Culture

Lire : Emma Goldman, « Vivre ma vie »




Les éditions L’Echappée ressortent l’autobiographie d’Emma Goldman en format poche. L’occasion de revenir sur ce document de premier plan, enfin accessible en Français avec un travail éditorial de grande qualité.

La publication en 2018 de l’autobiographie de Emma Goldman aux éditions de l’Échappée, qui ressort aujourd’hui en format poche, venait réparer une injustice. Paru pour la première fois en 1931, et maintes fois republiée depuis dans plusieurs langues, l’autobiographie de cette figure majeure de l’anarchisme était encore inaccessible au public francophone, hormis une traduction partielle et partiale. Avec la publication en 2017 du récit de ses deux années en Russie bolchevique  [1], les deux principaux récits de Goldman sont aujourd’hui accessibles dans des versions de qualité.

Vivre ma vie, c’est près de quarante années de pérégrinations des deux côtés de l’Atlantique aux côtés d’une militante anarchiste, depuis son arrivée, à vingt ans, à New-York en 1889 jusqu’à son double exil européen  : elle est expulsée une première fois des États-Unis en 1919 en direction de la Russie bolchevique qu’elle doit fuir à son tour en 1921.

Profondément marquée par le massacre de massacre de Haymarket Square en 1886, Emma Goldman fut de tous les combats de la classe ouvrière de son époque et en cela ce document nous est déjà précieux. L’écriture de Goldman ajoute, à ce qui est déjà un document de premier plan, une humanité distillée tout au long d’un récit qui rend justice à une personnalité plurielle et qui ne renonce jamais à la « double tâche » assignée aux anarchistes : concilier, selon les mots de Malatesta, « la liberté totale dans la solidarité totale ».

Si les épisodes, les combats les plus marquants nous sont connus  : son inlassable militantisme, ses incarcérations, son voyage en Russie, etc., ce que nous donne à découvrir ces épisodes narrés chronologiquement, c’est avant tout une femme libre. Élevée dans la diaspora juive de langue yiddish, elle dut s’affranchir d’un milieu familial trop étroit pour elle, et c’est au sein du mouvement anarchiste qu’elle trouve de quoi nourrir son inextinguible soif de liberté.

Expérience de sage-femme

Goldman est une femme libre qui le revendique  : ses amants, ses amours sont partie prenante de sa vie militante. Le féminisme de Goldman est de ce point de vue d’une brûlante actualité  : la liberté des femmes de décider pour elles-mêmes prévaut sur le reste.

Infatigable militante, Emma Goldman ne s’est jamais épargnée et ne hiérarchisait pas ses combats. Mais Goldman est aussi une femme ouverte sur d’autres univers. On y découvre son amour du théâtre contemporain et elle passe sans transition de son expérience de sage-femme auprès des femmes de la classe ouvrière, évoquant au passage la problématique des grossesses non désirées – qui l’amèneront à prononcer de nombreuses conférences sur la contraception – à une discussion sur tel ou tel auteur contemporain. Toutes ses expériences viennent nourrir ses réflexions et enrichir ses combats politiques.

Il faut ici rendre hommage au travail éditorial de L’Échappée, le texte de Goldman nous est particulièrement bien restitué, la traduction autant que le travail des notes est de toute première qualité. En refermant ce livre, il nous reste un vœu, une espérance. Que soient très prochainement traduits et publiés, afin de les rendre accessible à un public francophone, les principaux textes de deux autres figures féminines de l’anarchisme états-unien  : Lucy Parsons et Voltairine de Cleyre.

David (UCL Chambéry)

  • Emma Goldman, Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des Révolutions (trad. Jacqueline Reuss et Laure Batier), L’Échappée, 2018 (2022 pour l’édition de poche), 1128 pages, 19,90 euros.

[1Emma Goldman, L’Agonie de la Révolution. Mes deux années en Russie (1920-1921), trad. de l’anglais par Etienne Lesourd, Les Nuits rouges, Paris, 2017, 300 pages, 15 euros.

Voir également « 1920-1921 : Emma Goldman, témoin de la mascarade bolchevik », Alternative libertaire, décembre 2021.

 
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