Imaginaires libertaires

Lizzie Crowdagger (romancière) : « Un récit situé dans un univers alternatif ne libère pas forcément des normes sociales »




Rencontre avec Lizzie Crowdagger, romancière lyonnaise qui a la bonne habitude de parsemer ses histoires d’héroïnes qui sortent des clous... et qui en ont même sur leurs vêtements ! Elle est notamment l’autrice de Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires) et de Déviances vikings, tous les deux parus aux éditions Dans nos histoires.

Alternative Libertaire  : Salut Lizzie, tu es une autrice indépendante de fantasy queer mais pas que, c’est bien ça ?

Lizzie Crowdagger  : J’écris des histoires qui me trottent dans la tête. Effectivement en général j’aime bien la fantasy et les histoires du genre, et il y a sans doute plus de personnages LGBT que dans les œuvres les plus mainstream. J’ai quelques livres qui ont été publiés par un petit éditeur associatif (Dans nos histoires), et d’autres en auto-édition. Et des projets inachevés de jeux vidéo, mais rien de montrable à ce stade.

On entend et on lit de plus en plus de récits qui se revendiquent de la SF ou de la fantasy qui sont qualifiés de queer. Est-ce que tu t’inscris dans cette filiation ?

Je ne sais pas trop, j’avoue que je n’ai pas lu tant que ça de SF ou de fantasy qui rentre vraiment dans cette catégorie, quand j’ai commencé à écrire c’était sans doute moins le cas. Enfin c’est compliqué parce que je dois beaucoup de mon goût pour le sang vampirique à Anne Rice qui, d’un côté est pas vraiment queer officiellement, mais qui je pense est plutôt appréciée par la communauté LGBT.

Est-ce plus facile de se défaire des normes sociales dans les littératures de l’imaginaire ? Penses-tu qu’il y a des chances que l’hétéronormativité soit également davantage bousculée dans des récits plus conventionnels ?

Honnêtement je suis pas persuadée que parce qu’un récit est situé dans un univers alternatif ça libère forcément des normes sociales. Éventuellement il y a plus de possibilités d’explorer des choses, mais à l’inverse ça peut aussi permettre de véhiculer des fantasmes réactionnaires : je pense qu’il y aurait pas mal à dire par exemple sur l’essentialisme biologisant qu’on retrouve dans pas mal d’œuvres de fantasy, y compris situés dans des univers contemporains, par exemple, dans le domaine qui m’intéresse : le vampire ou le loup-garou aux pulsions incontrôlables parce que vampire ou loup-garou, ça fait un peu mascu. Mais d’un autre côté ça permet aussi plus facilement d’avoir des héroïnes qui peuvent répliquer aux relous avec du mordant, d’explorer d’autres modèles de société, etc. Ça dépend vraiment de ce qu’on en fait.

Personnellement j’aime bien les littératures de l’imaginaires surtout parce que je trouve que c’est on ne peut plus clair qu’on est dans un univers de fiction qui n’est pas le nôtre, et je trouve ça plus facile de parler de certaines thématiques dans ce genre de cadres sans avoir forcément la « légitimité » d’avoir fait des recherches approfondies sur un sujet. Et aussi parce que c’est cool. Mais c’est pas très politique.

Le dossier d’été d’Alternative libertaire s’intitule « imagiaires libertaires ». Ça te parle comme univers ? Tu intègres des éléments politiques dans tes fictions ?

Lizzie Crowdager, Enfants de Mars et de Vénus, Dans nos histoires, 2017, 400 pages, 12 euros.

Rien que le fait de choisir d’avoir comme protagonistes des personnages en général marginalisés c’est politique. Après, le cœur de l’histoire peut être plus ou moins politique. Occasionnellement ça peut parler explicitement de révolution, ou plus largement de luttes sociales ; mais en général c’est à plus petite échelle, avec des personnages qui essaient de survivre face à l’adversité. Après, l’adversité en question, c’est souvent la police, des patrons, ou des fachos, parce que pour le coup je manque sans doute d’imagination et qu’en général c’est à cause d’eux.

Et en général, au moins pour les histoires qui se passent dans des univers contemporains, j’ai des personnages qui ont plutôt un point de vue qu’on pourrait qualifier généralement de « gauchiste » et je ne les empêche pas d’avoir des réflexions ou des discussions sous prétexte que ça ferait fuir des lecteurs. Je ne me sentirais pas d’écrire un roman sur Kronstadt, par contre c’est possible que deux personnages s’engueulent sur le sujet. Après quand j’ai commencé à écrire, je sais que j’avais plus envie d’aborder de « grandes thématiques », mais au final quand ça parle à une personne LGBT et qu’elle me dit que ça lui a fait du bien quand elle allait mal, quelque part c’est peut-être là que ça a le plus d’effet, et je pense que c’est politique aussi.

Tu as ton site, tu t’auto-édites, est-ce que tu penses que ce qu’on appelle aujourd’hui « les marges » pourront un jour avoir une meilleure exposition, ou bien tu t’inscris dans une contre-culture façon DIY ?

Je suis très sceptique sur les efforts d’« inclusivité » menés par de grandes industries culturelles, que ce soit le cinéma ou le jeu vidéo... Pour la littérature je pense que c’est un peu différent dans le sens où il y a quand même quelques exemples d’auteurs ou autrices qui sont publiées dans des grandes maisons d’édition sans avoir forcément à « vendre leur âme » (Armistead Maupin, Virginie Despentes...). Mais bon, encore faut-il y avoir accès et ça reste plutôt l’exception que la norme. Dans les faits je pense que c’est plus facile d’écrire sans avoir à m’autocensurer si je ne vise pas à être acceptée par tel ou tel éditeur. Mais si je recevais un gros chèque, je ne suis pas persuadée que je refuserais non plus !

Ton dernier coup de coeur littéraire ?

Alors ce n’est pas un roman mais une bande dessinée, Wolcano, la sorcière du cul, de Shyle Zalewski.

Propos recueillis par David (UCL Chambéry)

 
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