Gauche antisociale Le pouvoir change, la rigueur reste




Le remplacement de Nicolas Sarkozy par François Hollande au sommet de l’État allait-il forcément entraîner une rupture avec l’entreprise capitaliste de pillage généralisé de la société ? Beaucoup à gauche y ont cru. Quatre mois après, le bilan est d’ores et déjà terrible, résumable ainsi : rien de nouveau sous le soleil brûlant de l’austérité.

Dans le langage technocratique du parti socialiste, l’austérité se prononce « redressement dans la justice ». Un piètre euphémisme pour signifier la perpétuation d’une cure drastique d’austérité payée par des classes populaires qui n’avaient pourtant rien demandé. Nous avons affaire en réalité à un siphonnage des richesses sociales que celles-ci produisent, afin de renflouer les caisses des banques qui ont sciemment confondu dépôt et spéculation.

Sous la présidence Hollande-Ayrault, il ne s’agit même plus d’essayer [1] : les habits neufs du néolibéralisme ont beau arborer dans sa variante sociale-démocrate française quelques fétiches symboliques (le « redressement » au sens de sortie de la crise économique, la « justice » au sens du partage égalitaire des efforts à consacrer dans cette sortie), ils ne camouflent en rien la ligne générale d’un régime d’accumulation du capital qui ne repose plus seulement sur l’endettement des ménages mais également sur celui des États. Nombreuses sont les preuves de la reconduction de l’austérité, tel le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance européenne (TSCG), prévu à la ratification parlementaire en octobre prochain.

Le TSCG : la « règle d’or » bis

Qui se souvient du pacte « euro plus » ou du « semestre européen » ? C’était il y a un an seulement. La préconisation du gel des salaires et des cotisations sociales, de la diminution du nombre de fonctionnaires comme du recul de l’âge du départ en retraite légitimait la soumission des budgets nationaux aux institutions européennes (Conseil et Commission), avant même toute délibération parlementaire. Le TSCG est en réalité peu différent de la « règle d’or » promue par Sarkozy et qui appelait à la constitutionnalisation de l’équilibre budgétaire des comptes de l’État. Le TSCG s’inscrit en effet dans le dispositif plus global du Pacte budgétaire européen qui prône une « discipline budgétaire » établissant la mainmise définitive des marchés financiers sur les politiques budgétaires des États [2]. L’adoption fort probable par le PS du TSCG devra logiquement peser sur la ligne générale en termes de politique économique nationale.

Fiscalité : quelques coups minables

Que propose sinon le couple Hollande-Ayrault, par exemple à la place du projet sarkozyste de « TVA sociale » qui consistait en gros dans l’échange d’une augmentation de trois points de la TVA (11 milliards d’euros) contre une baisse de la contribution patronale au versement des cotisations sociales ?

Une augmentation de la CSG ! Créé par le gouvernement Rocard en 1990, cet impôt qui échappe à toute logique de progressivité représente de fait une première tranche d’impôt sur le revenu. Portant sur tous les salaires (retraites comprises), la CSG touche à peine aux revenus du patrimoine (11% sur les 89 milliards récoltés). De la hausse de la TVA à celle de la CSG, la note passerait du simple au double ! Comment voir dans ce recul une politique de gauche ? Avec la CRDS de Juppé créée en 1996, la CSG augmentée ne fera que renforcer la politique de fiscalisation-confiscation de la protection sociale, qui serait ainsi encore un peu plus soustraite du contrôle salarial.

Quant à la taxation des riches (provisoire, le temps du désendettement), qui a fait frémir jusque dans les pages du Figaro, le binôme Hollande-Ayrault a revu à la baisse son ambition de taxe sur 75% des revenus supérieurs à 1 million d’euros annuel pour un célibataire, puisque seuls les revenus d’activité seront concernés. Il s’agirait en fait moins d’ajouter une nouvelle tranche que de créer une surtaxe sur le modèle de l’ISF qui, incluant la CSG et la CRDS, passerait du coup à 67% ! Le fait que les revenus du capital soient épargnés par cette taxation n’a pas empêché Bernard Arnault, le capitaliste le plus riche de France (1 million mensuel), de demander la nationalité belge sous prétexte d’exil fiscal. A l’autre bout de l’exploitation, entre 8 et 11 millions de personnes survivent la tête sous le seuil de pauvreté [3].

Entre la version faible du retour à 60 ans comme âge légal de départ à la retraite, puisqu’elle ne concerne seulement que les salarié-e-s aux carrières longues, et la venue le 20 septembre de l’intersyndicale de PSA Aulnay à l’Élysée ayant débouché sur la promesse de négociations tripartites (syndicats, direction, État) mais sans engagement sur un gel de la fermeture de l’usine, que reste-t-il pour faire une politique de gauche qui soit de gauche ? L’arrêt promis de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui autorisait depuis 2008 la suppression de plus de 20 000 postes de fonctionnaires ?

Sauf que c’est une RGPP bis qui se profile, proposant de sacrifier certains ministères considérés comme non-prioritaires au profit de l’éducation, l’intérieur et la justice. Restent également maintenus pour les fonctionnaires le gel du point d’indice concernant leur traitement ainsi que le ralentissement de leur avancement de carrière.

« Priorité à l’emploi » = précarisation du salariat

Quant au projet de création de 150 000 « emplois d’avenir » d’ici 2014 au nom de la « priorité à l’emploi » (Michel Sapin), on y retrouve déguisé le principe des « emplois jeunes » cher à Martine Aubry ! Le 24 août dernier, le Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) a été consulté sur un article du projet de loi sur les emplois d’avenir concernant le pré-recrutement de jeunes issus de milieux modestes souhaitant préparer des concours d’accès aux métiers de l’Enseignement (les « emplois d’avenir professeur »). On ne peut pas dire que les organisations syndicales sont satisfaites, même si elles considèrent légitime le fait de prêter attention aux propositions visant à aider les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés à accéder aux métiers de l’Enseignement en instaurant un pré-recrutement.

Mais pas en substituant l’impôt (le financement est assuré à 75% par l’Etat.) au versement des cotisations sociales (dont les patrons seront une nouvelle fois exonérés), ni en fragilisant le statut du fonctionnaire par l’élargissement de la norme capitaliste du contrat. Et encore moins en considérant la jeunesse comme un handicap dans l’égal accès au monde professionnel.

En regard d’une politique économique qui perpétue l’entreprise de pillage par l’Etat des richesses sociales au bénéfice de la rente financière et au détriment des classes populaires bafouées dans leur dignité, on constatera, guère étonné, que la gauche de gouvernement fait à peine moins pire que la droite. Le mouvement social, loin de se satisfaire de cette alternance politicienne, doit alors tout mettre en œuvre pour élaborer une alternative politique instituant la rupture avec l’ordre capitaliste.

Franz B. AL 93

[1Cf. le dossier « Quand la gauche n’essaie pas » dans Regards, n°25, septembre 2012.

[2Cf. L’article « Autoritaires et austéritaires » dans Alternative Libertaire, n°220, septembre 2012.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut