Ier congrès de l’UCL (Fougères, 28-30 août 2021)

L’action anti-impérialiste sur le nouvel échiquier géopolitique




Au cours de la décennie 2010, les rapports de force ont évolué entre les principales puissances capitalistes : États-Unis, Chine, Russie, Union européenne… Qu’est-ce qui guide leur politique ? Quels sont les risques et les conséquences pour les peuples ? Quelles sont les spécificités de l’impérialisme français ? Il est nécessaire, pour les révolutionnaires, de mettre à jour leur grille d’analyse.

L’hégémonie états-unienne remise en cause

Les États-Unis : un impérialisme mondial sur le déclin, toujours agressif

Dans les années 1990, États-Unis ont profité de la disparition de l’URSS pour imposer leur hégémonie sur la politique internationale. Trente ans plus tard, l’empire est en crise, confronté à des menaces qu’il a sous-estimées. Si dans un premier temps la mondialisation néolibérale a renforcé sa puissance, elle a aussi permis l’émergence de concurrents qui aujourd’hui remettent en cause sa prééminence.

Le bourbier afghan, le fiasco irakien et d’autres impasses militaires (« guerre des drones » au Yémen et au Pakistan) ont rendu les États-Unis prudents. Ils privilégient désormais les « sanctions économiques » – une forme de blocus – pour faire plier les pays récalcitrants : Corée du Nord, Venezuela, Iran. En Syrie, ils ont cherché à instrumentaliser des forces politico-militaires – aussi bien l’extrême droite islamiste que la gauche kurde – dans leur intérêt propre.

Avec la Chine et de la Russie une confrontation militaire directe est très peu probable en raison du risque de guerre nucléaire totale. Vis-à-vis d’eux, l’impérialisme américain développe une stratégie d’endiguement se traduisant par l’installation de centaines de bases et points d’appui militaires dans les pays limitrophes. Ils y ajoutent des sanctions économiques ciblées dont l’objectif est de conserver leur avance technologique.

La Chine : un impérialisme qui se renforce

Deuxième puissance économique mondiale, la Chine devrait dépasser les États-Unis durant la décennie 2020. Pour l’heure elle ne revendique pas l’hégémonie, mais un ordre multipolaire où ses intérêts soient pris en compte, sans ingérence dans ses « affaires intérieures » : colonisation han du Tibet et du Xinjiang, mise au pas de Hong Kong, revendication sur Taïwan. La Chine développe dans l’ensemble de son aire Asie/pacifique une pression militaire expansionniste qui pourrait déboucher sur des conflits armés : Inde, Péninsule indochinoise, Malaisie, Philippines... jusqu’en Australie. Longtemps le PCC a fait prévaloir le business sur la politique internationale. Mais ces dernières années le ton a changé. Pour sécuriser ses « nouvelles routes de la soie » en Afrique, en Amérique du Sud et jusqu’en Europe centrale, Pékin œuvre à se doter d’une capacité de projection militaire loin de ses frontières qui pourrait, demain, en faire un acteur impérialiste majeur.

La Chine a aujourd’hui une place importante dans le continent africain qu’elle a acquise au détriment des impérialismes occidentaux. On observe un nombre croissant de secteurs économiques où se place la Chine sur l’ensemble du continent : la téléphonie, le BTP, les matières premières (pétrole, uranium) et le marché des terres agricoles. Pour autant, la domination militaire et politique de l’État français, pour ne prendre que cet exemple, ne permet pas à l’impérialisme chinois de supplanter l’impérialisme occidental à moyen terme.

La Russie : un impérialisme de voisinage

Sortie de la situation catastrophique des années 1990, la Russie s’est de nouveau imposée comme un acteur d’envergure mondiale, mais avec des objectifs différents de ceux de l’URSS. Plus question d’une lutte idéologique planétaire. La priorité est de contrôler son voisinage – Ukraine, Biélorussie, Caucase… – et de briser la politique américaine d’encerclement en jouant des divisions au sein de l’Otan.

