Facs : Fédérer les luttes à la rentrée




Près de 6 mois après la mobilisation massive des étudiant-e-s et des lycéen-ne-s contre le CPE, la situation de la jeunesse ne s’est pas améliorée.

Sur le plan social elle s’est aggravée. Plus de la moitié des étudiant-e-s est contrainte de se salarier durant toute l’année scolaire dans des emplois précaires sans aucun rapport avec leur cursus et près de 40 000 se prostituent (rapport de l’Observatoire de la vie étudiante, 2001). Tout ceci afin de financer un logement étroit de plus en plus cher, des frais d’inscription à l’université en constante augmentation et globalement une vie qui coûte de plus en plus cher (transports, service du CROUS...). Face à cela le nombre et le montant des différentes aides sociales (bourses, APL...) sont très largement insuffisants et ce n’est pas la misérable aide de 300 euros accordée à la rentrée par le gouvernement aux étudiant-e-s boursier-e-s quittant le domicile parental qui changera quelque chose.

Universités au garde-à-vous

Quant aux dispositifs pédagogiques qui permettaient aux étudiant-e-s salarié-e-s de suivre un tant soi peu le rythme scolaire (session de rattrapage en septembre, compensation entre les semestres..), ils sont remis en cause voir supprimés excluant ainsi progressivement la part la plus précaire des étudiant-e-s du système scolaire. Les étudiant-e-s étranger-e-s et plus particulièrement celles et ceux qui ne sont pas sous convention (programme Erasmus ou autre) seront d’autant plus pénalisé-e-s par cette situation que la répression à leur égard s’accroît. Comme les années précédentes, il ne sera pas rare d’en voir qui recevront des “ invitations à quitter le territoire ” pour “ non-cohérence du parcours pédagogique ”, c’est-à-dire celles et ceux qui auront “ trop redoublé ” ou tout simplement changé de cursus.

Des appréciations de la part de préfectures incompétentes pour juger de la cohérence d’un parcours universitaire et qui n’ont toujours pas intégré la nouvelle structure des diplômes LMD (ainsi à Rennes par exemple un étudiant en doctorat a reçu une invitation à quitter le territoire car il n’avait pas passé d’examen depuis trois ans !).

En réalité, les autorités préfectorales n’ont qu’une ambition : faire du chiffre par tous les moyens possibles.

La situation générale de précarité des étudiant-e-s ne peut que convenir aux patronat qui dispose alors d’une main-d’œuvre importante et flexible, et qui du fait qu’elle entretienne un rapport essentiellement alimentaire à l’emploi, est moins regardante sur les conditions de travail.

Mais cela ne suffit pas à la classe dominante. La réforme LMD instaurée il y a trois ans, supprimant le Deug, cassant le cadre national des diplômes permettant ainsi la création de diplômes locaux est maintenant terminée. L’ensemble des universités y est soumise. Outre que cette réforme a aggravé les problèmes liés au sous encadrement administratif et éducatif des universités (sous-encadrement extrêmement inégalitaire selon les filières et encore plus entre les grandes écoles et les universités), elle a aussi permis la création de diplômes “ bâtard ” (avec un peu de chaque matière) ne permettant pas un enseignement poussé (nécessaire à un apprentissage critique) au nom d’une professionnalisation plus liée à des effets de modes et au clientélisme qu’à une réelle situation du “ marché de l’emploi ”. Ceci en arguant de “ l’échec important ” et du “ manque de débouché ” dans certaines filières comme les sciences humaines alors que celles-ci sont les moins dotées en terme de moyens et que les différents gouvernements ont constamment réduit le nombre de postes dans les concours ouverts à ce genre de filières (éducation, social, culture).

Cette année sera marquée par le passage à un échelon supérieur dans la privatisation de l’enseignement supérieur avec la mise en place des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) qui vise à rendre “ compétitives ” les universités sur le plan international en regroupant des structures d’enseignement supérieur (université, écoles, IUFM) mais aussi parfois des entreprises dans de nouvelles structures juridiques au nombre de trois (qui seront au choix) et qui définiront le niveau de “ partenariat ” entre les entreprises et les structures d’enseignement (d’un simple partenariat à une réelle privatisation de l’université). La principale conséquence (au-delà du fait que l’on passera de 82 à une quarantaine d’universités) sera que le cadre juridique national des universités ne sera plus homogène et l’on se retrouvera alors avec des établissements quasiment privés d’un côté et des établissements publics de l’autre. Le résultat de cette restructuration avec la remise en cause définitive de l’indépendance de la recherche et de l’enseignement vis-à-vis des entreprises, sera la disparition de filières non rentables.

