Mini-dossier

Aveyron : néoruraux et néoréacs




Ces dernières années, on assiste à des tentatives d’implantation de groupes d’extrême droite venus d’horizons différents dans plusieurs zones rurales (Lot, Aveyron, Pyrénées-Orientales, Haute-Savoie…). Si l’extrême droite électorale y est encore marginalement implantée, d’autres groupes plus radicaux réussissent notamment à nouer des alliances avec une mouvance issue d’une écologie profonde, essentialiste et aclassiste.

L’Aveyron n’est pas réputé pour être une terre d’élection de l’extrême droite. Aux élections municipales de 2020, le Rassemblement national (RN, ex-FN) n’a pas réussi à conquérir de communes. Et aux élections régionales de 2021, ses scores ont chuté de 10 points passant de 23,21 % à 13,69 %. Le RN est peu audible dans l’ensemble du département. Il s’exprime peu dans les médias locaux, sur Internet et les réseaux sociaux et encore moins sur les murs, dans les boîtes aux lettres et sur les marchés. Disposant d’équipes militantes peu étoffées, il reçoit le plus souvent le renfort du RN de l’Hérault lors des rares collages d’affiches qu’il effectue en période électorale. Il occupe donc assez peu son espace politique et ce n’est pas nouveau.

Ses rares militants ont bien essayé de se faire entendre sans toutefois s’afficher ouvertement fin 2018, au début du mouvement des gilets jaunes en Sud-Aveyron, mais face aux discours progressistes des groupes Gilets jaunes défendant les services publics, convergeant avec les syndicats et les groupes écologistes les plus combatifs et rejetant très clairement toute forme de racisme, ils n’ont pas insisté.

Irruption du charlatan louis fouché

Face à ce vide militant, d’autres groupes essaient d’occuper cet espace politique avec des fortunes diverses. Fin 2020, on a vu le groupe complotiste Red Family, animé par Abdel Zahiri (ex du NPA passé par les gilets jaunes, relayant volontiers la prose antisémite d’Égalité et réconciliation et affichant ses affinités avec Dieudonné et Faurisson) commencer à diffuser sa propagande anti-IVG et covidosceptique et chercher à hameçonner des mères d’enfants victimes de violences pédocriminelles avant de s’évaporer rapidement.

Depuis juin dernier, on assiste à des tentatives plus sérieuses d’autres groupes. C’est le cas notamment de Réinfocovid, un collectif antimasque et antivaccination très actif sur le web et qui donne généreusement la parole à des figures et représentants de différentes officines d’extrême droite tout en contribuant à diffuser de fausses informations. Le 12 juin, un de ses principaux animateurs, Louis Fouché, prenait la parole à Saint-Affrique, en plein air devant 200 personnes venues l’écouter. Dans cette petite ville, où l’extrême droite ne dispose d’aucun groupe implanté, c’est du côté de militantes et militants écologistes qu’est venue l’initiative.

La convergence s’est faite à partir d’analyses partagées sur la crise sanitaire. C’est le Planning familial local qui a tiré la sonnette d’alarme estimant qu’il n’était pas admissible de dérouler le tapis rouge à un militant connu pour ses positions anti-IVG et à un réseau épousant des positions confusionnistes et conspirationnistes au service d’une rhétorique d’extrême droite.

Cette invitation a semé un trouble et des fractures dans la mouvance écologiste saint-affricaine entre celles et ceux qui estiment qu’il n’est pas possible de pactiser avec l’extrême droite et d’autres qui jugent qu’il ne faut pas se diviser face à la « dictature sanitaire » du gouvernement. Chez ces derniers l’aveuglement est tel que même lorsqu’on leur met sous le nez les déclarations anti-IVG de Fouché ou le concept dit de « réinformation » forgé par l’extrême droite, ils et elles reconnaissent qu’il peut y avoir un problème mais sans pour autant remettre en cause la possibilité d’une collaboration avec lui.

Ainsi, un Léon Maillé, figure historique de la lutte contre l’extension militaire du camp du Larzac (1971-1981), a vertement répondu à des militantes et militants du Planning familial, de Solidaires et de l’UCL (entre autres) qui dénonçaient dans une tribune parue dans Le Progrès saint-affricain (hebdomadaire local) la venue de Fouché et la complaisance dont il a pu bénéficier localement, se flattant même de l’avoir ­hébergé chez lui.

Tentation communautaire

Si l’appréciation de la situation sanitaire est un marqueur fort, elle n’est peut-être pas la seule affinité qui relie un individu comme Fouché et des militantes souvent néoruraux et issus de l’écologie et de la gauche. C’est aussi une certaine vision de l’écologie (écologie profonde, écologie essentialiste et aclassiste) qui permet de converger. Fouché est issu du mouvement des Colibris tenants d’une écologie aclassiste dans laquelle un Pierre Rabhi pouvait tenir des propos homophobes et réactionnaires sans crainte d’être remis en cause. Et du reste, ce qu’il peut dire sur la permaculture et l’agroécologie intéresse autant que ses thèses sur la crise sanitaire.

On navigue là aussi en eaux troubles et on sait que l’extrême droite s’y retrouve tel un poisson dans l’eau. C’est si vrai que Réinfocovid s’efforce de s’implanter plus durablement au nord du département en tentant d’acquérir un terrain afin d’y créer une communauté comme l’a révélé récemment Le Monde.

Librairie antisémite

C’est encore un petit regroupement communautaire qu’on trouve installé dans un hameau situé à 30 kilomètres de Millau et constitué autour d’un libraire. Ce dernier diffuse la prose du groupe fasciste Égalité et réconciliation, ainsi que d’autres opuscules de la littérature masculiniste, antiféministe ou encore antisémite comme Les Protocoles des sages de Sion sur les marchés de Millau et Saint-Affrique sans que les mairies PS et LR ne trouvent à y redire et avec la bienveillance de la gendarmerie, prompte à le protéger quand les antifascistes l’empêchent de vendre sa propagande criminelle.

En Aveyron, les antifascistes comprennent qu’il faut s’organiser pour contrecarrer ces tentatives de développer des courants d’extrême droite. L’antifascisme ne saurait toutefois être la seule réponse, puisque le malaise est plus large que cela. Face aux dérives d’une certaine écologie, c’est bien une critique matérialiste se fondant sur un projet d’émancipation qu’il s’agit d’opposer et de partager beaucoup plus largement.

Laurent (UCL Aveyron)

 
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