Grande-Bretagne : Le mouvement antiguerre continue




Anesthésiée pendant des années par le blairisme, la jeunesse britannique s’est massivement mobilisée contre la guerre et le racisme, s’insérant dans un mouvement large symbolisé par la coalition nationale Stop the war.

En Grande-Bretagne, la politique ultralibérale et militariste de Blair n’a pas fini de provoquer des secousses dans la jeunesse, mais aussi chez les travailleur(se)s et dans un Parti travailliste en pleine crise politique.

Après le 11 septembre 2001, le Financial Times (journal du grand capital financier britannique) avait annoncé que ces attentats et les bouleversements politiques qu’ils entraînaient signifieraient la mort du mouvement anticapitaliste. Mais en fait la radicalisation, surtout de la jeunesse, qui s’était manifestée dans ce mouvement s’est poursuivie et le lien a été fait dans beaucoup d’esprits entre mondialisation libérale et militarisme impérialiste : le mouvement anticapitaliste a joué un rôle très important dans le mouvement contre la guerre en Irak.

Mais c’est l’ampleur de l’opposition à la guerre ici qui a aussi surpris. En Grande-Bretagne, pour la première fois depuis Suez (1956), une majorité de la population s’est opposée à une guerre voulue par son gouvernement (même si cette opposition s’est réduite à partir du début de l’offensive anglo-étatsunienne).

Il est vrai qu’à la différence de l’Allemagne ou de l’Italie, une partie importante du mouvement antiguerre britannique s’est toujours montrée prête à accepter la guerre à condition qu’elle soit approuvée par l’ONU : l’archevêque de Canterbury (chef de l’église anglicane), par exemple, ou la ministre travailliste Clare Short (réputée de gauche) et le TUC (Trades Union Congress, la centrale syndicale nationale) partagent tous cette position. La direction du TUC a approuvé la politique des sanctions contre l’Irak, et son secrétaire général, John Monks, en compagnie de John Sweeney, président de l’AFL-CIO (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations, principale centrale syndicale étatsunienne) a signé une lettre adressée à Bush et Blair les appelant à ne pas se lancer dans la guerre... sans être approuvés par l’ONU. Cette naïveté accablante à l’égard du rôle de l’ONU est partagée par bon nombre de Britanniques aujourd’hui, et il sera intéressant de voir dans quelle mesure cette attitude aura été modifiée grâce à la guerre.

 

Politisation de la jeunesse

Le mouvement d’opposition à la guerre contre l’Irak a donc été d’une diversité remarquable en Grande-Bretagne, réunissant des organisations pacifistes et antinucléaires qui existent depuis des décennies (Campaign for Nuclear Disarmament, Peace Pledge Union), et beaucoup de groupes - locaux et/ou spécifiques - qui se sont créés ad hoc ; des révolutionnaires trotskystes et libertaires mais aussi beaucoup de travaillistes précédemment blairistes, des chrétien(ne)s et des musulman(e)s, des lycéen(ne)s tenant explicitement à rejeter l’étiquette d’« apolitiques » qui leur est normalement appliquée, et énormément de gens dont le seul acte politique auparavant avait été de déposer leur bulletin de vote dans l’urne électorale... Dans les universités, « apolitiques » depuis le début des années 1980, on n’a rien vu de pareil depuis la guerre du Vietnam ou la campagne contre l’apartheid : manifestations, occupations, boycotts, teach-in, groupes antiguerre réunissant dans beaucoup de cas étudiant(e)s et enseignant(e)s, et une inquiétude croissante de la part de certains vice-chancellors concernant la tranquillité de leur campus...

 

Une coalition contre la guerre

Il y a donc eu une bonne trentaine d’organisations qui ont fait - qui font - campagne contre la guerre de façon autonome. En plus, plus d’une centaine de groupes locaux, syndicaux, culturels, religieux, politiques, pacifistes, de jeunes, etc. qui se sont affiliés à la coalition Stop the War (http://www.stopwar.org.uk/), l’organisation nationale la plus importante responsable d’impressionnantes manifestations à Londres, mais aussi localement. Les buts affichés de la coalition sont : l’opposition à la « guerre contre le terrorisme », l’opposition au développement du racisme qui pourrait en résulter, la défense des libertés.

