Mouvement lycéen : De l’auto-organisation à l’auto-émancipation




Les lycéennes et lycéens ont entamé, au mois de février et de mars, une épreuve de force avec le gouvernement qui, comme à son habitude, fait la sourde oreille.

La mobilisation a commencé doucement fin janvier, où on pouvait déjà voir des cortèges lycéens dans les manifs interprofessionnelles. Le 5 février, de nombreux lycéens sont sortis dans la rue et la mobilisation a réellement pu démarrer. La mobilisation est ensuite allée en croissant. Les vacances scolaires auraient pu être un coup d’arrêt, mais les actions ont continué. À la rentrée, les manifs étaient encore plus grosses. Le 8 mars a été le pic de mobilisation, malgré un échec de la manif parisienne.

Les lycéens n’ont pas subi la défaite de mai-juin 2003 et sont, en comparaison au climat ambiant, très combatifs. La lutte dure au total depuis près de 2 mois. C’est une bouffée d’air frais pour le mouvement social, qui commence à se ressaisir après la série de défaites de 2003-2004.

Retrait total du plan Fillon

Le plan Fillon repose sur la notion de « socle commun de connaissances », lesquelles sont simplement résumées à savoir lire, écrire, compter, connaître les principales opérations mathématiques, maîtriser l’orthographe et bredouiller un anglais de communication internationale. Les élèves les plus en difficulté suivront un enseignement consacré exclusivement à la maîtrise de ce socle commun, tandis que les autres pourront choisir des options nécessaires à la poursuite d’études supérieures. Il s’agit clairement d’une école à deux vitesses.

Sous couvert d’humanisation de l’école, le plan organise un parcours individualisé de l’élève, avec un contrat individuel de réussite éducative. Or, aucune réduction d’effectif par classe n’est prévue (à part en langues). Ce contrat reste un simple moyen de pression et de contrainte dans l’orientation.

Cette orientation aura lieu dès la cinquième. Qui savait ce qu’il voulait faire plus tard au collège ? Les velléités d’orientation forcée se confirment quand plus loin, on lit que les effectifs des classes d’apprentissage devront augmenter de 50 % à terme et que les partenariats avec les entreprises locales seront renforcés. Les heures de soutien pour les élèves en difficulté seront couplées avec des heures de « découvertes professionnelles ». Enfin, le seul juge de la décision d’orientation sera le conseil de classe.

Le développement de l’esprit critique est sacrifié sur l’autel de la rentabilité, mais le plan n’oublie pas d’injecter une forte dose de patriotisme et de flicage partout où il le peut. Ainsi, le chef d’établissement aura un lien direct avec le procureur et une note de vie scolaire, assiduité, discipline, civisme et engagement figurera au brevet.

Enfin, le bac sera « dénationalisé » via le contrôle continu : sa valeur sera fonction du lycée où il a été obtenu.

Bref, le marché de l’enseignement est largement ouvert.

Pseudo-syndicats et Comités d’action

La FIDL (Fédération indépendante et démocratique des lycéens) et l’UNL (Union nationale des lycéens) restent les organisations les plus médiatisées, elles restent néanmoins des coquilles vides social-démocrates.

La FIDL est alignée sur la tendance Nouveau Parti socialiste du PS (Julien Dray), contrôlant Ni Pute Ni Soumise et SOS Racisme. Elle reste d’ordinaire focalisée sur ce qu’elle appelle la démocratie lycéenne : les Conseils de la vie lycéenne, qui n’intéressent qu’elle. Elle dispose de moyens considérables, ce qui lui permet d’envoyer des représentants (en général des étudiants du Mouvement des jeunes socialistes, MJS) en province pour développer la mobilisation sur ses bases ou, si les lycéens sont déjà mobilisés, développer un mouvement en parallèle. Ses revendications se limitent à « touchez pas au bac », au maintien des TPE (Travaux personnels encadrés), censés être une « grande avancée pédagogique », et à des moyens supplémentaires. Jamais le retrait total du plan n’est évoqué, et pour cause, le PS soutient le flicage des lycées et l’idée de « socle commun ».

L’UNL est alignée sur la tendance Nouveau Monde du PS (Emmanuelli) qui contrôle l’Unef. Cette tendance est un peu plus à gauche, ce qui se ressent dans les positions de l’UNL : quand on cherche bien, il lui arrive de dépasser la réforme du bac et de demander le retrait total de la réforme. Mais elle est aussi très minoritaire, ainsi, pour exister, l’UNL n’a d’autre choix que le rapprochement avec les collectifs auto-organisés, véritable base du mouvement, pour tenter d’en prendre la tête.

