antiracisme

Manif pour Théo à Bobigny : un autre récit




Samedi, la colère s’est traduite par l’émeute, mais pas seulement. Les militant.es des quartiers populaires ont pris la parole, et ça valait le coup d’écouter.

Samedi, dans plusieurs villes de France, on a manifesté pour que justice soit faite pour Théo Luhaka, habitant d’Aulnay victime d’un viol policier que l’État (la Justice, l’IGPN) cherche désespérément à minimiser en le présentant comme « non intentionnel ».

Plusieurs de ces manifestations ont donné lieu à des affrontement avec la police. Ces affrontements en disent long sur la rage contre l’insécurité policière qui règne en banlieue, et l’impunité dont elle est systématiquement couverte.

Mais les médias n’ont souvent retenu que cela : 37 personnes interpellées à Bobigny, une camionnette de RTL brûlée… Ils ont généralement passé sous silence la parole des manifestantes et des manifestants, et des collectifs qui avaient organisé ces protestations.

Dès le début la provocation policière

En région parisienne, c’était le collectif Quoi ma gueule ? qui avait lancé l’appel pour un rassemblement à 16 heures devant le palais de justice de Bobigny. À l’heure dite, 2 000 à 4 000 personnes étaient là, une majorité de jeunes, balbygniens ou voisins, mais aussi des plus âgés et, pour ce qu’on en a vu, des syndicalistes (Solidaires, CGT), des militants des associations de défense des droits (MRAP, LDH, RESF...) ou politiques (AL, NPA, PCF, Ensemble…). La foule était rassemblée en face du bâtiment transformé en bunker par les forces de « l’ordre » – armes, casques et armures de rigueur. Plus tard, les pandores en faction sur la passerelle Marie-Claire [1] qui surplombait la manifestation, devaient essuyer quelques jets de projectiles et répliquer en tirant au LBD dans la foule. Plus loin, une équipe de la Brigade anticriminalité [2] stationnée au niveau du métro a lancé à l’aveuglette des grenades lacrymogènes tour à tour sur le rassemblement et sur les bâtiments avoisinants.

Ces provocations policières, dès le début, n’auront pas empêché le meeting de se tenir. Sur une tribune improvisée, les organisatrices et organisateurs du rassemblement ont passé le micro, pour une série de prises de parole globalement empruntes d’une exigence de dignité, de justice et de rassemblement, et en faveur d’une politisation de la révolte.

Un discours prônant l’union et l’action collective

C’est souvent revenu dans la bouche des militants du collectif Quoi ma gueule ? : « Montrez-leur que nous sommes intelligents, nous sommes éduqués, nous ne sommes pas des sauvages. »

Le rappeur Sofiane, très en verve et impliqué dans la lutte contre l’impunité policière, a appelé à l’union par-delà les barrières que certain.es cherchent à dresser, en prenant la foule à témoin : « Eh, aujourd’hui on est en train de prouver un truc ! Tous les trucs qu’on voit sur Internet, là, sur "les Blancs, les Reunois, les Reubeus, tatata"... Eh c’est KO, tout ça, c’est KO ! »

Même tonalité du côté de la mère de Théo, qui a pris la parole pour appeler à l’union contre l’injustice et l’impunité policière.

Un militant du collectif pour Adama Traoré a appelé à ne pas s’en remettre uniquement à l’action des avocats pour lutter contre les violences policières, mais à participer à l’auto-organisation dans les quartiers : « Il faut que les quartiers populaires fassent confiance aux gens qui militent, en bas de chez eux, sans qu’on les connaisse... »

Une militante du collectif Femmes solidaires a fait le lien entre l’affaire Théo et la répression du mouvement social dans les quartiers populaires.

Intervention également d’Amal Bentounsi (d’Urgence notre police assassine, sœur d’Amine Bentounsi tué à Noisy-le-Sec en 2012).

Un militant des Jeunesses communistes a souligné la dimension politique des discriminations, de l’insécurité policière et de son impunité, en expliquant que la police était là pour maintenir « l’ordre social » bien davantage que « l’ordre public ». Mais du coup, son plaidoyer pour que les missions de la police soient « redéfinies » tombait un peu à plat...

Égarements politiciens

Plus décalée, l’intervention d’une personne se présentant simplement comme « un Aulnaysien », qui a bredouillé un discours confus, qui tendait surtout à faire la promotion de l’ancienne municipalité PS d’Aulnay-sous-Bois. Celle-ci envoyait des médiateurs faire régner « le calme dans les quartiers » alors qu’avec la droite, c’était des policiers qui créaient des troubles (malaise dans l’assistance). « Nous, ce qu’on veut, c’est que la police nous contrôle correctement » (huées). Et d’appeler les gens à se saisir du bulletin de vote, etc. (nouvelles huées).

Décalée aussi, l’intervention d’une oratrice qui venait parler « en tant que Congolaise », ceinte d’un drapeau de la République démocratique du Congo, et qui a surtout parlé de la RDC. Agacés, des gens ont fini par scander « Nous sommes tous français ! »

Il y a eu également des slogans « Nous sommes tous Bamboula ! », en référence à la saillie abjecte d’un syndicaliste policier à la télévision quelques jours plus tôt.

Et les désormais classiques : « Tout le monde déteste la police », « Théo, Adama, Zyed et Bouna, on n’oublie pas on pardonne pas », « Police partout justice nulle part », « Flics, violeurs, assassins ».

Un représentant de la Brigade antinégrophobie a martelé que la France ne serait jamais le pays des droits de l’homme tant qu’il y aurait le contrôle au faciès et le soutien à la Françafrique. Avant que le rassemblement parte en manifestation, il a également appelé à une marche silencieuse, digne et calme, avant de prévenir, en évoquant les policiers : « S’ils nous cherchent, ils nous cherchent ; s’ils sont calmes, on est calmes. » On a vu ce qu’il en était.

Justice pour Théo, Adama, et tous les autres !

D’ores et déjà, il est important d’avoir en tête la mobilisation antiraciste du 19 mars, qui va prendre, avec ces événements, un relief particulier.

Guillaume (AL Montreuil), avec Charpentier, Maud (AL Paris nord-est), Clotilde (AL 93) et Léo (AL 94 nord)

« la France ne sera jamais le pays des droits de l’homme tant qu’il y aura le contrôle au faciès »
cc Guillaume/AL Montreuil

D’AUTRES ÉCHOS

A Montpellier, à l’appel de l’Assemblée générale contre l’état d’urgence, 200 personnes ont manifesté à travers la ville, et même envahi la gare SNCF pendant une dizaine de minutes sans que la police montre le bout de son nez.

A Orléans, 70 personnes se sont rassemblées pour Théo, ce qui est très encourageant car il n’y avait pas eu d’initiatives collectives pour Adama Traoré par exemple. Nombreuses et nombreux étaient les manifestant.e.s à s’être déplacé.e.s spontanément suite à un appel sur les réseaux sociaux. Des militant.e.s du Collectif Acide, Solidaires, FA, AL, JC, PCF, POI-D et NPA étaient également présent.e.s. Des prises de paroles et des interventions artistiques ont eu lieu sur la voie publique et de prochains rendez-vous sont annoncés.

A Lorient, une quarantaine de personnes se son rassemblées pour Théo, avec AL et la France insoumise (les mélenchonnistes). Prises de parole dans la rue.

A Rouen, parallèlement à une action devant le magasin New look contre la répression syndicale dans cette enseigne, un rassemblement a eu lieu à 16 heures devant l’hôtel de ville pour réclamer justice pour Théo et Adama. Environ 300 personnes, avec le NPA, la JC, AL, Solidaires, des autonomes. Départ en manifestation dans la foulée.

A Nantes, 400 personnes au départ de la manif, derrière une banderole « qui nous protège de la police ? » Les quelques dizaines de CRS présents ont récolté leur lot de quolibets (« flics, violeurs, assassins », « tout le monde déteste la police », « police partout, justice nulle part »...). Après une heure et demi de marche dans le centre-ville la manif s’est dissoute sans incident.

[1Baptisée ainsi en 2005, en mémoire de l’affaire Marie-Claire Chevalier qui, en 1972, marqua la lutte pour le droit à l’IVG.

[2BAC : le corps de police le plus dangereux pour la population. Lire à leur sujet l’enquête de Didier Fassin, La Force de l’ordre, Seuil, 2011.

 
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