Venezuela : « Boligarchie » chaviste contre oligarchie pro-Washington




Alors que la droite réactionnaire menace, la caste au pouvoir semble ne tenir que par la fraude institutionnelle et la répression. La fonte de sa base populaire signe les désillusions vis-à-vis du pseudo « socialisme du XXIe siècle ».

Alors que le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) s’accroche au pouvoir présidentiel derrière l’héritier d’Hugo Chavez, Nicolás Maduro, l’opposition de droite, emmenée par la Mesa de la Unidad Democratica (MUD, « Plateforme d’unité démocratique »), est, depuis décembre 2015, majoritaire à l’Assemblée nationale. Pour court-circuiter cette dernière, le PSUV a d’abord tenté de lui substituer la Cour suprême – sans succès – puis a fait élire une Assemblée constituante selon un mode de scrutin lui assurant une large majorité. Ces coups de force successifs ont excité les manifestations contre le PSUV, violemment réprimées par la police.

A l’étranger, après quatre mois de crise, on peine à sortir d’une vision binaire de la situation. Les uns vouent aux gémonies une « dictature qui entretient une grave crise humanitaire, alors qu’il existe une opposition démocratique victime de la terreur rouge », les autres soutiennent le « gouvernement légitime, défenseur du peuple, garant du socialisme et de la révolution, victime d’un complot ourdi par les États-Unis ». Qu’en est-il ?

Depuis le lancement de la « révolution bolivarienne » [1] en 1999, les pressions états-uniennes sur le Venezuela sont multiples. Si Donald Trump menace aujourd’hui d’intervenir militairement, Obama déclarait déjà, en mars 2015, que le Venezuela était une « menace inusuelle et extraordinaire à la sécurité nationale des États-Unis ». La longue liste des coups d’État et mouvements réactionnaires aiguillonnés par les États-Unis, qui considèrent l’Amérique latine comme leur chasse gardée, montre la réalité de la menace. La revendication d’un modèle socialiste – même rhétorique – sur ce sous-continent insupporte la Maison-Blanche.

62 milliards d’investissements chinois

Mais, davantage que ce pseudo «  socialisme  », c’est sans doute l’association de Caracas avec des impérialismes concurrents qui excite la colère de Washington.

Riche en pétrole, le Venezuela, pour réduire sa dépendance envers le voisin états-unien, a progressivement noué des alliances politico-­commerciales avec d’autres puissances, dont la Chine, la Russie ou l’Iran. Ces dernières années, le capitalisme chinois a investi plus de 62 milliards dans le pays [2]. Comme le journal gouvernemental chinois Global Times l’a récemment souligné, Washington veut reprendre le contrôle absolu de son arrière-cour, alors que Pékin souhaite une « coopération fluide et étroite » avec le Venezuela, quel que soit son gouvernement [3].

Loin de s’inscrire dans un quelconque programme « socialiste » ou « bolivarien », ces investissements visent l’exploitation des ressources naturelles du pays, au bénéfice conjoint de l’oligarchie chaviste – la « bolibourgeoisie » – et des multinationales étrangères. Celles-ci sont accueillies à bras ouverts dans des « zones économiques spéciales » dérogeant à l’impôt et au droit du travail [4], mais permettant des mégacontrats ­d’exploitation comme ceux de l’exceptionnelle zone pétrolifère de l’Orénoque. Dans un pays parmi les plus corrompus au monde [5], ces arrangements avec les multinationales laissent songeur.


  • Lire aussi : « Venezuela : Les deux visages du chavisme », dans Alternative libertaire, janvier 2007.

82 % de pauvres

En dix-sept ans de pouvoir, le régime chaviste n’a jamais été capable de diversifier l’économie du Venezuela, et de l’émanciper de sa dépendance au pétrole, qui représente 95 % de ses exportations. En mettant fin à la rente pétrolière, la chute des cours, depuis 2014, a aussi mis fin à sa redistribution – indûment qualifiée de « socialisme ». La plupart des « missions sociales » qui avaient assuré l’assise populaire du chavisme dans les années 2000 ont été supprimées par ­l’État.

En conséquence de quoi le taux de pauvreté a explosé, passant de 48 % en 2014 à 82 % en 2016, avec une inflation annuelle de plus de 700 % selon l’Institut national de statistiques [6]. Aliments, devises, médicaments, essence… la population se fournit au quotidien sur le marché noir. Pour l’endiguer, le gouvernement a créé les comités locaux d’approvisionnement et de production (Clap), en faveur des bénéficiaires des programmes sociaux… avec une forte suspicion de clientélisme.

