Politique

Quartiers solidaires : entraide et politisation au temps du coronavirus




Dans le quartier Bottière à Nantes, en plein confinement, un groupe d’habitantes et d’habitants s’organise pour partager l’information, s’entraider et maintenir une vie de quartier. L’animation d’un groupe de personnes via un réseau social numérique met en lumière des problématiques de communication, de gestion des conflits au sein du groupe. Retour d’expérience.

Face au Covid-19, en début de confinement, afin d’animer et organiser l’entraide dans le quartier Bottière à Nantes, où je vis depuis huit ans, j’ai créé un groupe Facebook d’« info, entraide et solidarité » que je porte à titre individuel sans référence à une association ou à une organisation politique. Le but est que les habitantes et habitants du quartier s’approprient cet espace d’échanges en y trouvant des infos pratiques sur la vie du quartier (horaires modifiés d’un commerce, mise à disposition d’attestations de sortie devant la maison de quartier…)  ; ou par de petits gestes (mot dans mon immeuble proposant mon aide, courses à une voisine en même temps que les miennes…).

Le but étant de donner des exemples d’actions, et de faire passer l’idée qu’on peut toutes et tous y contribuer. J’invite des personnes vivant dans le quartier (et pas tous mes amies Facebook), je diffuse l’information auprès des associations et structures du quartier (maison de quartier, écoles, centre de loisirs...), et je colle des affiches aux portes d’immeubles et dans les commerces. Le groupe grandit vite et les gens se l’approprient. D’après ce que je perçois, des habitantes et habitants, issus des classes populaires, très peu politisés et n’ayant pour la plupart très peu, voire aucune expérience d’organisation collective.

S’organiser pour porter des revendications communes

À travers l’entraide au sein du quartier, je souhaitais amener les habitantes et habitants du quartier à se politiser, et (rêvons un peu) à s’organiser pour, au-delà du confinement, porter des revendications communes qui leur sont propres. Il apparaît évident que les personnes qui ont rejoint le groupe ne cherchent pas, voire sont réfractaires à tout discours politique. Mes quelques posts «  politiques  » ont suscité beaucoup moins de réactions que les autres. Plusieurs personnes ont également exprimé ne pas souhaiter voir de contenu politique sur le groupe (ce qui serait source de désaccords et de division). La priorité, pour l’instant, est de m’assurer leur confiance et leur intérêt pour le collectif en construction.

Cependant la politisation indirecte est possible. D’abord en incitant à un fonctionnement autogestionnaire, ensuite en me saisissant de petites choses, de situations concrètes de la vie du groupe, pour amener la réflexion vers des questions politiques «  mine de rien  ». Sur un projet d’affiche, il avait été mentionné que l’aide serait apportée en priorité aux personnes qui en avaient le plus besoin. Cela m’a permis de souligner que cela n’avait pas été discuté collectivement (autogestion), tout en questionnant  : selon quels critères on décide que quelqu’un est dans le besoin  ? De quel droit on se permet ça  ? Est-ce qu’on veut vraiment reproduire le système Caf ou Pôle emploi  ? Quels effets ça fait aux plus précaires de devoir toujours quémander de l’aide et se justifier  ?

En plus du manque d’expérience d’organisation collective des habitantes et habitants du quartier, il faut ajouter une maîtrise inégale du français, de l’écrit, ou des outils numériques, ce qui complique la communication dans une période où il ne nous est pas possible de nous rencontrer. J’essaie au maximum d’écrire avec des mots simples, des phrases courtes, d’éviter les textes trop longs, pour rester le plus clair et compréhensible possible. L’utilisation du format vidéo sur Facebook pourrait être une piste à envisager. Je me suis aussi rendue compte qu’il ne fallait pas trop inonder le groupe de messages en lien avec une organisation collective, que cela avait pour effet de freiner les participations de personnes qui postaient des infos ou demandes plus individuelles.

Pour l’organisation d’une initiative collective, il vaut mieux trouver un autre cadre. Un membre du groupe a proposé d’organiser l’entraide à plusieurs. Face à l’approbation de chacun, l’organisation s’est mise en place. Dans la mesure du possible, j’essaie de faciliter les initiatives qui viennent d’autres personnes, plutôt que d’en être à l’origine  : en organisant des réunions téléphoniques, la partie logistique, communication, animation, comptes rendus…

Être accessible au plus grand nombre

Notre première préoccupation a été de faire que ni l’écrit, ni la langue ni l’accès à Internet ne soient un frein. Une affiche a été créée et diffusée sur le quartier, renvoyant au groupe Facebook mais aussi à un e-mail et à un numéro de téléphone. Il me semblait important d’avoir un outil unique, que les gens connaissent déjà, et qui permette de s’adapter aux différents usages ou besoins. Nous sommes tout simplement restées sur Facebook, en créant un nouveau groupe, plus restreint, dédié à l’organisation collective de l’entraide.

