Syndicalisme

9 avril : Construire un mouvement de grève massif




Depuis janvier le développement des grèves ici et là témoigne d’une rage existante. Le 9 avril, le nombre de manifestants montés à Paris sera regardé de près. Mais c’est le nombre de grévistes qui dira si le 9 vient allonger la liste des journées un peu vaines ou si nous tenons enfin le point de départ d’une remontée sociale contre l’austérité.

Passée en force (49.3) à ­l’Assemblée nationale, la loi Macron est désormais en navette avec le Sénat où la droite s’amuse beaucoup à l’idée « d’améliorer » le texte que de nombreux députés UDI-UMP s’apprêtaient à voter pour secourir Valls face aux « frondeurs » du PS. Le Sénat poussant encore plus loin les mesures antipopulaires.

Simultanément, le gouvernement prévoit de faire voter une loi qui entérinerait les revendications du Medef sur le « dialogue social » alors que même la CFDT a refusé de s’associer à des mesures qui vont réduire les moyens des délégués dans les entreprises. Mais ce n’est pas tout ! Avant l’été doit être bouclée la négociation sur les retraites complémentaires où le Medef propose, après le gel des pensions décidé pour 2015, de diminuer les pensions de réversion aux veuves et de baisser les pensions versées de 62 à 67 ans. C’est le retour de la retraite des morts ! Sans oublier la négociation en juin d’un « mini-CDI » révocable à tout moment pour « libérer » les embauches dans les PME.

Sortir de la routine militante

Enfin, M. Rebsamen, ministre du Travail, s’est illustré devant le Sénat le 11 mars en expliquant que le contrat de travail n’est pas toujours un lien de subordination. Or tout le droit du travail en France repose justement sur cette approche « de classe » reconnaissant des garanties aux salariés du fait de l’existence de cette subordination. Le droit reconnaît ainsi que le salarié cherchant à vendre sa force de travail à un capitaliste est en position de faiblesse. Cette bourde de Rebsamen a fait rire tous les juristes jusque dans les colonnes du Figaro !

Mais dans les milieux syndicaux, personne ne rigole car les patrons et les libéraux contestent depuis… 1791 cette reconnaissance juridique de l’aliénation salariale en lui opposant la vision d’un accord de gré à gré entre deux citoyens libres et égaux. Une refonte du Code du travail en supprimant cette base philosophique répondrait pleinement aux attentes du Medef. Alors, bourde ou ballon d’essai ?

Le principe d’une journée d’action au printemps était portée dans les discussions internes à la CGT pendant la crise du bureau confédéral, voulue par le congrès confédéral de FO et proposée à l’intersyndicale par Solidaires :ce sera donc le 9 avril. La FSU se ralliera plus tardivement après des débats internes compliqués. Mais après une litanie de journées d’action à moitié ratées ces deux dernières années, une question fait débat parmi les salarié-e-s et même dans les équipes syndicales : quelle efficacité de ces journées à répétition chaque trimestre ?

Car depuis l’échec du mouvement des retraites en 2010, les travailleurs connaissent l’intransigeance des gouvernements à mettre en œuvre les mesures austéritaires. Chacun a compris que les manifestations ne suffisent plus à stopper le rouleau compresseur. C’est donc par une combinaison bien plus audacieuse de grèves et de blocages que nous pourrons nous faire entendre. Le 9 n’a d’intérêt que s’il s’agit du point de départ d’une mobilisation bien plus résolue dans les formes d’action.

Pour que le 9 avril nous soit utile, il doit être construit comme une journée de grève massive. Arrêtons avec les manifestations plan-plan où ne viennent que les délégués et les retraités. L’appel des confédérations entretient à ce propos, comme toujours, un flou artistique.

Il revient donc aux fédérations professionnelles, aux syndicats d’appuyer sur l’appel à la grève, de dynamiser les collectifs syndicaux des entreprises pour que les délégués fassent le boulot, tournent dans les ateliers et les services, distribuent des tracts à l’entrée des boîtes pour convaincre leurs collègues. Assemblées du personnel, heures d’infos syndicales, prises de paroles à la cantine… il faut d’abord sortir de la routine militante pour créer un climat positif.

La volonté de dépasser les clivages syndicaux, bien réels par ailleurs, doit aussi guider les équipes militantes. Ainsi, dans une série de villes d’Île-de-­France, des AG intersyndicales et interprofessionnelles se sont tenues. Il est encore temps de multiplier ce type d’initiatives jusqu’au dernier moment.

Rage face à l’injustice

Il n’y aura pas de grève un peu sérieuse sur la seule question des mesures d’austérité gouvernementale. L’objectif d’y mettre un coup d’arrêt semblera hors de portée aux salariés qui ne voudront pas perdre une journée de travail pour un enjeu purement symbolique. C’est pourquoi les collectifs syndicaux doivent mettre les cahiers revendicatifs de chaque atelier, chaque entreprise, chaque branche professionnelle au cœur de la grève du 9.

On peut le regretter mais les salariés ne se mettent pas en grève par plaisir. Il leur faut deux conditions complémentaires : la rage face à une injustice qui perdure et l’espoir que la grève permettra enfin de résoudre le problème.

Or les luttes justement se multiplient depuis janvier. Largement ignorées par les médias nationaux, il faut décortiquer la presse régionale pour en percevoir les échos. La sauvegarde de l’emploi, les conditions de travail (y compris les embauches indispensables pour tenir les charges de travail), la répression antisyndicale en sont les principaux moteurs. Et puis les salaires, notamment parce que dans le privé de nombreuses entreprises commencent les négociations annuelles obligatoires (NAO) en début d’année.

Faire réagir les salariés

Le 9 avril doit permettre de relancer toutes ces bagarres et pas seulement à l’échelle des boîtes. Dans les commissions paritaires patronat/syndicats qui gèrent les conventions collectives et les grilles de salaires minima, les patrons montrent bien souvent la même intransigeance que dans leurs propres entreprises. Ainsi mi-mars à la convention collective des entreprises d’expédition d’abonnements de presse et de courrier publicitaires : lorsque les patrons annoncent « zéro » pour les salaires, toutes les délégations syndicales refusent de poursuivre la séance et quittent la salle. Reste à réussir à faire réagir les salariés des entreprises concernées.

Tract à télécharger

Contre le pessimisme et le défaitisme, il faut rappeler que même les lois votées peuvent tomber quand le mouvement est suffisamment fort. Ainsi le CPE pourtant voté n’a jamais été appliqué. Et puis si les manifestations de notaires ont fait reculer Macron, les travailleurs doivent pouvoir le faire aussi !

Il est de la responsabilité de l’intersyndicale confédérale de donner un signe positif dès avant le 9. Hélas il est probable, vu la fragilité de l’intersyndicale, que le signe ne viendra pas. Et pourtant pour que le 9 donne confiance il faudrait que d’autres rendez-vous soient déjà annoncés. Il revient donc aux équipes syndicales de faire preuve de combativité, d’anticipation et de sens de l’unité. C’est dès maintenant qu’il faut fixer des perspectives d’action pour une montée progressive du mouvement social.

Du passé récent il faut tirer les leçons. Les journées de manifestations espacées ne suffisent plus face à un gouvernement déterminé. Il nous oblige donc à frapper plus fort. C’est ce débat de conviction qu’il faut gagner dans nos syndicats. Et alors nous pourrons préparer les salariés et les chômeurs à des grèves reconductibles, à des blocages des zones industrielles et des plateformes de fret, à l’occupation des lieux de pouvoirs…

Jean-Yves (AL 93)

 
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