Syndicalisme

Aides à domicile : Les « premières de corvée » doivent gagner leur dignité




Ça ne se bouscule pas pour bosser dans l’aide à domicile… alors qu’il s’agit d’un maillon vital de la société  ! Il faut dire que la convention collective est dissuasive. C’est dû j’men-foutisme de l’État, qui sous-traite ce service essentiel à des associations à but non lucratif. Mais ­comment organiser syndicalement un prolétariat si atomisé pour améliorer la situation ?

Garde d’enfant, services pour rester chez soi, accompagnement des actes de la vie de tous les jours (ménage, toilette, jeux, marche, etc) : l’aide à domicile est essentielle pour de nombreuses personnes dépendantes, notamment isolées en milieu rural. Elle fait néanmoins face à une crise de recrutement pour trois raisons bien identifiées : conditions de travail, déplacements et salaires.

Répondre à cette crise des vocations supposerait des moyens financiers qu’aucun gouvernement ne veut satisfaire. Signée en 2010, la convention collective de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (dite « BAD ») couvre 227 000 salariées, à 97 % des femmes. Leurs employeurs sont des associations à but non lucratif, dont le plus connu est le réseau ADMR (Aide à domicile en milieu rural) qui se présente comme « 1er réseau associatif français de service à la personne, acteur majeur de l’économie sociale et solidaire ». Côté salariées, trois fédérations syndicales sont représentatives : la CFDT (47,42 %), CGT (38,46 %) et FO (14,11 %)  [1]

Payez les déplacements !

Début 2012, lorsqu’elle est entrée en vigueur, la convention collective de la BAD a mis le feu aux poudres dans plusieurs départements, notamment dans le réseau ADMR, où les salariées ont perdu des jours de congés d’ancienneté, et surtout une partie des frais de déplacement.

Une grande majorité de salariées doivent en effet utiliser leur propre voiture pour aller d’un domicile à l’autre. Et les distances parcourues grimpent très vite en zone rurale ! La convention collective prévoit un défraiement à hauteur de 0,35 €/km, qui n’a pas évolué depuis… 2008 ! Autant dire qu’elles roulent à perte. Et encore, une partie de ces déplacements ne sont tout simplement pas dédommagés, sous prétexte qu’ils sont hors temps de travail ! En effet, c’est l’employeur qui fixe le planning et le temps de battement entre deux interventions, 30 ou 45 minutes par exemple, au-delà desquelles le temps de déplacement n’est plus compté.

En 2017, une partie de la situation a été réglée par la signature d’un avenant (le n° 36) à la convention collective. Désormais, tous les déplacements sont considérés comme du temps de travail effectif mais… pour que cette disposition s’applique, il faut qu’« un financeur » veuille bien verser de l’argent en conséquence au budget de l’association employeuse. Or, le ministère des Solidarités et de la Santé refuse les fonds, et renvoie la balle aux conseils départementaux… dont seule une minorité a accepté de mettre la main à la poche. Cette insupportable inégalité entre départements a décidé la CGT à ne pas signer l’avenant n° 36.

La CGT réclame la garantie d’un salaire conventionnel supérieur au Smic, une vraie progression de carrière, et refuse la déqualification des salariées.

Les employeurs négocient, l’État renâcle

Mais le plus dur, ce sont les revenus, très faibles : alors que plus de 89 % des contrats sont à temps partiel, une part importante des salaires conventionnels sont en dessous du Smic ! Des négociations menées depuis 2018 sur les grilles salariales ont récemment abouti à un accord sur un avenant (le n°43) signé par la CFDT et par FO. Selon FO, cet accord permettrait une hausse des salaires de 14 % en moyenne, faisant alors passer tous les coefficients au-dessus du taux horaire du Smic. La hausse serait même de 22 % pour le salaire de base de l’accompagnante éducative et sociale (AES).

