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Biélorussie : les villes et les usines contre la dictature




Des anarchistes biélorusses livrent leur analyse du mouvement contre le régime de Loukachenko. Celui ci est d’une ampleur inédite, mais reste pour l’instant cantonné à des protestations pacifiques alors qu’il fait face à une répression féroce et à la menace d’une intervention directe de la Russie.

Le 9 août dernier, Alexandre Loukachenko, l’unique chef d’Etat de la Biélorussie depuis la chute de l’URSS, au pouvoir depuis désor­mais 26 ans, remportait sa sixième élection présidentielle
Ce résultat de toute évidence trafiqué a été la goutte d’eau de trop et a déclenché les manifestations les plus massives et radicales de l’histoire post-soviétique du pays.

Entre le 9 et le 12 août, la répression policière, d’un niveau sans équivalent non plus, a causé la mort de trois personnes et plus de 600 ont été emprisonnées. Des centaines de manifestantes et de manifestants ont été blessés plus ou moins gravement dans les affrontements et des milliers maltraités voir même torturés en prison.

Le régime arrête régulièrement celles et ceux qui sont considérés comme des « coordinateurs » des manifs (ici le 23 août). L’auto-organisation a émergé comme la seule façon de résister dans ce système.
HOMOATROX

A l’heure actuelle, le président Loukachenko se maintient au pouvoir au moyen d’une répression implacable et fort de la loyauté des forces de l’ordre, tandis que dans tout le pays, les manifestations gigantesques et les rassemblements se poursuivent.

La dictature ne considère pas que les demandes des manifestants soient l’objet de négociation puisqu’elle ne voie pas les citoyens comme des sujets politiques, et se contente de chercher à mater la contestation. Cette façon de faire n’est pas nouvelle puisque le régime a toujours veillé à empêcher l’apparition d’une forme d’opposition politique légale.

Des opposants sans expérience

Mais en l’absence d’une telle opposition « classique », une nouvelle forme a émergé – blogeurs et candidats aux élections – relativement isolée de la population et provenant de cercles élitistes. Ils n’ont pas vraiment de partis ou d’organisations, ni d’expérience de la lutte politique. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas imaginé dans quoi ils se lançaient, et ne pensaient pas que Loukachenko commencerait à tuer pour rester au pouvoir.

Une fois les principaux candidats aux élections arrêtés, le rôle clef de la contestation est passé aux mains des blogeurs sur l’application de messagerie en ligne Telegram, qui sont pour la plupart désormais en exil. Leurs canaux d’informations ont donné le ton de la protestation en publiant des instructions et des plans. Ce sont eux également qui ont tenté de lancer une grève générale. Malheureusement, même ces leaders d’opinion ne peuvent combattre à eux seuls la peur et le pacifisme latent dans la population.

Le régime arrête régulièrement ceux qui sont considérés comme des leaders ou des « coordinateurs » des manifestations, aussi l’auto-organisation a émergé comme la seule façon de résister dans ce système dictatorial. Des espace de discutions sont créés où les gens peuvent préparer des actions ou se coordonner pour se rendre aux manifestations sans se faire arrêter en amont. Des groupes autonomes se forment pour faire des graffitis ou accrocher des drapeaux afin de rendre visible la contestation.

Il y a bien un écueil cependant, le problème majeur réside selon nous dans le pacifisme ambiant. Les manifestantes et les manifestants ne résistent pas vraiment aux arrestations et ne se défendent pas face aux forces de police. Loukachenko a donc les mains libres pour renforcer sa mainmise sur le pays et transforme petit à petit la Biélorussie en une seconde Corée du nord.

Un mouvement anarchiste semi-clandestin mais actif

L’organisation la plus ancienne et la plus active dans la contestation est l’Action révolutionnaire (Революционное Действие), qui possède également une branche en Ukraine. Leurs campagnes et actions sont régulièrement publiées sur leur site internet Revbel.org. Ils sont notamment parvenu à diffuser massivement dans les manifs des techniques collectives permettant de ralentir les arrestations.

