Dossier : Libye : Luttes sociales contre système tribal




Chasser le dictateur : telle est la préoccupation d’une bonne partie du peuple libyen, exaspéré par l’évolution de la situation sociale et économique dans le pays. Des tensions qui remettent en cause le système tribal, sur lequel le régime de Kadhafi continue de s’appuyer.

Kadhafi dirige la Libye depuis 1969. Il a verrouillé toutes les institutions, et écrasé tout ce qui pouvait s’opposer à lui. Malgré l’absence d’organisations collectives autres que les courroies de transmission du régime (syndicats et « comités populaires ») le peuple libyen s’est opposé en janvier à la dictature. Face à la répression, l’opposition a pris une tournure insurrectionnelle. Indépendamment de la question d’une ingérence extérieure, il est nécessaire de comprendre les forces sociales en jeu, du côté de Kadhafi comme chez ses opposants.

Ce qui profite aux insurgé-e-s

La situation économique pousse à la révolte. Un processus de modernisation et de libéralisation économique a été lancé à la fin de l’embargo, mais doit être financé par la rente énergétique, qui était réservée à l’achat de la paix sociale. La population est jeune et urbanisée, le chômage est élevé.

Contrairement à l’Algérie, une certaine unité semble s’être réalisée autour de la volonté de chasser le dictateur (mais pas au delà). Le mouvement rassemble de nombreux Libyens, de la grande bourgeoisie au prolétariat, en passant par une partie de l’appareil de répression : la libération de Benghazi a été réalisée avec l’appui de l’armée, les ambassadeurs ont rejoint l’opposition, et les faubourgs populaires de Tripoli se sont embrasés contre le tyran. Cette unité est visible dans le lien entre les shebabs, volontaires ne disposant au départ ni de commandement, ni d’armes lourdes, et l’embryon d’État que constitue le Conseil de transition nationale. Ce dernier est issu des comités créés dans les villes libérées, composés d’anciens prisonniers comme de caciques locaux, et d’un gouvernement provisoire mis en place par un ancien ministre.

Ce sont les volontaires qui ont lancé les offensives jusqu’aux portes de Tripoli, mais ils n’ont pu faire face à la contre-attaque kadhafiste, au contraire des forces semi-professionnelles du Conseil de transition, qui bénéficient du soutien international et des conseils des cadres de l’ancienne armée.

Ce qui profite à Kadhafi

Kadhafi utilise quant à lui l’aide de mercenaires habituellement au service de sa politique africaine, tout en prenant appui sur le système tribal. Les tribus sont le noyau politique libyen depuis la lutte contre l’Italie. Kadhafi s’appuie surtout sur celle dont il est originaire et place des membres de celle-ci aux postes stratégiques et dans les troupes d’élite. Parallèlement, il dépolitise les autres tribus et tente d’acheter les chefs en leur laissant la direction de l’armée régulière et des « comités populaires ». Cette politique a permis à Kadhafi de conserver le soutien des tribus qui ont obtenu ses faveurs. À l’inverse les brimades à l’encontre d’autres (comme dans la région de Benghazi) ont favorisé la rébellion de celles-ci.

Les tentatives des insurgé-e-s de surmonter cette logique tribale semblent avoir des résultats mitigés : ils ont obtenu des soutiens au sein de tribus pro-Kadhafi dès le départ de la révolte, mais, avant l’intervention, ceux-ci n’ont pas été suffisants pour dissoudre les institutions aux ordres de Kadhafi.

Il semble en fait que les changements économiques (causes de distension des liens traditionnels, de redistribution de la rente, etc.) soient en train de saper le fonctionnement tribal, et donc les bases de la Jamahiriya (le système kadhafiste). Ce qui le remplacera dépend de l’évolution de la situation et du maintien ou non du dictateur.

Dany (AL Toulouse)

 
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