Constitution Européenne : le jeu dangereux de la CGT




Alors que chaque organisation se positionne en vue du référendum annoncé au printemps ou à l’automne 2005, la CGT temporise. Pourquoi parler de la CGT ? Parce que l’enjeu de la prise de position de la CGT, pèse lourdement sur la visibilité d’un « non de classe » à la Constitution européenne.

En 1992, la CGT avait sans ambiguïté appelé à s’opposer au traité européen de Maastricht, à l’occasion du référendum. À l’époque, le « non » allait de soi : en vue de la mise en place de la monnaie unique en 2002, le traité de Maastricht planifiait l’austérité budgétaire des États membres de l’Union européenne (UE) et la destruction des services publics.

Bizarrement, en 2004, alors que le projet de Constitution européenne reprend les mêmes ingrédients en pire (lire Alternative libertaire de février et septembre 2004), la direction confédérale clame qu’il est urgent d’attendre. « Nous connaissons les limites d’une consigne de vote », avertissait le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, dans Le Monde du 15 octobre. Certes, mais ce n’est pas tant la consigne de vote qui est ici en suspens, c’est la prise de position elle-même, en « contre » ou pas. La direction confédérale temporise, écartelée qu’elle est entre une base qui penche fortement pour le « non », et ses engagements à la Confédération européenne des syndicats (CES) qui dès avril, a annoncé son soutien au projet constitutionnel, et l’a réaffirmé le 14 octobre.

Si la confédération CGT temporise, c’est qu’elle a envie de ne pas se tromper, et de prendre la « posture gagnante », de son point de vue. La posture gagnante consistera à ne déplaire ni à ses adhérent(e)s, ni à « l’opinion publique ». On peut parier que si la balance penche nettement d’un côté - par exemple si Fabius emporte le morceau au PS en faveur du « non » - la direction n’hésitera plus alors à s’engager contre la Constitution. Mais tant que le doute subsiste, le double discours continuera.

Le « ni oui ni non » fait le jeu du PS

Pourtant, s’il dure trop longtemps, le non-positionnement de la centrale de Montreuil va bientôt virer au positionnement ambigu, et au « laisser-faire », pour le plus grand bénéfice du Medef, de l’UMP et de la direction du PS. Une direction du PS qui se soucie de sa fragile image de gauche, et cherche à empêcher que le « oui » à la Constitution apparaisse trop comme un « oui » patronal. Il faut pour cela bloquer les initiatives syndicales pour le « non ». Comme François Hollande et ses sbires savent qu’ils n’obtiendront jamais un « oui » du mouvement syndical (hormis de la CFDT, mais c’est un non-événement), une posture « ni oui ni non » de la part de la première confédération du pays, la CGT, serait pour eux un formidable atout.

L’argumentation « de gauche » pour le « ni oui ni non » était parfaitement condensée par le chef du service économie de Libération, Hervé Nathan. Celui-ci publiait, dès le 4 octobre, une tribune qui, en signalant l’actualité d’un projet extrêmement libéral de directive européenne sur le temps de travail, affirmait que les intérêts des travailleurs ne se jouaient pas dans le oui ou le non à la constitution européenne. « Le progrès social, avant d’être une question de constitution, est affaire de rapport de forces », concluait le journaliste.

Formidable, AL aurait pu écrire la même chose. Et par ailleurs n’importe quel anticapitaliste vous dira cela en toute circonstance. Mais venant de Libération, un quotidien devenu un des porte-voix du libéralisme en France, cela ne peut que mettre mal à l’aise. Ici, il s’agit pour l’essentiel d’inviter les syndicalistes à se préoccuper des « questions concrètes » sans rentrer dans le débat du oui ou du non à la Constitution européenne. Cette approche pourrait avoir un certain écho. Car il est évident que tous les problèmes des travailleurs ne dépendent pas de la Constitution européenne, et que la lutte des classes ne se résume nullement à ce projet.

Mais, une fois dit tout cela, il n’en reste pas moins que la Constitution est une arme du capitalisme contre les travailleurs, et que l’opposition à ce projet alimentera le rapport de force contre Sarkozy, Seillière et consorts.

Derrière cette idée, un seul objectif : éviter que la direction de la CGT se lance dans le « non », comme en 1992. Il s’agit de travailler à des bonnes relations entre Hollande et Thibault, sur le mode du dernier congrès du PS où Thibault avait été ovationné.

Les raisons qui peuvent pousser la direction de la CGT à ne pas prendre position pour le « non » sont les mêmes que celles qui ont conduit la direction de la CGT à ne pas s’engager dans une confrontation générale avec le pouvoir sur les retraites. Il s’agit de montrer une CGT raisonnable, qui rompt avec le PCF, et qui surtout ne prend pas une position trop avancée.

Pour un « non de classe »

Cette approche permet en fait au PS d’arbitrer le débat sur la Constitution. Elle désarme politiquement les travailleurs d’une argumentation de classe. On n’est pas otage du PS quand on s’exprime sur ses positions avec vigueur. On l’est quand on les laisse s’exprimer seuls sur cette question. C’est en quelque sorte obliger les organisations de classe à se mettre à la remorque des courants du PS.

Les petites manœuvres pour empêcher un « non » de classe et internationaliste doivent être décryptées avec lucidité. Face à nous les sociaux-libéraux agiteront des arguments de gauche du style : « Tout n’est pas dans la Constitution mais dans le rapport de forces » pour que le « oui » l’emporte et pour stigmatiser un camp du « non » sans syndicalistes, donc sans dimension de classe.

À cela il faut répondre très clairement :

 oui il faut s’opposer au projet de directive européenne sur le temps de travail, comme on s’est opposé et on s’opposera à toutes les entreprises de démolition sociale réalisées sous couvert de l’UE.
 et non, il ne faut pas détourner pudiquement le regard et laisser passer cette Constitution capitaliste. Il faut opposer un « non » de classe et internationaliste, pour clarifier le débat et ne pas le laisser entre les mains de Hollande, Fabius, Chirac et Le Pen.

Thierry Aureliano (AL Transcom),
Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

 
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