Au niveau global, le Kremlin propose le multilatéralisme contre l’hégémonie américaine. Le renouveau de l’armée et du complexe militaro-industriel lui permet une politique étrangère plus agressive : intervention militaire directe en Syrie, indirecte en Libye. Mais sa puissance économique moyenne limite ses possibilités et la pousse à se rapprocher de la Chine.

L’UE, géant économique, nain politique

Les difficultés à faire ratifier par les Parlements nationaux le plan de relance décidé par la Commission, les égoïsmes nationaux qui éclatent sur les migrants ou le Covid montrent que les vieilles bourgeoisies nationales n’ont toujours pas donné naissance à une bourgeoisie européenne unifiée.

Tiraillée entre sa soumission volontaire aux États-Unis et des velléités d’autonomie stratégique portées par le tandem franco-allemand, l’Union européenne est incapable d’une position et d’une intervention commune sur l’échiquier géopolitique. L’industrie de l’armement a connu une concentration à l’échelle européenne, mais les oppositions sont fortes à l’édification d’une armée européenne, idée principalement défendue par la France.

L’Otan reste donc le cadre essentiel de « l’Europe de la défense », mais est minée par ses divisions, en particulier sur l’attitude à avoir vis-à-vis de la Russie. Alors que la Pologne et les pays baltes sont sur une ligne dure, l’Allemagne, la France et l’Italie visent à la conciliation et à la croissance des échanges économiques. Depuis peu, l’expansionnisme de la Turquie cause une vive tension avec la Grèce, Chypre et la France.

Au bout du compte, la politique étrangère de l’UE n’existe guère au-delà des entreprises impérialistes de ses États-membres les plus actifs militairement.

Un monde plus multipolaire

Dans ce contexte, aucun impérialisme n’est plus en mesure d’imposer sa loi à toute la planète. Des impérialismes régionaux en tirent profit pour mener des stratégies indépendantes sur leur propres objectifs. Cela entraîne une compétition souvent meurtrière, comme au Moyen-Orient où les pôles Turquie-Qatar, Arabie saoudite-Israël et Iran-Syrie sont en compétition pour l’hégémonie régionale.

L’impérialisme français dans ce contexte

Allié des États-Unis dans le cadre de l’Otan, l’État français est aujourd’hui une puissance moyenne, mais à l’influence disproportionnée en raison de positions acquises à l’époque de l’empire colonial puis de la Guerre froide :

  • la bombe atomique et un siège permanent au conseil de sécurité de l’Onu ;
  • une souveraineté sur le 2e domaine maritime mondial grâce aux reliquats insulaires de son empire colonial, notamment aux Antilles et dans l’océan Pacifique ;
  • des réseaux d’allégeance et de business hérités de l’époque coloniale, des États vassalisés voire des dictateurs « amis » qui fondent sa zone d’influence en Afrique francophone ;
  • une armée d’opérations extérieures (« Opex ») : en janvier 2021, 41 % des effectifs déployés de l’armée français le sont en Afrique, au Moyen-Orient ou sur les océans, ce qui en soit révèle sa nature impérialiste.

Cinq motifs structurants

L’impérialisme français est indissociable de son appareil et de ses politiques néocoloniales. L’interventionnisme français, dont l’Afrique est le théâtre ordinaire, a cinq motivations principales :

