Lire : Bray, « L’antifascisme, son passé, son présent et son avenir »




L’ouvrage de Marc Bray rend compte d’une histoire transnationale de l’antifascisme depuis la Seconde Guerre mondiale, dresse la liste des tactiques adoptées par le mouvement et en analyse la philosophie.

Rédigé dans l’urgence à la suite de l’élection de Trump et devant la montée des extrêmes droites dans le monde occidental, cet ouvrage de l’historien américain antifasciste Mark Bray affiche un objectif ambitieux  : à la fois retracer l’histoire du fascisme et surtout de l’antifascisme des années 1930 à nos jours, mais aussi dresser un panorama de notre situation contemporaine, tenter d’analyser les métamorphoses de l’extrême droite et son actuelle expansion, et enfin fournir une série de conseils pratiques et théoriques au travers d’interviews de militants antifascistes et destinés aux prochaines générations militantes. Si le pari n’est pas entièrement tenu, cet ouvrage, dense, instructif, invite à la réflexion mais aussi à l’action, et constitue un précieux outil de discussion et de formation militante.

Continuité entre l’extrême droite d’hier et d’aujourd’hui

En effet, en partant de la difficulté même de définir le fascisme et des différentes analyses que celui-ci a suscité dès son émergence, Mark Bray nous entraîne directement dans ce qui fait la difficulté à saisir cette idéologie politique, qui se construit dans la confusion et se caractérise par l’obsession du déclin et de la pureté. Du même coup, l’historien nous entraîne dans la complexité de la longue lutte antifasciste, dans ses revers mais aussi ses succès. On suit avec intérêt les combats historiques, les divisions et l’incapacité à réagir des mouvements révolutionnaires en Italie et en Allemagne, pourtant nombreux et organisés, mais incapables de s’unir face à la montée d’une force politique nouvelle et dont les dirigeants de gauche ne saisissent alors pas la portée ni la dangerosité.

En passant rapidement à l’après 1945, en dévoilant la continuité et la survivance des groupes fascistes après l’écrasement des régimes hitlériens et mussoliniens, Mark Bray démontre aussi toute la continuité entre l’extrême droite d’hier et d’aujourd’hui, et par conséquent la permanence de la lutte antifasciste dans toute ses dimensions.

Les derniers chapitres rentrent plus en détails sur la lutte contemporaine antifasciste, ses différents outils, les liens qui se tissent fortement avec l’antiracisme, le féminisme et les luttes LGBTs, les luttes de libération nationale, en s’appuyant sur l’expérience et l’histoire récente des réseaux antifascistes nord-américains face au renforcement du suprémacisme blanc et de «  l’alt right  ». Mark Bray va plus loin que la chronique historique en proposant aussi des analyses sur les métamorphoses de l’extrême droite occidentale, en analysant plus en profondeur dans ce phénomène de «  l’alt right  » et ce qu’il nomme «  les nazis en costume  » qui se développent aux Etats-Unis, et en Europe sur un modèle qu’il prétend commun. Si elle prête à discussion, la présentation de ce phénomène comme une nouvelle métamorphose du fascisme est en tout cas bien construite et apporte à la réflexion, tout comme la série d’interviews de militant-es antifascistes et les différents conseils apportés, qui sont autant de messages appelant autant à la solidarité internationale qu’à la construction de réseaux communs.

Métamorphoses du fascisme

Quelques regrets tout de même  : de l’aveu même de l’auteur, ce livre est limité à l’Amérique du Nord et à l’Europe de l’Ouest. Ainsi, aucune trace de l’antifascisme pourtant bien présent en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique et en Océanie, ce qui limite du coup les analyses en les basant sur des situations uniquement occidentales. De même, l’expérience et l’histoire de la lutte antifasciste chez nos camarades d’Europe de l’Est et des Balkans (exceptée la Grèce, qui est abordée) serait bien utile et son absence dans le livre invisibilise des combats qui pourtant sont vivants, et dans des conditions autrement plus difficiles qu’en Europe de l’Ouest. Par ailleurs, certaines chroniques de l’histoire antifasciste par pays manquent de détails et d’épaisseur car se basant très souvent sur le récit de l’antifascisme «  autonome  » né à la fin des années 1970. On peut regretter qu’un horizon plus large des organisations et associations luttant contre le fascisme n’est pas été présenté, notamment pour la France où des campagnes unitaires syndicales sont actives.

Il n’en reste pas moins que ce livre présente un intérêt fondamental pour tout militant antifasciste qui se questionne sur les modalités d’actions et de pensée dans la lutte contre l’extrême droite et le fascisme aujourd’hui.

Mark Bray a été victime d’une cabale orchestrée par l’extrême droite américaine en 2017 et a en retour bénéficié d’une tribune internationale de soutiens sur le blog de Théo Roumier sur Blogs.mediapart.fr.

Thomas B. (commission antifasciste)

  • Mark Bray, L’Antifascisme, son passé, son présent et son avenir, Lux, 2018, 368 pages, 22 euros.
 
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