Grèce

Forum libertaire d’Athènes : Essai transformé




Du 4 au 6 mai dernier, Athènes a vécu au rythme de la contestation sociale et politique. Parallèlement au Forum social européen (FSE) associant mouvements sociaux européens et formations de la gauche radicale autant qu’institutionnelle, plusieurs organisations libertaires grecques organisaient un Forum libertaire. Trois jours de débats et de rencontres fraternelles qui feront date.

La tenue du FSE à Athènes pouvait à juste titre alimenter les craintes tant la réalité grecque constitue le modèle absolu de dévoiement des luttes sociales vers la représentation politique. Alors qu’en France cet espace, sans être complètement exempt de critique, rassemble les mouvements sociaux à l’exclusion, au moins formellement, des organisations politiques, c’est exactement l’inverse qui se produit en Grèce. Le FSE est organisé en tant que tel par plusieurs partis politiques : Synaspismos (petit parti de gauche institutionnelle, issu d’une scission eurocommuniste du Parti communiste grec) ; l’équivalent grec du SWP (Socialist workers Party), et quelques autres groupes maoïstes ou trotskystes, avec la caution purement symbolique de la GSEE (Confédération générale des travailleurs grecs, centrale syndicale unique dont l’orientation majoritaire correspond à celle de la CFDT française). Cette situation tient pour beaucoup au contexte local. Il n’existe pas réellement en Grèce de mouvement social autonome et de culture unitaire, chaque chapelle politique (et elles sont nombreuses) créant et contrôlant ses propres fronts de lutte. Le FSE athénien tiendra donc ses promesses de ce côté-là. Entre un meeting « unitaire » de sections de la IVe Internationale (trotskyste) et des « débats » alignant sur le même plan syndicalistes et responsables politiques, il restera peu d’espaces à s’approprier pour les mouvements de luttes. Parmi les points positifs on notera néanmoins la forte présence de syndicalistes turc(que)s, les contacts noués par des étudiant(e)s français(es) partie prenante du mouvement anti-CPE/LEC avec des camarades d’autres pays et le travail accompli par le réseau international No Vox qui regroupe des associations de lutte de « sans » (emploi, papiers, toit) [1].

Succès pour les libertaires

Le Forum libertaire qui se déroulait aux mêmes dates à l’École polytechnique d’Athènes (où a éclaté la révolte du 17 novembre 1973 contre la dictature des colonels) a rencontré un écho significatif. Organisé par nos camarades de l’Union syndicaliste libertaire (ESE, d’orientation anarcho-syndicaliste) et plusieurs mouvements anarchistes « classiques » c’est-à-dire, dans le cas de la Grèce, qui fondent leur action sur la seule violence et se préoccupent assez peu de lutte des classes, il a rassemblé plus de 1 000 participant(e)s. Malgré les difficultés rencontrées pour faire vivre une coalition aussi hétéroclite, le modèle défendu par l’ESE aura incontestablement dominé le forum grâce aux deux débats phares qu’ils ont animés et qui ont accueillis plusieurs centaines de personnes : un meeting sur l’anarcho-syndicaliste en Europe le vendredi 5 mai avec des interventions de la CGT d’Espagne, de la CNT française et de la SAC suédoise et un débat le dimanche 7 mai sur l’action dans le mouvement ouvrier en Grèce avec notamment l’intervention d’un camarade du bâtiment qui a présenté l’action syndicale libertaire dans ce secteur. Au-delà de ces débats « formels », le Forum libertaire a été marqué par une ambiance chaleureuse et fraternelle favorisant les échanges entre militant(e)s libertaires de plusieurs pays. Il faut saluer ici l’important travail fourni par nos camarades de l’ESE pour assurer un accueil et des rencontres de qualité. Ces journées auront également permis des contacts avec des camarades du syndicat révolutionnaire sibérien SKT et une réunion sur la question des politiques d’immigration en Europe entre militants espagnols (CGT), français (Alternative libertaire, CNT) et grecs (ESE).