  • la défense d’intérêts économiques. En 2014, selon le Quai d’Orsay, 40 000 entreprises françaises, dont 14 multinationales (Bolloré, Total, Vinci, Lafarge, Orano, Orange, Accor, Veolia, Carrefour…) opéraient en Afrique, dans des secteurs aussi lucratifs que le BTP, la grande distribution, la logistique, les infrastructures ferroviaires et portuaires, le tourisme, l’armement. L’imbrication des réseaux franco-africains de business privé et de coopération étatique qui en vivent forment la base sociale de la « Françafrique », puissant lobby pour contrer la concurrence chinoise ou turque ;
  • le contrôle de ressources stratégiques. Même si elle a diversifié ses approvisionnements en uranium, les mines du Niger restent le fleuron d’Orano (ex-Areva). Il faut y ajouter le haut potentiel de l’Afrique en hydrocarbures, coltan, cuivre, manganèse, lithium et terres rares, dont l’économie contemporaine est gourmande ;
  • une dimension « impériale » connectée aux deux précédentes, mais qui vaut aussi pour elle-même. Paris exerce une forme de suzeraineté sur plusieurs capitales africaines, ce qui l’oblige à prouver son efficacité pour dissuader des changements d’allégeance, en direction de Washington, de Pékin voire de Moscou. D’où certaines interventions militaires qui apparaissent comme des gouffres financiers, mais sont vitales pour démontrer sa puissance. Et qui induisent des bénéfices secondaires : attribution de concessions et de marchés publics, ventes d’armes testées « grandeur nature ». L’intervention de l’État français dans la partie subsaharienne du continent africain reste marquée par la concurrence avec l’impérialisme anglo-saxon. L’histoire récente dont le génocide du Rwanda sont un tragique rappel de ses ravages dans la région des grands lacs ;
  • la recherche de partenaires. Quand une révolution ou une guerre civile « ouvre le jeu » dans un pays, les forces politiques en concurrence peuvent solliciter l’appui d’États étrangers. Ceux-ci tâchent alors de se constituer une « clientèle » qui renverra l’ascenseur par la suite, voire se subordonnera à cette ingérence extérieure. L’État français ne se prive pas de jouer cette carte face à des gouvernements hostiles ou simplement indociles ;
  • l’industrie de l’armement. Sous pilotage de l’État, elle est une base importante de son impérialisme qui lui permet d’établir sa domination sur l’ensemble du globe et d’alimenter une part des conflits armés, répressions des civils, et crimes de guerres.

L’interventionnisme militaire français de la décennie 2010

C’est avec cette grille de lecture qu’il faut comprendre les interventions impérialistes de l’État français des années 2010 :

  • Côte d’Ivoire 2011 : dans ce « joyau de la Françafrique », l’armée française chasse Laurent Gbagbo (un ex-allié discrédité et jugé ingérable) et installe au pouvoir un nouvel homme-lige, Alassane Ouattara ;
  • Libye 2011 : l’État français cherche à profiter de la révolution en Libye. Son aviation, avec ses partenaires de l’Otan, aide à éliminer Kadhafi (opération Harmattan) dans le vain espoir d’installer à Tripoli un régime pro-occidental ;
  • Syrie-Irak 2012-2017 : l’État français fait de même à l’occasion de la révolution en Syrie. Pensant que Bachar el-Assad va tomber, il livre des armes à l’Armée syrienne libre (ASL) dans l’espoir d’un futur gouvernement pro-occidental à Damas ; puis il fait machine arrière quand il s’avère qu’une partie de l’ASL est phagocytée par des djihadistes. Il appuie ensuite les FDS arabo-kurdes, l’armée irakienne et les milices chiites pour détruire Daech (opération Chammal) ;
  • Centrafrique 2013-2016 : l’armée française intervient pour stabiliser un État vassal en proie à une guerre civile (opération Sangaris) ;
  • Sahel depuis 2013 : l’armée française (opérations Serval, puis Barkhane) s’engage dans une « guerre sans fin » pour maintenir la cohésion la cohésion de ses États vassaux face à des insurrections sous drapeau djihadiste dont tout le monde s’accorde à dire – y compris l’état-major français – qu’elles ne connaîtront pas de solution militaire.

Les conséquences

Il serait obtus de nier que ces interventions militaires ont pu jouer, à court terme, un rôle positif du point de vue de certaines populations menacées de massacres et de destructions. L’opération Serval a ainsi été très populaire au Mali, de même que l’aide française aux combattantes et combattants kurdes, syriens et irakiens qui ont abattu Daech. Des massacres de civils ont pu être évités en Centrafrique ou en Côte d’Ivoire. C’est essentiellement là-dessus que l’État français communique.

