Les travailleurs sociaux entrent en résistance




Un peu partout en France, des collectifs de travailleurs sociaux se constituent pour faire entendre une voix trop rarement exprimée. À Aurillac comme ailleurs, chacun commence à prendre conscience que le travail social n’en a plus pour longtemps dans sa forme actuelle et que nous n’aurons bientôt d’autre choix que de disparaître ou de nous faire auxiliaires de police.

Pour commencer, un petit rappel des faits qui nous énervent : RMA, réformes ultralibérales à tous crins (assurance chômage, sécu, retraites...), casse du code du travail, plans sociaux et j’en passe, paupérisent toujours plus les populations avec lesquelles nous travaillons. Alors que notre boulot était jusque-là de leur venir en aide (certains diront d’assurer un contrôle social en canalisant les révoltes), nous devrons maintenant assurer clairement un contrôle sécuritaire, en collaboration avec les services de police et autres milices municipales. D’ailleurs, nous ne travaillerons plus dans un cadre social auprès de personnes en difficulté mais dans un cadre sécuritaire auprès de populations potentiellement délinquantes.

Après l’instauration de pratiques et de protocoles explicites de collaboration, notamment à Rennes, Orléans ou Chambéry, un préprojet de loi de Sarkozy (l’ancien, celui de l’Intérieur) veut généraliser et imposer cette aberration (notons au passage que ce n’est même plus le ministère des Affaires sociales qui intervient dans ce domaine que l’on appelait « social »).

Outre un ramassis de débilités comme la généralisation de la vidéosurveillance dans les collèges et autres lieux publics ou privés, des sanctions toujours plus lourdes et absurdes contre les parents d’élèves en échec scolaire, le fichage du profil psychique de tous les élèves, la facilitation des expulsions de familles dérangeantes, et un tas d’autres imbécillités qui doivent assurer un retour « aux vraies valeurs de la république », Sarkozy veut imposer à « tout professionnel qui intervient au bénéfice d’une personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles [...] d’en informer le maire... ». Le maire (ou son représentant) qui devient coordinateur du dispositif de lutte contre la délinquance et qui redistribue l’info à tous les services concernés.

Exit donc le secret professionnel et le devoir de réserve. Les pauvres n’ont plus droit au respect de leur vie privée ; Big Brother veille sur eux, c’est le retour des classes dangereuses et c’est au travailleur social d’assurer ce flicage permanent.

Délation et stigmatisation

Autre loi qui vient finir d’achever le dispositif : il s’agit cette fois de retirer au juge pour enfants la responsabilité et le suivi des mesures qu’il peut prendre, pour les confier aux conseils généraux. Comme ceux-ci sont surtout financeurs et politiciens, on imagine l’aubaine pour eux. Sans compter que cela remet fondamentalement en cause le principe du débat contradictoire pour les personnes concernées.

Les conséquences de ces projets seront d’autant plus dévastatrices dans un département peu peuplé comme le Cantal. Outre que la priorité du conseil général ne sera jamais l’action sociale et qu’il lui sera facile de mettre en concurrence économique et politique les services, le clientélisme et la prestation « à la gueule du client » seront grandement facilités. Et puis, chez nous, les communes sont petites et tout le monde se connaît ! Une famille en difficulté sera plus vite qu’ailleurs livrée à la vindicte publique si sa vie privée n’a plus de secret pour le maire.

Partant de ça et motivés par l’émergence d’une mobilisation nationale, il est apparu à quelques travailleurs sociaux syndiqués d’Aurillac que nous ne pouvions plus ne pas réagir en tant que professionnel(le)s, sous peine d’ôter tout sens à notre travail. Par le bouche-à-oreille, distribuant tracts et infos au hasard de nos rencontres privées et professionnelles, nous nous sommes retrouvé(e)s pour une première réunion dite « d’information » à une quarantaine de personnes, où est né le Collectif des travailleurs sociaux du Cantal (qui deviendra plus tard le Collectif résistance sociale 15 pour marquer une ouverture).

