Culture.

Lire : Minczeles, « Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif »




Les Éditions de l’Échappée publient une réédition du livre d’Henri Minczeles sur l’histoire du Bund, paru en 1995 et qui reste une référence incontournable en langue française. Il est à saluer un vrai travail éditorial qui restitue par l’ajout de documents photographiques et de notes revues, un remarquable travail à la hauteur de l’importance de l’ouvrage.

Si l’ensemble de l’ouvrage nous replonge dans près de cinquante ans d’une expérience politique encore relativement méconnue, les deux premières parties, traitant de la période antérieure à la création du Bund et de ses premières années d’existence sont particulièrement intéressantes en ce qu’elles résonnent comme particulièrement contemporaines.

Les questions des oppressions spécifiques, des appartenances identitaires multiples et croisées, de leur place dans la lutte des classes, ne sont pas apparues il y a quelques années, du fait des théories intersectionnelles, mais elles traversent ce mouvement socialiste depuis l’origine.

Créé dans la clandestinité en 1897, Der Algemayner Yiddisher arbeiter-Bund in Russland un Poyln, l’Union générale des ouvriers juifs de Russie et de Pologne, le Bund en abrégé, est le premier parti juif, socialiste, marxiste et laïque. La ligne d’action est résumée par Arkadi Kremer, l’un des déléguées du congrès constitutif du Bund : « Une Union générale de toutes les organisations socialistes se fixera pour but non seulement la lutte pour les revendications russes en général, mais aussi pour défendre les intérêts spécifiques des travailleurs juifs, et avant tout le combat contre toutes les lois discriminatoires. Car les ouvriers juifs sont opprimés à la fois en tant que travailleurs et en tant que Juifs. »

Après un peu plus de vingt ans d’activisme socialiste juif, le Bund constitue un tournant organisationnel. Il se situe principalement dans la Zone de Résidence –région d’environ un million de kilomètres carrés s’étendant de la mer Baltique à la mer Noire dans laquelle les populations juives sont assignées à résidence depuis 1791. Il opte pour l’adhésion progressive au marxisme et pour la nécessité de militer dans la langue de ces populations juives, le Yiddish.

La question nationale fut au cœur des travaux des troisième et quatrième congrès où des points de vue contradictoires s’opposèrent. Des congressistes mirent en avant le risque que la question nationale détourne finalement « l’attention du prolétariat juif de ses intérêts de classe » et devienne « un obstacle à la solidarité agissante des masses ».

Une position médiane, autonome, fut adoptée, opposée tout à la fois au nationalisme (« un sentiment national exacerbé risquant d’obscurcir la conscience de classe du prolétariat Juif et de le conduire au chauvinisme ») et à l’assimilation (« Comment les ouvriers Juifs peuvent-ils exprimer leur conscience de classe sinon dans leur langue maternelle  ? »).

Finalement la question du sionisme, fut-il de gauche, souda les bundistes qui dans leur très grande majorité le rejeta en bloc. La déclaration émanant du quatrième congrès est sans appel, considérant : « le sionisme comme une réaction de la classe bourgeoise contre l’antisémitisme et la situation anormale du peuple juif. Le sionisme politique érigeant pour but la création d’un territoire pour le peuple juif ne peut prétendre résoudre la question juive […] ni satisfaire le peuple dans son ensemble. Que ce soit dans les organisations économiques (caisses) ou politiques (sections bundistes) il ne faut pas admettre les sionistes. »

L’ouvrage, bien que dense, nous entraîne dans l’histoire d’un mouvement socialiste original ayant développé une identité juive promouvant la langue Yiddish comme langue de l’émancipation du prolétariat juif et dans le même temps, étant extrêmement cosmopolite et internationaliste.

Une voie socialiste originale qui prit part aux grands évènements révolutionnaires et de résistance au fascisme de la première moitié du vingtième siècle.

David (UCL Chambéry)

  • Henri Minczeles, Histoire générale du Bund. Un mouvement révolutionnaire juif, éditions l’Échappée, 2022, 22 euros.
 
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