Modification des règles de représentativité : Pour les syndicalistes, ça changerait quoi ?




Le Medef, la CGT et la CFDT viennent de prendre une position commune sur la représentativité. Les conséquences en huit questions.

Qu’est-ce que la « position commune » Medef-CGT-CFDT du 9 avril va changer pour les syndicalistes ?

À ce stade, rien. Ce texte est censé inspirer une future loi sur la représentativité syndicale. Le gouvernement a effectivement annoncé son intention de légiférer en ce sens, mais nous ne savons pas quand ni dans quelle proportion il le fera. Il a néanmoins indiqué qu’il reprendrait « l’esprit et la lettre » de ce texte. Pour les militantes et les militants syndicalistes, il est important de comprendre ce qui changerait concrètement si ce texte était transposé tel quel dans une loi régissant les règles de représentativité.

En quoi est-ce important, la représentativité ?

Pour certaines confédérations bureaucratisées, cela permet de négocier des accords avec le patronat. C’est même, dans le cas de la CFDT, de la CFTC, d’une partie de la CGT, de FO ou de la CGC, devenu leur raison d’être. Mais pour les syndicats de lutte, obtenir la représentativité est nécessaire pour bénéficier des moyens indispensables à une activité syndicale : des heures de délégation, des locaux, une ou un délégué syndical bénéficiant du statut de salarié protégé. C’est donc une nécessité pour développer et renforcer les outils de lutte collective que doivent être les syndicats…

Si la « position commune » passait telle quelle dans la loi, ce serait donc plus dur de créer une section syndicale ?

Globalement oui. Créer un syndicat CGT, par exemple, serait moins simple que maintenant puisque la présomption irréfragable de représentativité disparaîtrait. La présomption irréfragable, c’est ce qui permet actuellement à tout syndicat CGT, CFDT, FO, CFTC ou CGC, de bénéficier du droit syndical attaché à la représentativité, sans avoir jamais à en donner aucune preuve. A contrario, Solidaires (qui regroupe notamment les Sud), la CNT, l’Unsa et la FSU sont quasi systématiquement contraints de faire la preuve de leur représentativité devant un tribunal pour avoir droit à une existence légale.
Mais avec les nouvelles règles, créer un syndicat Sud serait également plus dur qu’aujourd’hui, puisque de nouveaux critères seraient institués pour accéder à la représentativité et au droit syndical afférent.

Quels sont les critères pour qu’un syndicat soit déclaré représentatif ?

Il y en a sept, contre cinq actuellement. Et ils deviennent cumulatifs, c’est-à-dire qu’il suffit de ne pas en satisfaire un pour être éliminé. Certains sont très problématiques, d’autres carrément dangereux :

– les effectifs d’adhérents et les cotisations faisaient partie des critères exigés pour Solidaires, la CNT, etc. Avec ce texte, ce sont tous les syndicats qui devraient à présent livrer la liste de leurs adhérentes et adhérents. Cette publicité ne peut que dissuader certaines et certain-e-s salarié-e-s de se syndiquer, par peur des représailles individuelles ;

– l’indépendance demeure aussi un des critères, mais gageons que le patronat saura trouver des juges qui estimeront que certains syndicats jaunes sont tout à fait « indépendants »… ;

– l’activité « s’apprécie au regard de la réalité des actions menées par le syndicat … ». Rien de neuf ici ;

– une ancienneté de deux ans est désormais requise, mais ce point est flou. S’agit-il de l’ancienneté de la section syndicale comme le patronat et le gouvernement risquent fort de le dire, ou de l’ancienneté de l’organisation syndicale comme le disent – naïvement ? – les négociateurs ?

– la transparence financière, qui ne s’applique nullement aux organisations patronales, renforcerait l’institutionnalisation du syndicalisme ;

– le respect des valeurs républicaines risque, au nom du « civisme » de
disqualifier des syndicats qui recourrent à l’action directe (séquestration de patrons, grèves dures…) ;

– l’audience électorale, enfin, entrerait en ligne de compte avec des seuils éliminatoires : 10 % au niveau des entreprises et 8 % au niveau national et des branches.