Une cinquantaine de personnes à une seconde réunion, plus d’une centaine lors de la manif des travailleurs sociaux du 17 mars (plus une délégation sur la manif parisienne), on est en droit de considérer que c’est la preuve d’une forte mobilisation, pour un département qui ne compte guère plus de 450 travailleurs sociaux peu enclins à faire la révolution. C’est surtout la preuve que le ras-le-bol couve partout et qu’il suffit d’une étincelle pour qu’enfin des gens relèvent la tête.

Nous sommes malgré tout conscients que ce genre de mobilisation est surtout fragile et que la pérenniser n’est pas gagné. Tout en préparant les mobilisations à venir, on s’active donc par l’interpellation d’élu(e)s et responsables associati(ve)fs ou administrati(ve)fs, la rédaction de documents d’information, le lien avec d’autres acteurs/trices des luttes sociales... Car si le gouvernement fait mine de reculer et de revenir sur l’article le plus médiatisé, l’esprit du texte reste. C’est le retrait complet du projet que nous exigeons.

Nous n’avons pas affaire à un gouvernement idiot et la lutte doit s’organiser à tous les niveaux si nous voulons gagner et changer cette société qu’on nous prépare activement.

Un projet très clair

Car les initiateurs de ces lois et projets de lois liberticides ne sont pas de simples imbéciles brutaux qui ne jurent que par la violence et la répression sans réfléchir aux conséquences. Tout cela est très réfléchi, au contraire. Le délire sécuritaire dans lequel s’enfonce le monde n’est pas anecdotique.
L’ultrasécuritaire sarkozien relève de la même logique que l’impérialisme dictatorial étatsunien. Le libéralisme crée de la précarité et de la misère, de la discrimination et de la révolte. Le libéralisme a besoin pour survivre malgré son illégitimité d’un système sécuritaire surdéveloppé à même d’écraser dans l’œuf toute velléité contestataire. Or il est indéniable que la délinquance et la révolte d’une partie de la jeunesse, notamment dans des quartiers victimes des politiques libérales, sont, pour partie, liées à ces politiques. Comme l’est l’anti-américanisme dit « primaire », nourri par la brutalité bien réelle des USA.

Dans le même temps, des démagos comme Sarkozy et d’autres exploitants du filon qu’est le « sentiment d’insécurité » ont absolument besoin pour pérenniser leur crédibilité (à défaut d’asseoir une légitimité), à la fois d’entretenir ce sentiment tout en s’agitant et en donnant une illusion d’action véritable. Soyons clairs, sans délinquance dans les banlieues, pas de Sarkozy. Et ils le savent. C’est donc délibérément qu’ils mettent des bâtons dans les roues de ceux et celles qui agissent réellement.

Taper sur la gueule des peuples, ceux des cités-banlieues comme ceux du tiers-monde ou du monde arabe, est un moyen de défense « préventive » incontournable pour ceux qui dirigent le capitalisme mondial. Les frapper avant même que l’idée ne leur vienne de se révolter. Confiner leur révolte dans un petit espace géographique et idéologique sans conséquence. Elle est bien là leur politique : les libéraux sécuritaires qui veulent nous imposer la collaboration savent qu’ils sapent complètement notre travail. Ils le savent et le veulent. Ils entretiennent leur crédibilité, à défaut de légitimité, autour d’un sentiment d’insécurité que nous mettons en danger. Sans sentiment d’insécurité, plus « d’effet TF1 » en faveur du vote pour l’ordre et la sécurité. Ils ont donc besoin que ça pète un peu, dans des quartiers délimités qui ne dérangent pas la bonne bourgeoisie, qui elle vote de toute façon pour eux pour des motifs économiques. Sentiment d’insécurité pour les un(e)s, promesse de toujours plus de fric pour les autres. Pendant que des jeunes de tous âges cassent dans leurs quartiers ou s’enfoncent gentiment dans la misère, ils ne remettent pas en cause le système qui les opprime. Les mêmes, sortant de la galère, pourraient devenir bien plus dangereux s’ils se mettaient à combattre les vraies causes du mal, même par des moyens légaux.

Il est grand temps de se relever et de se révolter.

Nous n’avons à nouveau plus d’autre choix que de collaborer ou désobéir. Des travailleurs sociaux l’ont enfin compris, à Aurillac comme ailleurs.

Étienne

 
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