Décès de Georges Fontenis : hommage de quelques anciens camarades




La disparition de Georges Fontenis a poussé plusieurs anciens de la FCL, du MCL, de l’OCL "1re manière", de l’UTCL et de l’AL à transmettre quelques souvenirs sur ce camarade qui a marqué le courant communiste libertaire depuis l’après-guerre. Nous les en remercions et reproduisons leurs contributions.


L’ANTICOLONIALISTE

Pour moi, se souvenir de Georges, c’est se souvenir de la période de la FCL et son épilogue clandestin, dans le soutien au peuple algérien en lutte. Par sa position, Le Libertaire recevait un accueil chaleureux chez les Algériens du quartier de la Goutte-d’Or à Paris, et dans les cafés de Roubaix. Ce journal était souvent saisi et les amendes pleuvaient sur ses rédacteurs, dont Georges.

Une anecdote sur lui : pour protéger sa compagne, ils avaient divorcé, ce qui lui permettait de soustraire aux amendes à payer une pension alimentaire inaliénable. Ils se remarièrent par la suite. Il passa quelques temps en prison pour « atteinte à la sûreté de l’État », et ne fut pas le seul.

Il avait le contact des dirigeants du Mouvement national algérien (MNA) en France et, avec un ou deux autres, il rencontra Messali Hadj dans sa résidence surveillée à Angoulême, au moment où Guy Mollet venait d’être nommé président du conseil. Transports d’armes, faux papiers, planque de jeunes refusant le service, escarmouches avec les tenants de l’Algérie française étaient notre quotidien, avec d’autres au sein du Mouvement de lutte anticolonialiste dont Georges était un des initiateurs.

Pierre Morain, ex-militant de la FCL, premier Français condamné, en juin 1955, pour son soutien aux Algériens en lutte


CONTRE LA TORTURE EN ALGÉRIE

Georges Fontenis n’est plus. C’est une page de l’histoire du communisme libertaire, en fait de la démocratie communiste, qui se tourne.

Je regarde la couverture du livre de Georges édité en 1990 par Acratie, L’Autre communisme, et une période essentielle de notre lutte jaillit à ma mémoire, celle de la guerre d’Algérie. Le Libertaire dénonçait la torture et les épouvantables exactions commises au nom de la France par la soldatesque appelée complaisamment « forces de pacification ». Nous menions là, Georges Fontenis en tête, une lutte acharnée bien que sans espoir : c’était le pot de terre contre le pot de fer… Et Le Libertaire, privé de ressources, ne put que cesser de paraître (ultime numéro à la date symbolique du 14 juillet 1956).

Personnellement, et je sais que pour Georges et tous les autres militants concernés il en allait de même, je retire de cette période une immense fierté.

N’oublions pas : le Front républicain et Guy Mollet étaient au pouvoir, François Mitterrand ministre de l’Intérieur, les horreurs de la guerre d’Algérie, dignes des nazis, soigneusement dissimulées. Le Libertaire, la FCL, dont Georges Fontenis était le principal animateur, ont été pratiquement les seuls, à cette période, à dénoncer ces crimes abominables. Ils ont, en cela quelque part sauvé l’honneur de la France des libertés.

Paul Philippe, ancien secrétaire général
de la FCL, poursuivi
et condamné durant la guerre d’Algérie


UN DRAPEAU ROUGE ET NOIR À TOURS

C’était le 13 mai 1968, jour du démarrage de la grève générale et de la manifestation de « solidarité entre travailleurs et étudiants », comme le titra alors La Nouvelle République. Un groupe de cheminots, dont j’étais, brandissait un drapeau rouge et noir que quelques nervis du PCF de l’époque tentaient d’arracher. Ce fut alors qu’un homme, bien mis de sa personne et portant la cinquantaine, s’interposa et leur demanda de quel droit et en vertu de quels pouvoirs voulaient-ils interdire la présence du drapeau. Interloqués, d’autant que des murmures de désapprobation émanaient de manifestants proches, ils battirent en retraite. C’est ainsi que le drapeau continua de flotter jusqu’au bout de la manif. À l’issue de celle-ci, l’homme se présenta et proposa qu’on se revoie. Il s’appelait Georges Fontenis.

C’était le début d’une aventure militante commune : de la création du Comité d’action révolutionnaire de Tours à l’UTCL, en passant, entre autres, par la création du MCL et de l’OCL « première manière ». Malgré les vicissitudes de nos existences réciproques – doutes et interrogations, distances géographiques, problèmes de santé –, même si les rencontres étaient plus rares, jamais nous n’avons cessé d’échanger et de confronter nos analyses, nos positions, tant sur le communisme libertaire que sur la période et ses problèmes, sur l’avenir. Georges Fontenis fut et reste celui qui aura le plus compté dans mon histoire militante et mon adhésion au communisme libertaire.