Cependant, ce n’est jamais la motivation première de son interventionnisme : celui-ci s’explique en premier lieu par les cinq motifs structurants cités plus hauts.

Surtout, à moyen et long terme, cet interventionnisme est globalement contre-productif. Parfois parce qu’il prolonge et aggrave des guerres ; fondamentalement parce qu’il entretient des liens de vassalité et d’ingérence qui sont une entrave à l’autonomie des peuples, à leur capacité à prendre en main le destin de leur pays.

Les résistances domestiques à l’impérialisme

L’indignation et la protestation contre les « opex » sont traditionnellement faibles dans les métropoles impérialistes, aussi bien aux États-Unis, qu’au Royaume-Uni, en Russie ou en France. Les enjeux paraissent lointains, et la propagande est souvent efficace.

Mais plus le sang coule – notamment celui des corps expéditionnaires – plus l’indignation peut gagner les populations et provoquer des protestations gênantes pour l’impérialisme. En France, ce fut le fut le cas contre les guerres d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam, d’Afghanistan, d’Irak.

L’action de l’UCL en France

En se fondant sur cette grille d’analyse, le rôle de l’UCL est de :

  • remporter le combat idéologique. Nombre des opprimées méconnaissent les crimes de l’impérialisme français. Sont en cause un manque d’intérêt problématique et le matraquage des entreprises de justification de l’impérialisme : mythe de la guerre humanitaire, révisionnisme (génocide du Rwanda), négationnisme. La révélation et la diffusion de l’horreur de l’impérialisme français, en Afrique notamment, est un axe important de nos luttes pour gagner sur le front idéologique.
  • dénoncer tous les impérialismes mondiaux ou régionaux ;
  • organiser la riposte dans la rue et sur les lieux de travail, lorsque l’indignation populaire le permet, pour gêner les opérations impérialistes, comme on l’a fait massivement contre la guerre d’Afghanistan en 2001, contre la 2e guerre du Golfe en 2003, et avec nettement moins de succès contre l’intervention de l’Otan en Libye en 2011 ou contre l’intervention française au Sahel en 2013. Parmi les registres d’action directe : le boycott fait partie des initiatives que nous pouvons employer contre l’impérialisme français, notamment. Particulièrement dans la Françafrique où la bourgeoisie coloniale française est hégémonique : LVMH, Bouygues, Bolloré, Lafarge, Total, Veolia, BNP, ACCOR ;
  • soutenir les peuples en lutte pour leur liberté, quel que soit le camp impérialiste que ça gêne. Cela suppose de relayer l’action et la parole des forces anti-impérialistes de gauche, en particulier lorsqu’elles portent un projet révolutionnaire émancipateur, contre l’impérialisme français en premier lieu. C’est sur lui que nous avons le plus de prises, il agit principalement en notre nom et nous contribuons involontairement malgré nous à ses bases matériels (impôts et appropriation de notre travail par la bourgeoisie impérialiste). Cela passe également par la lutte pour l’abolition de la dette qui étrangle les habitant-es vivant dans les sphère néo-coloniales ;
  • lier la lutte anti-impérialiste à la solidarité avec les migrantes. Lutter contre l’impérialisme et la domination néocoloniale française, notamment, c’est lutter contre l’une des sources de la misère qui conduit les migrant-es au départ malgré les innombrables risques. Notre solidarité de classe avec les migrantes, ici sur le territoire, est inséparable du combat anti-impérialiste et anticolonial ;
  • revendiquer une réduction drastique des « capacités de projection » de l’armée française, dans le cadre d’un ample désarmement, et du démantèlement de la force nucléaire, et également dans la lutte pour le retrait des troupes françaises, avec l’axe : « troupes françaises hors d’Afrique » ;
  • agir au sein du réseau Anarkismo pour une expression commune anti-impérialiste chaque fois que nécessaire.
 
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