Si cette réforme constitue un pas immense dans la privatisation de l’enseignement supérieur, il ne faudra pas cependant espérer une mobilisation sur ces questions. En effet, depuis l’échec des grèves en 1998 et en 2003 contre le LMD, la question de la formation semble délaissée dans les luttes étudiantes (à l’exception des luttes locales contre la suppression de certains dispositifs pédagogiques comme les sessions de rattrapage ou les compen- sations intersemestrielles) au profit des luttes sur la précarité qui sont moins techniques, plus concrètes dans les situations qu’elles touchent et dans leurs résultats, pour les étudiant-e-s. Néanmoins la réappropriation des questions de formation par les organisations de luttes étudiantes sera sûrement un des enjeux à venir.

Une rentrée pour rebondir

Six mois après le mouvement “ anti-CPE ”, les organisations étudiantes de luttes se sont renforcées, à la fois en terme d’adhérent-e-s mais aussi en légitimité, du fait de leur rôle moteur lors de ce même mouvement. Il reste qu’il existe encore un fort potentiel d’étudiant-e-s mobilisables et ceci dès la rentrée. Si la question de la précarité sera évidemment au centre des intérêts pour les raisons évoquées précédemment il existe également de multiples autres sujets de luttes : étudiant-e-s sans-papiers, loi de prévention de la délinquance, mise en place des PRES, hausse des frais d’inscription, manque de logements étudiants, baisse de postes aux concours... On peut raisonnablement penser que des luttes locales vont démarrer sur ces différents sujets.

La lutte contre le CPE passée nous donne toutes les raisons pour tenter de relancer un mouvement de masse cette année. La configuration va néanmoins être très différente cette année en raison des élections à venir. Le gouvernement ne va sans doute pas nous donner les raisons d’une mobilisation avec une réforme d’ensemble comme le CPE. C’est donc une lutte offensive qu’il faudra construire, en s’appuyant sur les luttes défensives locales qui se profilent déjà et en leur donnant une cohérence et un objectif. Le rôle des organisations de lutte va être crucial.

D’un autre côté, les organisations sociales-démocrates, et en premier lieu l’Unef, vont tout faire pour étouffer les tentatives de mouvement national et nous allons être privé-e-s de leur puissant appareil de communication. Mais ce point noir a un avantage : nous aurons l’initiative totale sur la menée de la lutte et sa représentation médiatique, contrairement à l’an dernier, où l’Unef avait complètement verrouillé la représentation médiatique et syndicale du mouvement. Nous pensons donc qu’il est non seulement possible, mais même de notre devoir de militant-e-s syndicalistes révolutionnaires, de tenter le coup.

Une perspective de lutte de masse exclue d’emblée un certain nombre de luttes minoritaires. Nous espérons simplement remettre ces luttes à plus tard, une fois le rapport de force acquis. Il y a d’ores et déjà consensus dans les organisations de lutte pour considérer la précarité comme une priorité. Mais difficile de trouver une revendication phare sur le sujet. Évidemment le salaire social reste notre leitmotiv, mais nous ne pensons pas en faire une force de mobilisation en tant que tel, mais plutôt un projet à long terme à avancer lors des luttes de masse. La précarité recouvre des réalités diverses, mais une raison commune sur les facs : le manque de moyens. Nous pensons donc que la revendication d’une loi de programmation budgétaire peut fédérer les luttes contre la hausse des frais d’inscription, le manque de logement étudiant, le manque de profs etc.

Les organisations de lutte vont être mises au pied du mur et vont devoir choisir entre une intervention locale sur des lutes défensives ou un vrai rôle de coordination pour une lutte offensive de masse. Le pari est osé et peut échouer mais l’occasion est à saisir maintenant, tant que les conditions sont réunies : expérience de lutte des étudiant-e-s, unité des organisations de luttes... Ensemble, faisons en sorte que le mouvement anti-CPE ne soit pas envoyé aux oubliettes !

Tristan (AL Rennes), Grégoire (AL Paris Sud)

 
☰ Accès rapide
Retour en haut