Haute tension

La contestation se jouait aussi dans la rue le samedi 6 mai avec une manifestation libertaire qui a regroupé plus de 2000 personnes derrière un mot d’ordre, « Tant qu’il y aura l’Etat et le capital un autre monde ne sera pas possible ! », répondant au gentillet slogan du FSE « Un autre monde est possible ! ». Encadrée de bout en bout par la police la manifestation se déroulera sans incident comme l’avait décidé les organisateurs/trices. Le défilé du FSE qui a suivi a aussi été un succès avec 50000 participant(e)s, essentiellement, pour sa partie grecque, dans des cortèges d’extrême gauche. La GSEE, qui compte plusieurs millions d’adhérent(e)s et participe au FSE, n’alignant quant à elle qu’une trentaine de membres. Les délégations internationales les plus massives étant celles venues de Turquie, de France (CGT, SUD-Solidaires, Droits devant !!, AC !, Apeis, LCR, Attac) et d’Italie (CGIL, Cobas, Refondation communiste).

Sur l’ensemble du parcours de la manifestation, un groupe de 300 personnes se livre à des attaques au cocktail Molotov contre les banques, les flics (dont quelques-uns se transforment en hommes torches), un commissariat... une voiture de police part même en fumée et son occupant ne devra son salut qu’à un coup de feu en l’air. Si elle a pu permettre aux quelques français(es) présent(e)s de prolonger un peu l’ambiance et les habitudes du mouvement antiCPE, cette pratique de la confrontation violente aura aussi pour effet de semer le trouble chez les manifestant(e)s du FSE qui n’étaient pas tou(te)s prêt(e)s à l’assumer et à supporter les charges policières. Les Italien(ne)s de Refondation communiste et des syndicats Cobas y seront les plus hostiles puisqu’ils en viennent à traiter les émeutier(e)s de fascistes, attitude assez paradoxale quand on sait que ces mêmes militant(e)s ont passé une partie de la manif à chanter la gloire de Carlo Giuliani [2], tandis que les syndicalistes turcs et les indépendantistes basques de Batasuna se montreront plus compréhensifs. La manifestation se dissout devant l’ambassade des États-Unis protégée par les flics qui essuient une pluie de projectiles. Les émeutier(e)s continuent ensuite de manière autonome : passage devant l’ambassade de France, arrêt devant le Parlement toujours dans la même odeur de lacrymogènes et de mèches imbibées d’essence, pour finir par la destruction de commerces de luxe, de banques et d’un Mc Donald dans le centre touristique. La police accentue alors la pression et la journée se solde par plusieurs arrestations et emprisonnements.

Grève « générale »

Après ce week-end bien chargé les militant(e)s de l’ESE enchaînent sur la préparation de la grève générale appelée par la GSEE pour le mercredi 10 mai avant un cycle de négociations avec le patronat. Pour bien comprendre la nature gestionnaire de cette centrale syndicale et son intégration au système, il suffit de préciser que parallèlement à la revendication de salaires plus élevés le mot d’ordre central de cette grève était l’augmentation des « investissements » accompagné d’un discours du type « les patrons ne se soucient pas de l’économie grecque, seule la GSEE agit pour la croissance... ». Alors que la grève est bien suivie (métro fermé, perturbations dans de nombreux secteurs) deux manifestations, les travailleur(se)s du public d’un côté, le secteur privé de l’autre, rassemblent chacune à peine un millier de personnes. Le PAME, front syndical du Parti communiste au sein de la GSEE qui a rompu avec la direction de la centrale sans pour autant franchir le pas de la constitution d’une confédération distincte, organise seul une troisième manifestation sur des bases plus combatives. L’ESE intervient dans la manifestation de la fonction publique en raison de la présence des travailleur(euse)s de l’éducation, secteur dans lequel les camarades mènent une activité suivie, avec un cortège conséquent et une expression axée sur la nécessité des luttes sociales et de leur auto-organisation. Cette jeune organisation fondée en 2003 sort donc renforcée du Forum libertaire et nous lui souhaitons tous nos vœux de réussite dans la construction d’une force qui agisse et pèse dans la lutte de classe.

Clément Garnier (AL Paris-Est)

[1En France Agir contre le chômage !, Droit au logement, Marches européennes, Apeis, Comité des sans logis, Droit paysan.

[2Manifestant italien tué le 20 juillet 2001 par la police lors des émeutes anti-G8 de Gènes.

 
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