Certains outils informatiques sont difficilement investis et il me semble important de limiter leur usage quand il est possible de s’organiser autrement (notamment, certains outils sont techniquement difficiles d’accès pour les personnes qui n’ont Internet que sur un smartphone). Dans un premier temps, les actions d’entraide réellement mises en place ont été assez limitées  : quelques livraisons de courses, aides à la personnes, lien social…

Depuis peu, un groupe d’habitantes et habitants anime, deux fois par semaine, une criée à différents endroits du quartier, sous les fenêtres  : habillés en clowns, et en musique, ils et elles chantent, blaguent, déclament les messages qui leurs sont adressés par les habitantes et habitants, et en profitent pour faire connaître le groupe d’entraide. La plupart des parents dans le quartier hésitent ou refusent de remettre leurs enfants à l’école. Il me semble intéressant de permettre à des liens de se nouer entre parents qui ont un regard critique sur les choix du gouvernement.

Après avoir posté plusieurs infos sur les aides (Caf, paiement des loyers, etc.) j’ai été contactée par plusieurs personnes qui souhaitaient obtenir de l’aide sur ces démarches. Après le déconfinement, la création d’un groupe d’entraide administrative me semble un bon moyen de faire valoir l’intérêt de s’organiser collectivement, et d’amener vers une politisation et une conscientisation de classe. Tout reste encore à construire, des liens se créent entre personnes différentes, qui n’auraient pas eu l’occasion de se rencontrer sinon, et j’ai bon espoir qu’une dynamique de groupe intéressante en ressorte. Animer ce groupe d’entraide m’a amené des réflexions nouvelles. J’ai conscience que même si j’habite ce quartier, mes réalités et préoccupations ne sont pas les mêmes que celles de la plupart de mes voisins et voisines, et que donc ma légitimité dans cette démarche de politisation que je recherche est bien limitée.

Penser collectivement l’animation des groupes

J’essaie au maximum de m’inspirer des principes d’éducation populaire  : partir du vécu des gens, de leurs préoccupations et me distancier de mes propres envies ou représentations. Éviter les situations de transmission verticale mais au contraire favoriser le partage, la collectivisation des savoirs et des expériences. J’essaie de rester dans le questionnement et le tâtonnement, pour adapter ma démarche en fonction des réactions et des besoins du groupe. Malgré tout, l’exercice reste difficile, en particulier seule. J’ai donc cherché des pistes de réflexion et des espaces où échanger, me confronter à des avis extérieurs.

Sur Nantes, il existe deux autres groupes d’entraide créés par des camarades dans leurs quartiers. Nous avons pris l’habitude de faire un point, tous les 15 jours, sur l’évolution de nos groupes, et d’échanger sur les questionnements que cela nous amenait. Ces échanges me paraissent précieux et vraiment intéressants.

Je pense que nous aurions beaucoup à gagner à créer des espaces entre personnes qui animent des groupes d’entraide, de partage d’expérences et de réflexion sur nos manières de faire pour amener ces groupes d’entraide à se politiser.

Julie (UCL Nantes)


Modération du groupe et rédaction de la charte

L’animation et l’organisation d’un groupe, notamment sur les réseaux sociaux, doit pouvoir s’accompagner d’outils de prise de décision et de modération,
afin d’éviter les conflits et les dérives.

Quelques jours après la création du groupe, plusieurs posts «  problématiques  » sont apparus  : dénonciation des comportements de voisins et voisines (motocross, vente de cannabis, apéro à l’extérieur), impliquant des échanges houleux, des insultes… Les publications les plus insultantes ont été supprimées de manière neutre sans autoritatisme ni moralisation. La question me semblait plus profonde que les réactions d’hostilité face au non-respect du confinement qu’on a vu sur le net. C’est une réalité que dans le quartier, des gens sont préoccupés par les comportements de certains jeunes ou se sentent stigmatisés par les questions de délinquance et de drogue.

Il est apparu nécessaire d’avoir au sein du groupe un outil de modération et une charte de fonctionnement. Pour cela, un sondage a été organisé pour que chacune et chacun puisse s’exprimer sur les attentes du groupe et la communication au sein de celui-ci.

Issue des résultats du sondage (après une journée et 25 % de participation), une charte a été diffusée sous deux formes  : une version longue, et une version simplifiée reprenant les idées essentielles Malgré le manque d’accessibilité de l’outil de sondage, il permet de prendre des décisions de manière collégiale,
où chacun et chacune peut s’exprimer librement et anonymement, tout en s’initiant à l’autogestion. Enfin cela permet d’apporter une réponse collective, non stigmatisante, et qui répond aux besoins et aux attentes des membres
du groupe.

Julie (UCL Nantes)

 
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