Les médias et le gouvernement se font un plaisir de relayer ces « syndicats » et leurs positions molles, masquant ainsi la revendication de retrait total du plan Fillon, pourtant portée par l’essentiel des comités de mobilisation.

Ces comités se développent partout en France en prenant des formes diverses : Comités d’action lycéen à Paris et Rennes, Comité de mobilisation inter-lycées à Montpellier, Mouvement des lycéens de Marseille etc... tous réunis dans la Coordination nationale lycéenne. Une revendication commune pour ces collectifs : le retrait total du plan. Une pratique commune : la démocratie directe, c’est-à-dire le fonctionnement en assemblés générales (AG) souveraines, avec mandats clairs et révocables.

Ces collectifs ont souvent étaient impulsés par des militants ou des sympathisants d’extrême-gauche, notamment d’Alternative libertaire et de la JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires). Mais, contrairement à ce que relaie la presse, ces collectifs dépassent largement les organisations politiques et sont composés en majorité de lycéens « non encartés ».

Autonomie et démocratie directe

Pour Alternative libertaire, les questions d’autonomie politique du mouvement et de démocratie directe restent centrales.

Les meilleures alliées de Fillon sont les tentatives de récupération de l’énorme mouvement lycéen qui fait trembler le gouvernement et fantasmer partis politiques et syndicats. S’il ne faut pas nier le rôle des organisations politiques d’extrême gauche dans leur développement, ces organisations doivent aussi reconnaître la capacité des lycéens à s’auto-organiser et à mener la lutte. Cette indépendance politique garantit l’unité du mouvement.

La délégation de pouvoir est une habitude issue du fonctionnement par démocratie représentative, propre au système capitaliste. La plupart des organisations politiques actuelles prônent un tel fonctionnement. Des délégués sont élus sur des mandats flous et larges, puis parlent sans dire au nom de qui (leur lycée, leur orga, leur mandat ?) et jouent sur l’ambiguïté pour manipuler les AG... à la manière des députés actuels.

La démocratie directe est une rupture avec ce fonctionnement et met en perspective un projet de société démocratique et autogérée. Ainsi, le fonctionnement en AG souveraine garantit l’autonomie d’action de chaque lycée et permet à l’ensemble des lycéens, et non à une poignée élue, de contrôler le mouvement.

Grève générale

Le compromis semble être la voie privilégiée par la FIDL et l’UNL. Seulement « négocier », c’est tout sauf le moyen de gagner contre les gouvernements qui obéissent uniquement aux exigences du patronat. Le seul moyen de vaincre c’est par le rapport de force, que nous n’obtiendrons que par la grève générale.

Cela n’a rien d’illusoire ou de déplacé. En effet, cette casse de l’Education nationale n’a rien d’originale : les facs ont subi une réforme tout à fait similaire (LMD). Par ailleurs, les profs, les agents IATOSS, les pions sont autant concernés que les lycéens par cette réforme. Plus généralement, la casse de l’Education nationale et des services publics concerne l’ensemble de la société.

Pour gagner contre ce gouvernement prétendument inflexible, la convergence des luttes et la grève générale sont les seuls moyens. Dans cette perspective, la présence des lycéens aux cortèges pour la défense des services publics du 10 mars et la présence de profs aux manifs lycéennes sont très positives. Cette convergence se traduit aussi par un soutien matériel important de la part des syndicats (camion, tracts, SO), la solidarité restant la meilleure alternative à l’abondance de moyens de l’UNL et de la FIDL pour les collectifs auto-organisés. Néanmoins, la grève par procuration ne suffit plus. Il est grand temps que le corps enseignant s’engage dans la lutte aux côtés des lycéens.

Rappelons enfin qu’une école égalitaire dans une société capitaliste qui repose sur l’inégalité économique et sociale, ça n’existe pas. L’école n’a pas à être inféodée aux intérêts de l’économie de marché, ni à « apprendre à travailler ». L’école doit accompagner l’enfant dans sa découverte du monde, développer sa curiosité, son esprit critique, son indépendance.

Pour changer l’école, changeons la société. Pour changer la société, une révolution libertaire et égalitaire reste à faire !

Secrétariat de la Branche Jeunesse d’AL

 
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