Michel Desmars, animateur des grèves cheminotes de 1968 puis de 1986,
cofondateur de SUD-Rail


NOTRE AÎNÉ

Mon premier souvenir de Georges Fontenis date de 1979. C’était à Paris, à l’occasion d’un des premiers congrès de l’Union des travailleurs communistes libertaires, l’UTCL, qui devait se transmuer, une quinzaine d’années plus tard, en Alternative libertaire. Il s’agissait d’un congrès important pour nous, car il était marqué par la fusion avec l’Organisation combat anarchiste (OCA). Nous avions initié un processus de convergences, et nous avions déjà été ralliés par une partie des militants de la première OCL (ex-MCL) qu’avait fondé Georges Fontenis en 1969 avec Daniel Guérin. Le groupe de Nancy de l’OCL 1 et Daniel Guérin nous avaient ainsi rejoints, et ils avaient invité Georges Fontenis à faire de même.

Le voici donc parmi nous au congrès, les cheveux courts, l’air un peu sévère, vêtu d’un imperméable strict, alors que nous étions tous plus ou moins chevelus, avec des looks bigarrés de gauchos et de babas cools. Georges était de beaucoup notre aîné – plus de trente ans le séparaient de la plupart d’entre nous. Et il nous impressionnait. Durant les années 1950, la FCL avait mené un combat courageux et exemplaire contre la guerre d’Algérie. Mais il arrivait aussi parmi nous précédé d’une réputation rugueuse, sulfureuse même... réputation qu’il ne démentit pas tout à fait lors de cette première rencontre, partant très vite en guerre contre notre souhait du moment, celui de fusionner avec l’OCA quitte à faire quelques concessions de forme.

Georges est resté des nôtres (tout comme les amis issus de l’OCA) et nous avons appris à l’apprécier. Son âpreté dans les débats était la marque d’une personnalité remarquable, intransigeante. Il n’était jamais prêt à faire des compromis sur ce qui lui semblait essentiel. Qu’on ait été, à tel ou tel moment, en accord ou en désaccord avec lui, ce trait de caractère forçait l’estime. C’était celui d’un homme qui se dresse contre les idées établies, qui se tient debout, qui tient tête, même s’il lui faut s’affronter aux idées les plus dominantes, aux fausses « évidences » du sens commun. Athée convaincu, il pourchassait aussi de son ironie critique les résurgences d’une pensée « religieuse » – sous d’autres formes – dans les milieux militants, et c’était salutaire.

Il aimait s’opposer à toutes les idées reçues, même celles de l’extrême gauche. Il adorait provoquer les indignations vertueuses de certains d’entre nous (et pas seulement des anarchistes « vaseux »), et il le faisait avec une jubilation malicieuse tout à fait réjouissante. Si bien que ce qui revient en premier en mémoire en pensant à ces trois décennies de combats communs, c’est son sourire caustique mais bienveillant. Son intelligence constructive. Sa patience, quand nous étions moins réalistes que lui. La constance de son engagement, sa présence solide, à nos côtés, à tant de réunions. Et sa fidélité aux grands thèmes de son combat, et, en même temps, si l’on suit le cours de sa trajectoire militante, sa capacité à se remettre, lui aussi, en question.

Patrice Spadoni, cofondateur
de l’UTCL, d’AL, de SUD-PTT et d’AC !


SA SAINTETÉ GEORGES Ier

En 1996, la tranquille Touraine est frappée par une drôle de catastrophe. Pour les 1 500 ans du baptême de Clovis, le pape Jean Paul II a décidé d’y établir ses quartiers durant quatre jours avant de se rendre en Bretagne, à Reims et à Paris. Il finit en « apothéose » par une messe à Tours, pour célébrer le « bon saint Martin ».

Dès la fin 1995, le Collectif contre la venue du pape à Tours, initié par des libertaires de la Libre-Pensée, dénonce la présence de ces armées de curetons et la dilapidation de l’argent public. Pendant ses neuf mois d’activité, il comptera entre 70 et 100 membres. AL en fait partie et Georges Fontenis est assidu aux réunions.

Le point d’orgue des multiples initiatives du Collectif est la manifestation organisée pendant la messe du très saint curé en chef, à Tours, le 21 septembre 1996. Elle réunira plusieurs milliers de personnes.