Créée le 21 septembre 2001, la coalition Stop the War est appuyée par des député(e)s et militants(e) du Labour Party, des syndicalistes, des trotskystes, des écrivain(e)s, des journalistes, des universitaires, des avocat(e)s, des étudiant(e)s, des organisations représentant les musulman(e)s britanniques. Front unique au sens classique du terme (les militants trotskystes du Socialist Workers Party y jouent un rôle important), les révolutionnaires de tout type y militant se sont efforcés de politiser (dans le sens positif du terme) la campagne et de donner à son action une signification nettement anti-impérialiste...

 

Déchirements travaillistes

Le groupe « Labour Against the War » a réussi à réunir 16 députés travaillistes et une quarantaine de sections locales du parti. Pire (pour Blair) : des milliers de militant(e)s du parti auraient déchiré leur carte, dégoûtés par la politique belliqueuse de la direction. Le parti avait 400.000 adhérent(e)s en 1997 ; aujourd’hui il n’en a plus que 250.000. Certains parlent d’« hémorragie ». Les opposant(e)s de gauche qui restent au Labour Party sont appuyé(e)s par beaucoup de syndicalistes avec lesqueles ils ont déjà fait cause commune face à d’autres initiatives du New Labour : les privatisations, les soi-disant « foundation hospitals » (privatisation rampante du National Health Service, santé publique), la législation portant sur les droits des salarié(e)s, les salaires, les retraites et le conflit avec les pompiers.

La guerre contre l’Irak vient donc s’ajouter à une liste déjà longue de griefs qui aggravent la zizanie entre les syndicats et le Labour. Deux dirigeants de syndicats de cheminots ont déjà lancé un appel pour la démission de Tony Blair. Le secrétaire de l’important TGWU (Transport and General Workers’ Union) s’est plaint il y a quelques jours du fait que le Labour Party avait été « détourné ».

Dans le budget qui vient d’être annoncé par le chancelier Gordon Brown, celui-ci a insisté sur l’idée qu’il sera possible de financer la guerre tout en continuant d’accroître les investissements dans l’éducation, la santé et ainsi de suite. Difficile à croire, et la FBU (Fire Brigades Union, syndicat des pompiers, qui fait des grèves intermittentes depuis des mois) a insisté sur la contradiction représentée par le refus du gouvernement d’accorder des hausses de salaires pour les pompiers parce que les finances ne le permettraient pas, et la rapidité et la facilité avec lesquelles le gouvernement a pu consacrer des milliards de livres à la guerre.

Les congrès syndicaux annuels de ce printemps seront sans aucun doute dominés par des attaques contre Blair. En ce qui concerne les répercussions électorales, beaucoup craignent des résultats plutôt mauvais aux municipales le 1er mai - surtout en Écosse (bastion de la gauche), où le Scottish Socialist Party (à gauche du Labour) et les Liberal Democrats (centre-gauche) peuvent en bénéficier.

 

Le combat continue

Le 12 avril, environ 100 000 personnes ont manifesté à Londres : contre la guerre qui continue, contre l’occupation américaine, contre l’exploitation économique par les États-Unis, contre une future guerre en Syrie ou en Corée du Nord. « Bush, Blair, CIA, how many kids have you killed today ? » (combien d’enfants avez-vous tués aujourd’hui ?) a-t-on scandé. Un grand débat semble commencer sur l’usage par les militaires britanniques de bombes à fragmentation (type de bombe qui a causé tant de morts de civils dans l’ancienne Yougoslavie). Le mouvement ne va pas disparaître simplement du fait que la guerre ait été gagnée relativement facilement, ainsi que semblent le croire certain(e)s.

Une recomposition de la gauche n’est pas à l’ordre du jour en Grande Bretagne. Mais cette guerre aura eu sans aucun doute un effet profond sur la conscience politique de beaucoup de Britanniques, surtout parmi les jeunes, et parmi les « apolitiques » tout autant que chez les anticapitalistes convaincu(e)s. Les répercussions sur le New Labour et tout particulièrement sur la réputation de Tony Blair seront également importantes, même si l’espoir de certains que l’opposition populaire à la guerre provoque la chute de Blair ne semble plus crédible dans le court terme.

David Berry

 
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