Avec tous ces critères, faire reconnaître une section syndicale authentique deviendrait un parcours du combattant… dont la longueur découragerait bien des volontaires.

Mais une fois la représentativité acquise, c’est définitif ?

Pas du tout. Les syndicats CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC découvriraient ce qui est aujourd’hui le lot commun des Sud, de la CNT, de l’Unsa et de la FSU. Tout syndicat pourrait voir sa représentativité contestée en justice, à tout moment. Il suffirait au patron de déclarer qu’il pense qu’un des sept critères n’est plus rempli, et hop, retour au tribunal !
De plus, puisque l’audience électorale deviendrait un critère de représentativité, celle-ci serait remise en jeu tous les quatre ans à l’occasion des élections au comité d’entreprise ou des délégués du personnel.

Serait-il possible de désigner un délégué syndical (DS) avant une élection professionnelle ?

C’est douteux. C’est pourquoi, dans l’intervalle entre la création d’une section syndicale et la tenue d’élections professionnelles, un statut au rabais apparaîtrait dans les entreprises de plus de 50 salarié-e-s : celui de représentant de la section syndicale (RSS)… Le ou la RSS bénéficierait du statut de salarié protégé, mais n’aurait que 4 heures de délégation par mois et n’aurait pas le droit de participer aux négociations collectives, contrairement au délégué syndical (DS). Pour accéder au statut de DS et aux moyens correspondant, il faudrait avoir recueilli au moins 10 % des voix aux élections du personnel.

Mais pour les élections professionnelles, c’est plus équitable, puisque tous les syndicats auraient le droit se présenter au premier tour…

Certes. Aujourd’hui seuls les syndicats bénéficiant déjà de la représentativité ont le droit de se présenter dès le premier tour aux élections professionnelles. Ce n’est que si le quorum n’est pas atteint qu’un deuxième tour est organisé, où toutes les candidatures sont admises. Là, les conditions deviendraient les mêmes pour tous… mais elles se durciraient globalement, puisqu’il faudrait pouvoir justifier de deux ans d’existence pour pouvoir se présenter.

Et pour les entreprises de moins de 50 salarié-e-s, qu’est-ce qui est prévu ?

Strictement rien ! Aucun droit nouveau, dans un secteur qui en aurait pourtant bien besoin !

Mouldi C. (AL Transcom)


QUI REPRÉSENTE QUOI ?

Un arrêté de 1966 a fixé la liste des confédérations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel : CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC. En 1982, le gouvernement PS-PCF leur a conféré la représentativité « irréfragable » (incontestable).

Ces cinq organisations sont donc réputées représentatives par ricochet, à tous les échelons : au niveau national, dans toutes les branches d’industrie, dans toutes les entreprises. Elles n’ont jamais à justifier de leur légitimité pour signer des accords engageant l’ensemble des salarié-e-s. Certaines bureaucraties (CGC, CFTC) ne doivent leur survie qu’à ce système figeant les évolutions du paysage syndical.


LE CALENDRIER

24 janvier : lancement des négociations sur la représentativité syndicale entre d’une part la CGT, la CFDT, FO, la CGC et la CFTC, et d’autre part le Medef, la CGPME et l’UPA (artisans).

9 avril : les délégations du Medef, de la CGT et de la CFDT rendent publique une « position commune » sur une évolution souhaitée des règles de représentativité.

10 avril : l’union syndicale Solidaires (qui regroupe notamment les Sud) dénonce dans ce texte un « petit arrangement entre amis ».

13 avril : le gouvernement estime que la « position commune » Medef-CGT-CFDT peut servir de base pour légiférer « avant l’été ».

14 avril : FO dénonce le texte.

16 avril : la commission exécutive confédérale de la CGT l’approuve à l’unanimité.

17 avril : la CFTC et la CGC le rejettent. La CGC et l’Unsa officialisent leur volonté de fusionner.

24 avril : la direction confédérale de la CFDT valide la « position commune ». Au comité confédéral national de la CGT, 19 fédérations sur 26 et 64 unions départementales sur 77 (au total 80 % des voix) approuvent le texte.

3 décembre : élections prudhomales.

Pour l’heure, aucun projet de loi n’a été présenté.


 
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