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Bande dessinée : Festival de la BD d’Angoulême, 50 ans de sexisme ça suffit !




Nous évoquions dans le numéro 334 (janvier 2023) les mobilisations féministes déclenchées par l’affaire Vivès avant le Festival international de la bande dessinée. Le festival a eu lieu du 26 au 29 janvier dernier à Angoulême : les représentations pédopornographiques et la « liberté d’expression » ont été au cœur de tous les débats durant cet événement, divisant la BD entre réactionnaires et féministes.

L’annulation de l’exposition « Dans les yeux de Bastien Vivès » n’aura pas suffi à apaiser les tensions actuelles du milieu de la bande dessinée. Selon Franck Bondoux, délégué général du Festival international de la bande dessinée (FIBD), il s’agit de la première déprogrammation de toute l’histoire du festival. Un constat dramatique, qui ne reflète en rien les positions du FIBD et d’une partie importante de la profession concernant les représentations pédopornographiques.

Cette édition particulière du Festival, célébrant les 50 ans de l’institution, a été un concentré d’opinions conservatrices et de mauvaise foi. Les défenseurs et défenseuses de la liberté de tout représenter accusent les collectifs féministes de censure et de conservatisme. Pourtant, aucune féministe ne s’est offusquée devant la violence représentée dans l’expo "L’attaque des Titans", ni face au malaise que peut provoquer l’œuvre de Junji Ito, aussi visible au FIBD, ni encore devant le trash de Julie Doucet, grand prix de l’édition précédente du festival. Mais alors, si les représentations de violence ne dérangent pas les féministes, quel est le problème ?

Un débat confus

La réponse à cette question, les défenseurs de la « liberté d’expression » ne veulent résolument pas l’entendre : les représentations pédopornographiques, de quelque forme qu’elles soient, constituent un réel danger en ce qu’elles entretiennent les fantasmes des pédocriminels. Ce constat a été dit et redit en marge du festival, au Spin-Off, lors d’une conférence menée par le collectif des Raisons de la Colère. Lors de cette conférence, Mirion Malle (autrice de BD), Catherine Staebler (éditrice, co-fondatrice des éditions Biscoto), Marie Bardiaux-Vaïente (historienne et scénariste) et Anne-Laure Maduraud (juriste, ancienne juge des enfants) ont pu s’exprimer librement sur le sexisme que subissent les femmes dans la bande dessinée. Elles ont rappelé les luttes féministes menées par le passé et l’importance d’avoir des espaces sécurisants dans ce milieu encore très masculin.

Salle comble au Spin-Off, pour la conférence avec Mirion Malle, Catherine Staebler, Marie Bardiaux-Vaïente et Anne-Laure Maduraud.
Photo : Collectif Les raisons de la colère

Dans le même temps, les organisateurs du FIBD déploraient le refus des féministes de participer à leur rencontre animée par un journaliste du Point et intitulée « Sexualité et bande dessinée : peut-on tout dessiner ? ». Vraiment, on se demande bien pourquoi aucune des quarante autrices féministes invitées n’a accepté de participer à ce « débat »... La discussion a tout de même eu lieu, sans les premières visées, avec Franck Bondoux, Coco (dessinatrice de presse) et Bernard Joubert (historien de la censure). Des féministes étaient présentes dans le public et n’ont pas manqué de poser leurs questions dérangeantes, applaudies par le public. Malheureusement, Franck Bondoux avait quitté la salle avant le début des questions.

Un festival féministe ?

Il est ressorti de cette rencontre une grande confusion entre censure, liberté d’expression et refus de faire l’apologie de récits et dessins pédopornographiques. Les publications de Bastien Vivès ont été mises sur le même plan que les dessins de Coco, ainsi que l’œuvre de Julie Doucet et les numéros de la collection BDCUL écrits par des femmes. De même, le spécialiste de la censure Bernard Joubert met sur le même plan l’homosexualité et la pédocriminalité sur le principe de la censure et de l’interdiction de ces publications. Face aux amalgames de ces acteurs du monde de la BD, les revendications portées par le collectif des Raisons de la colère sont inaudibles.

La censure est du côté des réactionnaires

Alors qu’un débat sur les représentations de la sexualité dans la bande dessinée aurait pu être intéressant, les discussions ont tourné principalement autour de la censure et du cas particulier de Bastien Vivès. Il n’a donc pas été rappelé, lors de ce débat, que la seule revue française à avoir été censurée par la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, Ah !Nana, avait été interdite de vente aux mineures suite à un numéro portant sur l’homosexualité, avant d’être définitivement censurée avec son dernier numéro, portant sur l’inceste. Eh oui, la censure est plutôt du côté des réactionnaires, muselant les opinions minoritaires.

Outre les expositions consacrées cette année à Julie Doucet et Marguerite Abouet, le FIBD a également constitué une exposition consacrée à la colorisation, profession féminisée et dévalorisée. On note également la présence de femmes et d’éditeurs indépendants au palmarès, mais il reste du chemin à faire.

Le festival se saisit du bout des doigts des enjeux féministes sans y croire réellement, sinon pourquoi organiser une table ronde « féminisme et bande dessinée » avec des figures médiatiques telles que Lous and the Yakuza ou Victoire Tuaillon, et l’installer dans le petit studio du théâtre, la plus petite salle de conférence du festival ? Malgré les mobilisations fortes autour des enjeux féministes, ce sujet n’est pas jugé d’intérêt et la moitié du public venu assister à cette rencontre a dû être refoulée.

Au-delà des espaces dédiés par le festival, les artistes ont dû créer leurs propres espaces pour y avoir des échanges où le cadrage n’est pas celui de la confusion. Ainsi, des collages ont été organisés dans la ville, permettant d’afficher dans ce lieu emblématique de la BD, des récits de violences sexistes et sexuelles et des discours critiques de l’institution. Par ailleurs, la conférence organisée par le collectif des Raisons de la Colère a fait salle comble au Spin off. Si le festival n’est pas encore au point, le public est lui au rendez-vous.

Pas de retour en arrière possible

N’en déplaise aux quarante signataires d’une tribune dénonçant au lendemain du festival « un climat de peur menaçant la liberté d’expression »  [1], il n’est désormais plus possible de faire taire les femmes qui dénoncent les agissements sexistes de leurs confrères, ni de fermer les yeux sur les représentations graphiques sexualisant des enfants.

Collectif des Raisons de la Colère

[1Tribune signée entre autres par Jack Lang (qui signait déjà une tribune similaire en 1977 au côté de nombreux intellectuels français). « Affaire Bastien Vivès : « Interroger ou contester le travail d’un auteur est légitime, le bâillonner ne l’est pas » », collectif, Le Monde, 1er février 2023.

 
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