Antipatriarcat : La non-mixité pourquoi, la non-mixité pourquoi pas




La non-mixité dans le mouvement féministe a souvent donné lieu à des contresens. Elle est assimilée, à tort, à une vision de la société fondée sur la guerre des sexes. Explications.

Rappelons tout d’abord que le recours à la non-mixité s’inscrit dans l’histoire des revendications d’autonomie des mouvements sociaux.

Autonomie et non-mixité

La notion d’autonomie ouvrière s’est constituée, au XIXe siècle. sur cette affirmation de Proudhon : « séparez-vous de qui s’est le premier séparé, séparez-vous, comme autrefois le peuple romain se séparait de ces aristocrates. C’est par la séparation que vous vaincrez ; point de représentants, point de candidat ! » [1]. La constitution par les ouvriers d’organisations purement ouvrières, comme les syndicats, peut se comprendre à partir de cette revendication de séparation. Dans les années 70, le mouvement noir américain a aussi revendiqué la nécessité de constituer des organisations spécifiquement noires permettant à ces derniers de s’auto-organiser sans être infantilisés par les militants blancs.

L’apparition d’une organisation non-mixte comme le Mouvement de libération des femmes (MLF) en 1970 obéit à plusieurs raisons. La première est liée au sentiment des militantes femmes qui avaient participé au mouvement de 68 de devoir s’affronter au machisme des militants hommes avec, par exemple, la difficulté pour elles de prendre la parole dans les AG. La revendication d’une autonomie du mouvement féministe par rapport à la lutte anticapitaliste prend son modèle dans le mouvement noir américain.

Les arguments de la non-mixité

La non-mixité des réunions permet tout d’abord d’éviter les rapports d’oppression patriarcaux des militants hommes sur les militantes femmes. En effet, les hommes tendent à prendre plus souvent la parole lors des réunions et à se montrer plus souvent convaincus de la justesse de leurs vues. Cela s’explique par le fait que durant des siècles l’espace public a été du ressort des hommes, tandis que les femmes étaient reléguées dans l’espace privé.

Ce rapport entre hommes et femmes avait une conséquence sur les thèmes considérés comme ayant une teneur politique. Les thématiques que les femmes souhaitaient aborder pouvaient apparaître comme non-pertinentes aux hommes. Parler du ménage, de l’éducation des enfants ou des courses, cela ne faisait pas très politique comme thèmes.

Lutte de classe de sexe contre guerre des sexes

Mais la non-mixité permettait aussi aux militantes, dans des groupes de parole, d’aborder des thématiques ou des expériences qui pouvaient être difficiles à exprimer devant des militants hommes : viols, règles, avortements…

Les réunions non mixtes ou les groupes de paroles non mixtes ne sont pas à comprendre dans une logique de guerre des sexes. Ces réunions ne sont pas un préalable à une extermination physique des hommes ou à une humanité dans laquelle les hommes et les femmes vivraient séparé-e-s.

La non-mixité doit être comprise comme un instrument de lutte. Elle est un moyen qui permet de garantir l’autonomie de la lutte des femmes. L’objectif de la lutte antipatriarcale des femmes n’est pas l’extermination physique des hommes, mais l’abolition des classes de sexe. Il s’agit d’abolir la division sexuelle de la société comme la lutte anti-capitaliste se donne pour objectif d’abolir les divisions économiques de la société en classes sociales.

C’est dans ce cadre qu’il nous semble important de défendre les initiatives non mixtes, même dans le cadre d’organisations de lutte mixtes. L’organisation en outre, par exemple, de manifestations de nuit non mixtes, permet aux femmes de se constituer en sujets politiques d’une lutte autonome, capables de s’organiser et de lutter sans être soumises au joug paternaliste des militants hommes.

Irène (AL Paris Sud)

[1« Lettre de Proudhon aux ouvriers, 8 mars 1864 » in Daniel Guérin, Ni Dieu, ni Maître, t.1, La découverte, Paris.

 
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