La souffrance des femmes

Comme souvent lorsque la situation sociale s’aggrave, les femmes paient le coût le plus lourd. Les violences qu’elles subissent sont en augmentation : en 2016, on estime à 169 le nombre de féminicides, passés sous silence tant par le gouvernement que par l’opposition, et impunis dans 96 % des cas [7]. Le Venezuela enregis­tre par ailleurs un triste record  : 25 % des Vénézuéliennes enceintes auraient moins de 15 ans [8], et l’ONU signalait, en 2013, que les adolescentes représentaient 66 % des cas de mortalité maternelle [9]. Seule solution proposée par le gouvernement : une campagne télévisée en faveur de l’abstinence sexuelle ! Aucune discussion sur le droit à l’éducation sexuelle, aux moyens contraceptifs et encore moins à l’IVG, toujours illégale après quinze années de « processus révolutionnaire »... Les avortements clandestins tueraient une femme tous les dix jours.

Des rivaux qui partagent bien des valeurs

L’opposition de droite n’apportera aucune solution à la détresse sociale, au contraire.

Début 2016 encore, un décret du gouvernement Maduro a créé une vaste « zone économique de développement national », confiant l’exploitation minière de 112 000 km2 de territoire à des dizaines de multinationales, piétinant la « souveraineté na­tionale du sous-sol », inscrite dans la Constitution de 2012. D’ordinaire très hostile à la politique du PSUV, la MUD a approuvé ce décret, tout à fait
en phase avec son «  programme de gouvernement d’unité nationale 2013-2019 ».

Comme quoi, la confiscation des terres des peuples originaires, l’exploitation des travailleurs et des travailleuses et l’anéantissement des ressources naturelles peuvent être des valeurs équitablement partagées par les deux blocs qui se disputent le pouvoir d’Etat.

On croit la MUD sur parole quand elle se fait le chantre des « libertés » entrepreneuriales ; nettement moins quand elle se réclame des libertés publiques. Certaines de ses composantes participaient au pouvoir lorsqu’en février 1989 fut lancé un programme de mesures libérales de choc sous la houlette du Fonds monétaire international. La population protesta contre la casse des services publics et des budgets sociaux ; la répression fit entre 300 et 3 000 morts selon les sources.

De même, après leur éphémère coup d’État contre Chavez, en avril 2002, les putschistes avaient immédiatement réprimé la contestation populaire, en collaboration étroite avec le patronat. Le patron de la Fedecamaras – le Medef vénézuélien –, s’était autoproclamé chef du gouvernement, aussitôt adoubé par Washington et par Madrid.

Le peuple n’a donc rien à attendre de la MUD, qui n’incarne qu’une alternative oligarchique pro-Washington à la « boligarchie » actuelle. Mais il n’a rien non plus à attendre d’un gouvernement autoritaire aux abois, dont certaines fractions envisagent le départ de Maduro comme solution pour prolonger la survie du régime.

La seule issue à cette crise de régime serait la montée d’un contre-pouvoir populaire, structuré par des organisations sociales et ­syndicales autonomes. ­Difficile à imaginer après dix-sept ans de tutelle étatique sur les mouvements sociaux, mais il faut espérer que les événements actuels fassent bouger les lignes dans cette direction.

Abobora (AL 31, liaison Comminges)

[1Invention d’Hugo Chavez faisant référence à Simón Bolívar (1783-1830), le « bolivarisme » est un nationalisme de gauche, visant à constituer un capitalisme national, indépendant des intérêts états-uniens.

[2« Venezuela, a microcosm of Latin American conundrum » Global Times, 1er août 2017.

[3Ibidem.

[4Thomas Posado, « Les classes populaires vénézuéliennes prises au piège », Contretemps.eu, 8 août 2017.

[5En 2016, l’ONG Transpaency International classait le Venezuela 158e sur une liste de 168 Etats.

[6IIIe Forum Conditions de vie de la population vénézuélienne, université Simon-Bolivar, 22 avril 2015, sur Rectorado.usb.ve.

[7Observatoriodeviolencia.org.ve, 25 novembre 2016.

[8Déclaration sur Facebook de Nelmary Diaz, directeur de la Planificacion familiar, le 5 août 2016.

[9Eluniversal.com, 20 mai 2013.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut