout, la pratique du syndicalisme ne peut être partielle » : Ainsi le syndicat peut lors d’un conflit en défense de représentants du personnel que la direction veut évincer gagner en justice et obtenir que le droit du travail l’emporte sur le droit civil entraînant jurisprudence. Tous les moyens possibles sont explorés pour la défense des travailleurs.

« Une chose est sûre : pour être efficace le syndicalisme doit être indépendant des partis », lit-on aussi dans La Voix de la Source que l’auteur cite encore.

Cela ne veut pas dire que le mouvement syndical ne doive pas s’exprimer ou intervenir sur les sujets politiques ou de société comme le rappelle Jean Daumas qui fut secrétaire du syndicat dans les années 60.

Parlant de la CGT-SP, un rapport des RG de 1970 décrit 200 ouvriers « partisans de l’action directe »

L’auteur Nicolas Marty nous dit : C’est vers la tradition syndicaliste révolutionnaire des ouvriers agricoles de la plaine qu’il faut chercher les raisons de cette combativité. Si l’on reprend la définition du syndicalisme révolutionnaire telle qu’elle a été donné par J. Sagnes pour le Midi viticole, il s’agit d’un « syndicalisme qui affirme une hostilité fondamentale au capitalisme, manifeste un esprit de classe intransigeant, installe un degré élevé de combativité sur les lieux de travail tout en portant une grande attention aux revendications quotidiennes, croit à la vertu de la grève générale et développe une grande méfiance à l’égard des partis et de la politique ». (Jean Sagnes, Le Syndicalisme révolutionnaire dans le midi viticole et sa postérité, études sur Pézenas et l’Hérault). Tous ces points peuvent caractériser le syndicat CGT Source Perrier.

Il faut aussi ici rappeler la forte présence du mouvement libertaire chez les ouvriers agricoles des villages proches de la source comme Aimargues. En 1924, à la faveur d’un mouvement social des ouvriers agricoles, les anarchistes s’emparèrent de la mairie pendant huit jours. Et en 1944, à la Libération, les anarchistes furent élus à la municipalité mais le maire les "trahit" et passa au Parti communiste. Notre camarade Georges Fontenis qui essaie avec la majorité de la FA d’après guerre de sortir le mouvement anarchiste du « romantisme » et de la confusion (avec la création de la Fédération communiste libertaire en 1953) tint d’ailleurs meeting dans ce village dans les années 1950 et les libertaires firent salle comble.

Mais c’est en dehors de toute intervention politique directe ou dirigiste que le mouvement syndical comme celui de la Source Perrier a su forger une mémoire et une culture politique collective.

Même les maos du PCMLF établis dans l’usine après 1968 ne purent en faire une base pour la construction du grand parti, le PCF très influent après la disparition du mouvement libertaire n’a jamais pu y implanter des cellules.

Pour la CGT-SP, La dénonciation de l’oppression capitaliste va de pair avec la dénonciation de l’exploitation nationale. Les années 1960-1970 voient émerger une conscience régionale, ainsi la CGT-SP manifeste pour le Larzac et adoptera comme emblème la croix occitane et le slogan « vivre et travailler au pays ».

Cette revendication d’une identité, d’un midi rouge est alors mal perçue par le très cocardier PC local qui stigmatise « les nationalistes aventuristes ». On voit que celui-ci préfère alors le « Fabriquons français » avec Georges Marchais. Cette affirmation culturelle n’empêche pas la CGT Perrier de manifester sa solidarité internationale notamment lors du coup d’État de Pinochet au Chili.

De même elle s’oppose au FN qui vient distribuer des tracts devant l’usine dans les années 1990, des dizaines de militants CGT quittèrent alors leurs postes de travail et les firent vite déguerpir.

Pendant cette même décennie elle accueillit dans l’usine les premières et premiers marcheurs d’Agir ensemble contre le chômage (Marches contre le chômage de 1994) lors de leur montée sur Paris. Ces deux exemples ne figurent pas dans le livre mais me semblent importants à rappeler.

Loin des clichés sur la classe ouvrière, ce livre nous permet de découvrir concrètement l’histoire de la résistance d’hommes et de femmes, d’une population locale contre les pouvoirs économiques et politiques.

À lire à tout prix.

Serge (AL Nîmes)

  • Nicolas Marty, Perrier c’est nous, Histoire de la source Perrier et de son personnel, Éditions de l’Atelier, Collection mouvement social, juin 2005, 252 pages, 24 euros.
 
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