Imaginaires Libertaires

Science fiction : Les cyborgs sont-ils de droite ?




Dans l’univers cyberpunk, où chacun semble en guerre contre tous, l’entraide peut-elle trouver une place ? Et la révolution ?

Certaines et certains d’entre nous pensent que le cyborg est un concept potentiellement queer, utile au mouvement féministe. Ce ne sera pas notre sujet ici. Notre question sera beaucoup moins sérieuse et beaucoup plus légère. Si Philip K. Dick a essayé de répondre dans son œuvre à la question « les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », aucune personne à notre connaissance ne s’est intéressée au bord politique de l’hybride humain-machine. Pour essayer de le connaître, nous nous pencherons sur le courant de science-fiction cyberpunk.

La dystopie du cyberpunk est néolibérale ou libertarienne

Le cyberpunk est apparu dans les années 1980. Ses récits se déroulent le plus souvent dans un futur proche dystopique. Toutefois, ce n’est pas une dictature totalitaire contrôlant les citoyens type 1984. La dystopie du cyberpunk est soit néolibérale – l’État corrompu est contrôlé dans l’ombre par des corporations toutes puissantes –, soit libertarienne – l’État a été remplacé par ces mêmes corporations. Pour reprendre la phrase du milliardaire Warren Buffet, « il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait la guerre. Et nous gagnons ». Ici, fin de l’Histoire, ils ont gagné. En parallèle à cela, la technologie est devenue omniprésente : cyborgs et réalité virtuelle font partie du quotidien. D’ailleurs, cette réalité virtuelle permet de fuir le réel du quotidien. Et enfin, la criminalité a explosé : les gangs contrôlent les rues et dirigent les différents trafics – dans Câblé de Walter Jon Williams, les habitantes d’une ville peuvent même parier sur le nombre d’assassinats de la nuit précédente.

Dans ce décor, les héros et les héroïnes sont en général des mercenaires livrées à ils et elles-mêmes, victimes d’événements qui les dépassent. Mais ils et elles sont le plus souvent les meilleures dans ce qu’ils et elles font (pirates informatiques, pilotes, assassins, etc).

Et nous rentrons dans le vif du sujet : nos personnages, pour en arriver où ils en sont, ont toujours recherché l’excellence. Pourquoi ? La concurrence. Dans le néolibéralisme, la concurrence crée l’excellence. Et l’excellence se paye.

Le mercenaire cyberpunk est donc une entreprise individuelle. Il vend un service, cherche un client, fait son possible pour être le meilleur. Il y consacre tout son temps et investit son argent pour acheter de meilleures armes et des implants mécaniques. Quoi de mieux pour faire fructifier son « capital humain » et s’adapter au marché qu’avoir un bras mécanique et des implants dans le cerveau ? La recherche du dépassement de soi, de l’abolition de limites que la nature aurait imposé au corps humain se fait ici pour des raisons purement mercantiles.

Comme Thatcher disait : « L’économie est la méthode. Le but est de changer l’âme. » Et le corps y passe au passage.

Le cyborg dans la science-fiction concerne l’évolution de l’être humain et ce que l’on appelle, à tort ou à raison, le post-humain. Nous nous affranchissons des hasards de l’évolution naturelle pour décider de notre devenir grâce à la technique (marotte personnelle de l’auteur : selon nous, c’est à partir du moment où notre ancêtre a utilisé un outil qu’il a commencé à abolir les limites imposées par la nature et à décider de son devenir. Nous devons donc avouer un sérieux doute à propos du concept de post-humain, à moins que l’on admette que l’humain a toujours été « post »... Mais revenons à nos yeux laser et à nos turbo-jambes ! ). Nous retrouvons cette thématique dans la série de jeux Deus Ex mais aussi dans les films d’animation de Mamoru Oshii, les Ghost in the shell.

Si nous pensons, à la manière d’un Friedrich Hayek, l’un des théoriciens du néolibéralisme, que la concurrence suit les règles d’un darwinisme social (qui rappelons-le, n’a de darwiniste que le nom et a été théorisé par Herbert Spencer), nous admettons alors que le cyborg est ce que l’on pourrait qualifier de droite. Il faut être fort pour survivre et s’adapter au marché. La concurrence pousse à devenir de plus en plus fort et de plus en plus adapté. Et ceux qui n’y arrivent pas sont « mis de côté »… Le cyborg serait donc logiquement le sommet de l’évolution néolibérale (et libertarienne, cela expliquant peut-être les dérives transhumanistes d’un Musk ou d’un Bezos). Les univers cyberpunks, puisqu’ils se situent dans ces paradigmes économiques, en suivent les règles. D’ailleurs, la résistance politique, se permettant parfois quelques amalgames, s’accorde de temps en temps avec une résistance à la technique proche d’un néo-luddisme mettant en avant la pureté du corps (Deus ex : Human Revolution).

Et la révolution dans tout ça ?

Alors ? Le cyborg est-il définitivement de droite dans le cyberpunk ? Souvent. Il faut avouer qu’il y a peu d’espoir de sortir de l’enfer économique. « Il n’y a pas d’alternative », comme dirait l’autre.

Cependant, il existe un exemple dans Nécroville de Ian McDonald de cyborgs ayant aboli la mort et s’adaptant aux environnements hostiles. Ils sont en rupture totale avec l’étape précédente de leur humanité et leur condition leur a permis d’abolir les rapports de dominations et de concurrence entre eux, supprimant au passage les oppressions de genre. Ces nouveaux rapports sociaux leur permettront évidemment de s’entraider afin de survivre ensemble. En somme, ils seraient proches du darwinisme vu par Pannekoek ou des théories de Kropotkine, réhabilitées par le darwiniste Stephen Jay Gould. Toutefois, une bonne part de ces cyborgs sont décrites vivant dans des ghettos et n’ont le choix, si ils et elles veulentsurvivre, que de vendre leur force de travail à de riches propriétaires de moyens de production. Coïncidence ? En tout cas, l’entraide leur permettra de faire la révolution. Décidemment, cela nous rappelle quelque chose…

Rassurons-nous, ce n’est donc pas le bras mécanique qui fait l’identité politique mais bien les conditions économiques et sociales. Le cyberpunk nous apprend, entre autres, cela. Rien de nouveau, en somme. Faut-il avoir peur des cyborgs, des post-humains ou des mutants ? Laissons cela aux Luc Ferry ou aux François-Xavier Bellamy. Ce n’est pas le désir de jouissance nihiliste soixante-huitarde dont ils parlent si souvent qui fait le cyborg. Nous répétons : nous avons transgressé ce qu’ils appellent « Nature » lorsque nos ancêtres ont pris des outils parce que ces derniers leur permettaient de faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire sans. Et cela, c’est notre nature. Voire LA nature. Ne leur volons pas leurs (mauvais) arguments. En parallèle à cela, cette idée de Nature immuable et sacrée (appelons un chat un chat et un dieu un dieu) purement idéologique pourrait aussi mettre en difficulté certaines de nos camarades trans (nous avons d’ailleurs déjà vu des amalgames, souvent chez des gens de droite, entre « transhumanisme » et « transgenre », sous l’étiquette « idéologie trans »).

Faut-il quand même être hermétique aux idées de post-humains sous prétexte qu’elles émergent dans un contexte néolibéral ? A vous de voir. Il paraît que chaque société crée les conditions qui feront advenir la société suivante. Ce n’est pas très post-humain, c’est juste marxiste.

En tout cas, moi, j’ai fait mon choix.

Mort à Vidéodrome, longue vie à la nouvelle chair.

Albain Le Garroy (docteur en lettres modernes)

 
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