SNCF : Les bureaucrates bousculés




Le 18 octobre 2007, la SNCF vient de vivre l’une des plus fortes mobilisations de son histoire. Pourtant, derrière cette réussite, c’est peut-être une défaite qui se profile, tant pour les acquis des cheminotes et des cheminots que pour la crédibilité de leurs organisations syndicales, notamment de la CGT.

En s’attaquant au régime de retraite des cheminotes et des cheminots dont l’origine remonte à 1911, Sarkozy entend abattre deux symboles : d’abord un acquis social des plus anciens, ensuite la mythique combativité de la corporation cheminote. Le gouvernement veut, comme l’analyse l’ancien n°2 du Medef, Denis Kessler, « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » [1]. Cette volonté, qui n’est pas nouvelle, a toujours échoué face à la mobilisation (en 1953 et en 1995). Obtenir qu’une telle réforme passe, qui plus est sans véritable riposte, serait inespéré pour Sarkozy. C’est pourtant ce qui est en train de se profiler après l’exceptionnelle grève du 18 octobre, suivie à près de 75 %.

À l’heure où ces lignes sont écrites, il reste quelques foyers de résistance. L’appel de SUD-Rail et de FO à poursuivre la grève n’a pourtant pas fait le poids face à la chape de plomb de la CGT, à la trahison de l’ultra-catégorielle Fédération générale autonome des agents de conduite (FGAAC) et à l’inaction des autres fédérations.
Malgré tout, la puissance de la grève et la détermination exprimée dans les AG a bousculé même les fédérations les plus timorées, et cela s’en est ressenti lors de l’interfédérale du 22 octobre, qui a été obligé de menacer d’un « conflit plus long » le 31 octobre.

La FGAAC trahit…

Alors que début septembre une relative unanimité permettait de rassembler un front syndical uni sur la question du Fret (lire Alternative libertaire d’octobre 2007), le dossier des retraites a fait clivage. Si toutes les fédés se sont retrouvées pour appeler à la grève le 18 octobre, toutes n’y accordaient pas le même intérêt.

La CFDT ne cachait pas son acceptation de la réforme. Pour elle, une grève de vingt-quatre heures devait uniquement servir à négocier quelques éléments à la marge. Cette position était à peu près la même que celle de l’Unsa, la CFTC et la CGC.

La FGAAC (33 % des conducteurs) a appelé tardivement à la grève reconductible, mais uniquement pour peser sur les négociations qu’elle menait en catimini avec la direction SNCF et le ministère du Travail. Cette stratégie corporatiste lui a permis de se désolidariser de la grève en plein conflit.

SUD-Rail (2e syndicat) et FO, hostiles à la réforme sur le fond, ont appelé à une grève reconductible. SUD est sans doute le syndicat qui a le plus milité pour cela. Son travail d’information sur les conséquences financières de la réforme a notamment permis une mobilisation historique de l’encadrement.

…et la CGT sabote

Mais c’est l’attitude de la CGT (1er syndicat) qui aura été la plus remarquable. Dès le départ, elle a voulu faire du 18 octobre une journée fourre-tout où la question des retraites était accessoire. Pour elle, le régime de retraite SNCF est impopulaire et ne peut-être défendu que dans un cadre interprofessionnel. La confédération CGT n’est pas étrangère à ce positionnement. Dans la Nouvelle Vie ouvrière du 4 septembre, Bernard Thibault avouait « que les régimes spéciaux méritent réexamen ». Sous- entendu : la fin des régimes spéciaux est avalisée et si rendez-vous revendicatif il doit y avoir, ce sera en 2008 contre les « 41 ans de cotisations ».

Cramponnée sur le frein, la CGT aura dépensé plus d’énergie à dénoncer les positions de SUD-Rail qu’à mobiliser ses troupes. Ainsi, chaque fois qu’elle l’a pu, elle a empêché la tenue d’assemblées générales unitaires ou a tenté de les saboter.

Malgré cela, 26 syndicats CGT locaux ont désobéi et appelé à la reconduction. Ailleurs, les syndiqué-e-s CGT se sont vertement opposé-e-s à leurs bureaucrates locaux. Pourtant, il faudra une bien plus forte rébellion pour déborder la CGT. Son poids est tel à la SNCF qu’il est peu probable qu’un conflit dur s’engage sans son consentement. La CGT aurait-elle inventé une nouvelle forme de protestation : « le jour de colère » pendant vingt-quatre heures et puis c’est tout ? Un peu comme au Japon où le salarié peut frapper un mannequin à l’effigie de son patron avant de retourner, soumis, à son poste… On en jugera le 31 octobre.

Martial (AL Angers), 22 octobre 2007

[11. Titre de son éditorial dans la revue Challenge, 4 octobre 2007.

 
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