Antipatriarcat

Militantisme : un féminisme de classe et autogestionnaire




Le féminisme est une lutte émancipatrice qui concerne toutes les femmes, au premier chef celles des classes populaires. Elles sont pourtant peu nombreuses dans les mouvements féministes. L’occasion de s’interroger sur les raisons de cette réalité et sur notre projet féministe libertaire.

Les récentes mobilisations féministes sont parvenues à faire entrer certaines de nos revendications dans l’espace médiatique. Toutefois, les voix féministes que l’on entend restent le plus souvent celles de femmes engagées dans des carrières politiques, ou des associations réformistes.

Communistes libertaires, nous devons participer à construire et porter une autre parole féministe. Notre parole, celle des femmes de classes populaires et de celles et ceux, qui, opprimé⋅es par le patriarcat ne seront jamais représenté⋅es par des élites politiques et bourgeoises.

Toutefois, cette perspective nous oblige à considérer les discours féministes, leur capacité à mobiliser, notamment les personnes a priori éloignées des réseaux militants. Durant la période de mobilisation des Gilets jaunes (où les femmes étaient particulièrement présentes), on a pu constater le rejet du terme « féministe » par des femmes qui se revendiquaient « féminines ».

Au-delà des termes, des femmes Gilets jaunes se sont organisées en assemblées générales, en groupe non-mixtes sur les réseaux sociaux pour échanger et élaborer des revendications propres à leurs conditions de femmes (mère célibataire au RSA, soignante, en temps partiel imposé, devant affronter l’inégalité des salaires, le non-partage des tâches, la violence sexiste…). Quand les revendications sont forgées par la base, l’articulation anticapitaliste, libertaire et féministe prend tout son sens.Mais tenir compte des revendications de classe et féministes n’est pas le seul enjeu. Il faut aussi que les femmes des classes populaires puissent prendre la parole, se sentir légitimes et entendues.

Ces constats ne sont pas nouveaux. Dès les années 70, des féministes afro-américaines, notamment Bell Hooks, se sont élevées pour porter la critique d’un féminisme blanc et bourgeois déconnecté des réalités sociales et matérielles des femmes afro-américaines. Les mouvements anti-racistes, mais aussi les luttes LGBTI, ont ainsi permis de pointer que la catégorie femmes ne suffisait pas en soi à porter un féminisme révolutionnaire. L’oppression patriarcale se trouve au croisement d’autres oppressions (racistes, LGBTIphobes, classistes) qui peuvent impliquer des revendications spécifiques.

Injonctions sexistes et sociales

Si toutes les femmes subissent le patriarcat, les femmes exploitées, racisées, sans papiers, des quartiers populaires le subissent davantage encore. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des dirigeantes et les patronnes, tenant d’un féminisme libéral voire nationaliste qui n’est pas le nôtre.

Le faible taux de syndicalisation des femmes (seules 10 % des femmes en 2016), le peu d’espaces pour se défendre, lutter et se solidariser sur les lieux de travail, renforcent les difficultés des travailleuses précaires. Comment dénoncer le harcèlement ou les agressions de son patron et s’exposer au licenciement quand on est seule, non syndiquée, qu’on ne peut se permettre de perdre leur travail ni de se payer un⋅e avocat⋅e ?

Pourtant, les parties ne sont pas jouées d’avance. Les grèves des employées de ménage de l’hôtel Ibis à Batignolles qui ont débuté en juillet 2019 se poursuivent et les négociations sur les salaires et conditions de travail sont en bonne voie. En 2018, les salariées de l’Holiday Inn de Clichy avaient obtenu la fin du paiement à la chambre, la suppression des mutations et une prime de panier à 7,14 euros, après 111 jours de grève.

Premières victimes de la crise

Les oppressions au sein du couple ajoutent la charge des tâches domestiques et conjugales. Lors du confinement au printemps dernier cette vérité s’est avérée criante : les femmes ont fait face à une double peine. Non seulement elles ont dû continuer à travailler (elles sont plus nombreuses dans les métiers de la santé, du commerce et de l’entretien), au risque d’être contaminées et de contaminer leurs proches, faute de protection adaptée et de consignes d’hygiène claires. Mais elles ont en plus galéré également dans la gestion des enfants, des tâches ménagères (encore plus inégalement réparties sous le Covid-19).

La complexité du rapport au système éducatif pour celles qui ont fait peu d’études, mais qui pour autant portent la responsabilité d’accompagner la réussite scolaire de leurs enfants, suscite parfois le mépris de classe d’une institution scolaire formatée sur le modèle des classes dominantes et intellectuelles.

Le rapport à l’éducation et aux tâches domestiques existe aussi « chez les autres ». Nombres de femmes de classes populaires travaillent pour des familles plus aisées (gardes d’enfants, ménage…) qui ne veulent pas être reléguées à un rôle de femme au foyer. Leurs revenus et leur statut social leur donne l’opportunité d’exploiter d’autres femmes pour permettre leur propre émancipation.

Enfin, ce sont les femmes qui sont les moins bien payées, plus souvent en emplois précaires. L’impact de la crise du Covid-19 menace davantage les emplois des femmes que ceux des hommes, près de deux fois plus selon l’enquête réalisée par McKinsey [1]. Les femmes représentent 39 % des emplois occupés dans le monde mais représentent 54 % des emplois perdus dans le monde en raison du Covid-19. Les raisons invoquées sont à la fois l’omniprésence des femmes dans les secteurs d’activité les plus touchés (tourisme, commerce) mais aussi l’accroissement du travail domestique non rémunéré durant le confinement et un moindre retour à la vie active lors du déconfinement.

Ni héroïnes, ni victimes : en lutte !

La question n’est pas tant celle que se posent souvent les mouvements de gauche à savoir « comment mobiliser les classes populaires ? », niant ainsi leurs combats qui se développent déjà en leur sein. Les questions féministes traversent déjà les mouvements des classes populaires, qu’ils se réunissent autours des violences policières, de l’antiracisme, du travail…

Peu mises en avant dans les médias et dans les luttes, les femmes des classes populaires sont souvent représentées comme incapables de mettre en lutte et de s’organiser. L’un des facteurs est la propension à générer de l’entre-soi et du jargon qui nécessitent un capital culturel voire un bagage universitaire élevés pour intégrer ces groupes. Ce ne devrait pas être le cas de l’antipatriarcat nécessairement inclusif, sans mépris de classe.

L’autre question est celle de l’implantation géographique des organisations de masse et classe dans les quartiers populaires. Le tissu des syndicats, des partis politiques, des associations et collectifs de lutte s’est progressivement dissout dans ces quartiers, et s’y implanter de nouveau nécessite un investissement long.

Notre féminisme est populaire et libertaire. Fières et en colères, nous refusons d’être les victimes de la crise sanitaire du capital. En se regroupant, en prenant la rue et les lieux de pouvoirs, à l’instar des femmes mexicaines autour de la question des féminicides, mettant la pression sur les patrons, telles les grévistes et syndicalistes CGT de l’Ibis des Batignolles, en organisant la colère des femmes, de toutes les femmes nous construirons l’offensive populaire.

Des militantes de la commission antipatriarcat de l’UCL

cc Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas.

 
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