Il y a également plusieurs au­tres groupes dans le paysage politique, organisés autour de médias sur internet ou de librairies, qui sont contraints de mener des activités semi-clandestines en raison de la répression. De ce fait, leurs effectifs sont extrêmement faibles.

Le mouvement anarchiste dispose de peu d’infrastructures et d’influence médiatique. Ses membres participent individuellement aux manifestations et plusieurs camarades ont été arrêtés, notamment Alexander Frantskevich et Akihiro Gaevsky-Khanada.

En réalité, aucune force politique, anarchiste inclus, ne peut se prévaloir d’influencer véritablement la protestation. C’est sans doute la raison pour laquelle le pouvoir nous combat depuis si longtemps.

Les anarchistes, ont fait les frais depuis des années de la répression politique. Arrestations, perquisitions, saisies de matériel, licenciement et plus encore.

Si notre mouvement n’était pas diminué au point d’être cantonné à des groupes marginaux dont le nombre se limite à quelques douzaines de militant.e.s, alors nous pourrions radicaliser et organiser les manifestant.e.s. Et cela, la dictature ne peut le laisser advenir.

Le Kremlin garant de l’ordre établi

On ne peut pas analyser la situation actuelle en Biélorussie en faisant l’impasse sur l’influence de la Russie. Celle-ci est économiquement et géopolitiquement si importante qu’il faut la considérer comme le facteur externe prépondérant dans l’évo­lution de la situation.

Par exemple, en ce moment, la Russie envisage de faire un crédit au régime équivalent à plus de 1,5 milliard de dollars. Cet argent doit compenser les sommes dépensées par Loukachenko pour faire taire la contestation.

Par ailleurs les Biélorusses craignent toujours la possibilité d’une intervention des OMON, les forces spéciales du ministère de l’Intérieur russe depuis que Poutine a déclaré que si les manifestations empruntaient un caractère violent, cela provoquerait des pillages et des pogroms, et qu’il devrait alors envoyer des unités spéciales pour aider le régime à maintenir l’ordre.

Les forces de répression en ligne, à Minsk le 6 septembre.
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Pour le moment, ce ne sont que des mots, mais pour la population, ces paroles provoquent l’illusion d’une menace réelle. Peut-on même considérer qu’il ne s’agit que d’une illusion ? Beaucoup de gens en 2013 pensaient que l’idée que la Russie puisse déclencher un conflit militaire au sud-est de l’Ukraine était inenvisageable, et pourtant…

Ceci étant, il nous faut bien comprendre que Poutine ne veut pas d’un nouveau conflit militaire pouvant s’éterniser. L’économie russe est en crise, et une aventure de plus à l’issue incertaine risque de coûter trop cher au Kremlin.

Moscou n’est pas fondamentalement opposé au départ de Loukachenko parce qu’il est impopulaire et qu’il s’agit d’un dictateur problématique. La Russie préférerait à sa place quelqu’un de plus loyal et accommodant envers leurs intérêts. C’est pourquoi Poutine à essayer de convaincre Loukachenko de réformer la constitution et de transférer « légalement » le pouvoir à de nouvelles têtes. Mais même si celui-ci accepte, il fera tout pour garder le contrôle sur le pays, à travers un gouvernement fantoche s’il le faut.

Il n’est pas aisé à l’heure actuelle de savoir comment la situation va évoluer ni quel en sera le résultat. Au début de l’été, personne n’aurait pensé qu’il puisse y avoir des manifestations de cette ampleurs, ni que des gens allaient jeter des cocktails Molotov sur les milices du pouvoir. L’idée que des manifestants puissent être exécutés n’existait que dans les avertissements de groupes anarchistes marginaux. Mais la réalité a dépassé toute les attentes.

Face à cette dictature les anarchistes, de même que les autres groupes politiques, ne peuvent pas influencer de manière significative la contestation. Ils essaient au moins de diffuser leurs pratiques pour se faire connaître du plus grand nombre, et développent leur potentiel d’action. Mais si Loukachenko reste en place, les Biélorusses dans leur ensemble et les anarchistes en première ligne risquent de faire face à un état de terreur dictatorial encore inconnu dans le pays.

Des anarchistes biélorusses

 
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