Le problème est que les employeurs peuvent bien signer ce qu’ils veulent, puisque l’ap­plication de l’accord – en attente d’agrément par le ministère – dépend du financement de l’État. Or le gouvernement (comme tous ses prédécesseurs) refuse la hausse budgétaire, de l’ordre de 600 millions d’euros, que cela représenterait.

La CGT, elle, a refusé de signer l’accord, en pointant l’absence de garantie d’un salaire conventionnel supérieur au Smic, d’une vraie progression de carrière et, surtout, la nouvelle architecture de la classification qu’induit l’avenant n°43. Les nombreuses grilles de salaires avec une progression selon l’ancienneté disparaîtraient en effet, au profit d’une simplification radicale. Il ne resterait que deux filières (support ; management et intervention), deux degrés par filière et trois échelons par degré. Et le passage d’un échelon ou d’un degré à l’autre serait, en bonne partie, abandonné à l’appréciation de la hiérarchie ! Au début, le syndicat patronal avait même le projet d’une classification ne ­faisant plus aucune référence aux diplômes, et se fondant sur une logique de « compétence ». Tiens tiens, n’est-ce pas analogue à la stratégie du patronat de la métallurgie  [2]

Quelque 227 000 salariées, à 97 % des femmes, à plus de 89 % à temps partiel... et une part importante des salaires conventionnels en dessous du Smic !
France 3
France 3

À quand de vrais moyens pour l’action syndicale ?

Au final, CGT et FO ont freiné cette orientation patronale. Elles ont par exemple empêché que l’aide aux actes essentiels de la vie soit permise aux salariées sans formation. Cela afin d’éviter, en théorie, le « glissement des tâches », qui est un des points noirs de la profession.

Mais elles n’ont pu éviter l’introduction d’un cheval de Troie dans l’avenant n° 43 : des « éléments complémentaires de rémunération » (ECR), auparavant incorporés au salaire, en seraient désormais dissociés. Certains sont pérennes (ancienneté et diplôme), d’autres non, et ces derniers permettraient au patronat, à l’avenir, de revenir à la charge contre l’ancienneté et les diplômes.

Comme dans d’autres secteurs atomisés du salariat  [3], s’organiser et lutter dans l’aide à domicile est très difficile. Des luttes collectives se font parfois jour, des syndicats peuvent se créer ou se renforcer, mais tout cela reste très fragile. Pour que ça marche, on le sait d’expérience, il y aurait nécessité de détacher davantage de militantes pour organiser les forces sur le terrain. Mais cela impliquerait des moyens financiers, qu’il faudrait trouver du côté des fédérations syndicales du secteur, avec l’aide des unions locales.

La question de l’aide à domicile, c’est aussi celle du prolétariat féminin, de la place essentielle qu’il a tenu depuis le début de la crise du Covid-19. La leçon a-t-elle vraiment été tirée par le syndicalisme de lutte ? Pas encore.

Michel (UCL Vosges)


PUNITION ALLÉGÉE POUR L’INSPECTEUR DU TRAVAIL

Grâce à la mobilisation, la mutation disciplinaire d’Anthony Smith est réduite : il sera finalement affecté dans la Meuse, sa région d’origine. La ministre du travail l’a annoncé le 9 septembre, provoquant la démission d’un haut cade du ministère, Yves Struillou, publiquement désavoué. Anthony Smith, par ailleurs militant CGT, avait été suspendu puis expédié devant un conseil de discipline pour avoir lancé une procédure contre l’Aradopa, une association d’aide à domicile qui, en plein virus, ne fournissait pas de surblouses ni de masques à ses salariées.

Après cette première victoire, l’intersyndicale CGT-SUD-FSU-CNT maintient sa plainte devant l’Organisation internationale du travail pour violation de l’indépendance de l’inspection du travail.

[1Cette représentativité a été établie en mars 2017 par le ministère du Travail en agrégeant tous les scores aux élections professionnelles (DP, CE, à présent CSE) dans les entreprises d’au moins 11 salariés entre 2013 et 2016. La représentativité est recalculée tous les quatre ans.

 
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