Le camion plateau sono doit remorquer une « préservamobile », sorte de véhicule hybride composé d’une capote géante en plastique dur et de 4 roues de bois. La personne pressentie pour s’y installer – un camarade de la Libre-Pensée au physique et à l’âge proche de Jean Paul II – se désiste. Sans hésiter, Georges va alors endosser ce rôle de composition (pour un personnage diabolisé par une partie du mouvement libertaire). Il se pliera volontiers – hilare – aux séances d’habillage de Laurence, enseignante dans un bahut privé et anticléricale « clandestine » qui lui confectionnera une magnifique robe blanche. Et c’est ainsi que Georges Ier participa à la manifestation, saluant de sa dextre ses fidèles et tenant de l’autre main un balai-brosse faisant fonction de crosse pontificale.

Éric Sionneau, délégué départemental
de Solidaires Indre-et-Loire


DE TOURS À AMSTERDAM

En dehors de la grande estime politique que je pouvais avoir pour Georges Fontenis, j’aimerais m’attacher à deux anecdotes qui ont certainement compté pour lui comme pour moi-même.

La première se passa lors du stage d’été d’AL qui se déroula à l’été 1995 à Ruesta, un village basque restauré par la CGT espagnole. Nous étions alors tous et toutes réunis dans une salle pour parler, me semble-t-il, de l’histoire du mouvement libertaire. À cette occasion, Georges nous rappela que s’il était entré à l’UTCL, ce fut suite à une visite que je lui avais rendue. En effet, lorsque j’avais assumé un temps la permanence de l’UTCL, je m’étais rendu à Angers pour rencontrer le nouveau groupe en formation. De là, j’étais parti voir Georges dans sa maison de Reignac-sur-Indre. Nous avions débattu un moment, mais je ne pensais pas avoir provoqué alors son désir d’adhésion à l’UTCL. J’étais bien jeune et lui déjà tant perclus d’expérience ! Imaginez mon émotion, lorsqu’il rappela à Ruesta, devant l’assemblée, ce moment d’échange que nous avions eu.

La seconde se passa à la suite de la sortie d’un livre que j’ai écrit, Les libertaires du Yiddishland. Georges m’annonça qu’il détenait des documents qui pouvais m’intéresser et je pus les récupérer. Il s’agissait de documents de la Croix noire anarchiste des années 1930 dénonçant les conditions de détention des militants russes dans les goulags staliniens. Parmi les noms cités, j’ai pu constater que bon nombre avaient des origines juives. (Dans la réécriture que je suis en train d’étoffer pour un nouveau tirage, je compte bien utiliser un tel document.) Mais le plus extraordinaire de l’histoire, fut la découverte par Georges de ce document. À la Libération, Georges avait été interpellé par un autre résistant qui lui avait signalé des documents anarchistes repérés dans les caves du siège de la Gestapo de Tours. C’est là qu’il découvrit ces documents qui avaient été volés à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam. Il avait d’ailleurs renvoyé les originaux à Amsterdam et n’en avait gardé que des photocopies.

Mais que pouvait bien faire à Tours de tels documents ? On l’ignore bien sûr mais c’est avec ces petites histoires de tous les jours que l’on raconte la grande…

Jean-Marc Izrine, cofondateur de l’UTCL et d’AL


MESSAGE D’ADIEU D’ALTERNATIVE LIBERTAIRE

La disparition de notre vieux camarade Georges Fontenis a été accueillie avec beaucoup d’émotion par les militantes et les militants d’Alternative libertaire, mais aussi par l’ensemble du courant communiste libertaire international. La semaine de sa disparition, des message d’amitié nous sont parvenus des différents continents, du Chili à la Grèce en passant par l’Italie ou le Canada.

Partout, les camarades rendaient hommage à un révolutionnaire qu’ils considèrent comme une référence.

Georges, beaucoup d’entre nous l’avaient découvert en lisant ses Mémoires. On y suivait une vie qui, pendant plusieurs décennies, a été intimement liée à celle du mouvement ouvrier et de son courant libertaire. Ce mouvement, Georges en avait partagé les avancées, les reculs et les luttes passionnées. Militant politique, il savait tirer les enseignements des échecs, avec lucidité et franchise, sans se renier ni céder au découragement. Et cela représentait, pour ses camarades, pour nous tous et toutes, une certaine leçon
d’humanité et de ténacité.

Ceux et celles qui l’ont côtoyé dans ses combats en garderont, pour beaucoup, le souvenir d’un camarade chaleureux, bon vivant, doué d’humour et d’une grande droiture. Ce souvenir avive la douleur que nous partageons avec sa compagne Marie-Louise et avec sa famille.
Georges Fontenis fut une grande figure. Alternative libertaire et, au-delà, le courant communiste libertaire international savent ce qu’ils lui doivent, et c’est pour cette raison que nous rendons hommage à un homme qui, désormais, appartient à l’Histoire.

Allocution du secrétariat fédéral d’AL, donnée aux obsèques, le 13 août 2010


Sur Georges Fontenis, lire aussi :

 
☰ Accès rapide
Retour en haut