Chronique du travail aliéné : Vanesse*, assistante sociale de secteur




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).


<titre|titre="c'est un flux continuel de misère">

"On a tout le temps peur de se tromper, du mal à évaluer le danger pour les enfants, est-ce qu’on peut faire confiance à la maîtresse d’école ou à la voisine qui dit qu’ils sont maltraités. Là c’est l’été, le syndrome de la fenêtre ouverte, il faut aller chez les gens parce que les voisins font des signalements sans arrêt, c’est comme ça dès qu’il fait beau… ça nous fait un boulot. La pauvreté intellectuelle des gens, ça me mine.

Mais le plus dur pour nous c’est surtout les difficultés avec la hiérarchie.
Elles nous demandent des comptes tout le temps, avant on faisait un peu ce qu’on voulait, maintenant il y a des rapports à faire sans arrêt, des commissions dans lesquelles on doit s’expliquer, ils nous posent des questions, on n’est pas forcément préparées. Et avec les ordinateurs, ils surveillent tout, nos rapports, où on en est, on n’est pas rassurées.

Ceci dit, ça a des avantages, l’informatique, ça permet de ne pas se faire rouler par les gens, on tape leur numéro de CAF et hop, tout s’affiche, les revenus de tout le monde dans la maison, même leurs parents, leurs frères et sœurs, le nombre d’enfants, même les grossesses ! En plus, maintenant, avec le RSA « il faut qu’ils travaillent ! » on contrôle ça aussi. Enfin on devrait. On gère les coupures d’électricité, il y en a de plus en plus, l’eau aussi, ils débarquent dans les appart et nous derrière on fait quoi ? Des familles avec des tout petits, ça ne les gêne pas. Ils coupent. Il faut bien dire que maintenant dans mon quartier, ça craint chez tout le monde, c’est un flux continuel de misère, sans compter les toxicos. L’autre fois, je vois arriver un demandeur d’asile en recours, ça faisait deux jours que sa petite fille était au pain et au lait et sa jeune femme enceinte, en plus il me dit « j’étais quelqu’un chez moi ! », qu’est-ce que j’ai pu faire ? Rien. J’ai essuyé un refus d’aide d’urgence par ma hiérarchie, j’ai dormi avec ça en tête tout le week-end…

En bref, la population se dégrade et surtout, il ne faut pas être dans l’empathie. On serait coulées. En fait, souvent, j’ai peur quand je vais dans le quartier, mais on nous fait des formations, il ne faut pas voir des situations de danger partout ! Et dans les rapports, ils nous apprennent aussi à peser nos mots, il ne faut pas écrire n’importe quoi. Celles qui pètent des câbles, ce sont celles qui voient des situations de détresse partout. Il faut en prendre et en laisser."

* Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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